Numéro de requête R98/109HR

Date
Instance
CASS NL
Marque
kleur oranje
Numéro de dépôt
Déposant
Libertel Groep B.V.
Texte

23 février 2001
Première Chambre
Req.No : R98/109HR

Veuillez noter qu'il s'agit d'une traduction libre.
La version originale est disponible sur le site néerlandophone.

Ordonnance

en cause de :

LIBERTEL GROUP B.V.,
dont le siège est à Maastricht,

REQUERANTE en cassation,
avocat : Me E.D. Vermeulen,

contre

LE BUREAU BENELUX DES MARQUES,
dont le siège est à La Haye,

DEFENDEUR en cassation,
avocat : Me C.J.J.C. van Nispen.

1. La procédure 

Pour le déroulement de la procédure à ce jour, le Hoge Raad renvoie à son ordonnance interlocutoire du 5 février 1999. Par cette ordonnance, le Hoge Raad a, en rapport avec la question préjudicielle du Hoge Raad à la Cour de Justice Benelux concernant la possibilité d'un pourvoi en cassation dans de telles procédures, sursis à statuer et suspendu l'instance jusqu'à ce que la Cour de Justice Benelux ait rendu son arrêt dans l'affaire de Campina Melkunie B.V. contre le Bureau Benelux des Marques. 

Par un arrêt du 26 juin 2000, NJ 2000, 551, la Cour de Justice Benelux a dit pour droit dans l'affaire A 98/2 :

Sur les questions I à V et IX : 

La décision rendue en vertu de l'article 6ter de la LBM est susceptible d'un pourvoi en cassation si et dans la mesure où les règles nationales concernées de la procédure civile autorisent le pourvoi en cassation contre les décisions rendues sur requête par le juge civil; 

Le BBM, dans les décisions visées à l'article 6bis, alinéa 1er, de la LBM, et ensuite le juge appelé à apprécier, dans le cadre d'une procédure en vertu de l'article 6ter de la LBM, le bien-fondé de la décision prise par le BBM ne doivent pas se baser uniquement sur le signe tel qu'il a été déposé et sur les produits mentionnés à cette occasion, mais doivent aussi prendre en considération tous les faits et circonstances pertinents qui ont été dûment portés à leur connaissance; 

Dans une procédure fondée sur l'article 6ter de la LBM, le juge ne peut prendre en considération que l'usage qui a été fait du signe déposé jusqu'au moment de la demande d'enregistrement; 

Le fait que selon le Commentaire commun, le BBM ne pourra refuser en vertu de l'article 6bis que "les dépôts manifestement inadmissibles" n'a pas d'incidence sur la réponse aux questions VI, VII et VIII; 

Par ailleurs, la Cour de Justice Benelux a posé des questions d'interprétation à la Cour de justice des Communautés européennes. 

Monsieur l'avocat général F.F. Langemeijer conclut à ce que l'ordonnance attaquée soit annulée, sauf en ce qui concerne la condamnation aux dépens, et à ce que la cause soit renvoyée devant une autre Cour pour la suite de la procédure; et, en ce qui concerne la condamnation aux dépens en première instance et en cassation: à ce qu'il soit sursis à statuer pour une durée indéterminée. 

L'avocat du Bureau Benelux des Marques a réagi à ces conclusions par une lettre du 23 novembre 2000. 

2. Appréciation de la recevabilité du pourvoi en cassation 

Eu égard au dispositif de l'arrêt de la Cour de Justice Benelux en réponse à la question I, il convient d'examiner en vertu du droit néerlandais de la procédure civile si l'ordonnance attaquée de la cour est susceptible d'un pourvoi en cassation. La LBM ne contenant aucune disposition contraire, l'ordonnance attaquée de la cour est dès lors susceptible d'un pourvoi en cassation dans les deux mois suivant la date de l'ordonnance conformément à l'article 426, alinéa premier, du code de procédure civile. 

3. Appréciation du moyen 

3.1. Les faits de la cause peuvent s'énoncer comme suit en cassation. 

(i) Le 27 août 1996, Libertel, a effectué auprès du Bureau Benelux des Marques (ci-après: le BBM) un dépôt du signe orange, tel que spécifié ci-après sous 3.6, pour des produits et services dans le domaine des télécommunications dans les classes 9, 35, 36, 37 et 38. Le dépôt porte le numéro 877515. 

(ii) Par lettre du 21 février 1997, le BBM a communiqué au mandataire en marques de Libertel qu'il refusait provisoirement l'enregistrement de ce dépôt au motif reproduit à l'attendu n° 1, sous b., de l'ordonnance attaquée, à savoir brièvement dit que le signe composé exclusivement de la couleur orange était dépourvu de tout caractère distinctif au sens de l'article 6bis, alinéa premier, sous a., de la loi uniforme Benelux sur les marques (LBM), à moins qu'il n'y ait consécration par l'usage. 

3.2. Libertel a répondu à ce refus provisoire après quoi le BBM, par lettre du 10 septembre 1997, a notifié au mandataire en marques de Libertel sa décision de refus définitif de l'enregistrement du dépôt. Le BBM a écarté à cet égard l'invocation par Libertel de la consécration par l'usage du signe et n'a, pour le surplus, pas indiqué de motifs nouveaux pour son refus. 

Libertel a ensuite saisi la cour en vertu de l'article 6ter de la LBM d'une requête aux fins d'ordonner au BBM de procéder à l'enregistrement. 

La cour a rejeté cette requête par l'ordonnance attaquée. Aux termes de l'attendu n° 6 de l'ordonnance, la décision de la cour doit être comprise en ce sens que la cour dénie au signe déposé tout caractère distinctif pour les produits et services pour lesquels Libertel a déposé le signe. 

Le moyen est dirigé en six branches contre cette décision. 

3.3. La troisième branche est dirigée contre la décision de la cour suivant laquelle l'(ordre d')enregistrement d'un signe qui a acquis un caractère distinctif par la consécration par l'usage ne saurait être admis si cette consécration par l'usage n'a été acquise qu'après le dépôt. 

3.4. Cette décision est correcte, vu le dispositif de l'arrêt précité de la Cour de Justice Benelux du 26 juin 2000 à la suite des questions II à V. Tout comme la Cour de Justice Benelux, le Hoge Raad ne voit pas de raison de soumettre des questions préjudicielles sur ce point à la Cour de justice des Communautés européennes, vu le libellé de l'article 3, § 3, de la première directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques (ci-après: la directive) et le fait que le législateur Benelux n'a pas fait usage de la faculté qui y est offerte. 

La branche ne peut donc pas entraîner la cassation. 

3.5. La quatrième branche développe la troisième branche et doit subir le même sort. 

3.6. Pour l'appréciation de la première et de la deuxième branche du moyen, il faut considérer au préalable qu'après avoir consacré quelques considérations générales au caractère distinctif des marques de couleur en général dans les attendus 7 à 11, la cour a examiné dans ce contexte le caractère distinctif de la couleur orange dans les attendus 12 à 14, telle que cette couleur a été déposée comme marque à l'enregistrement par Libertel. Au vu de l'accusé de réception produit par Libertel au procès, il s'agit d'une marque figurative qui est représentée par une surface rectangulaire, de couleur orange, à laquelle est joint le mot "orange" dans la rubrique destinée entre autres à mentionner la couleur de la marque. C'est pourquoi il faut tenir pour constant que la cour a apprécié la marque ainsi décrite. En tant que ces branches se fondent sur une autre lecture de l'ordonnance attaquée, elles manquent en fait. C'est la raison pour laquelle elles ne peuvent pas entraîner la cassation dans cette mesure. 

3.7. La première branche est dirigée contre les considérations d'ordre général précitées de la cour. Dans la mesure où elle ne manque pas en fait pour le motif susmentionné, elle soulève la question de savoir si la LBM impose des critères plus sévères que ceux généralement admis pour le caractère distinctif en tant que marque d'un signe composé d'une couleur (nuance) simple spécifique, même lorsque le dépôt a été effectué non pas pour un produit ou un groupe de produits spécifique, mais pour une grande série de produits ou services. La branche avance à juste titre que le critère à appliquer, en vertu de l'article 6bis, alinéa premier, début et sous a, de la LBM consiste à déterminer le défaut de caractère distinctif au sens de l'article 6quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris. 

3.8. La Cour de Justice Benelux s'est déjà penchée sur la question de savoir si et dans quelles circonstances une couleur simple peut avoir un caractère distinctif comme marque (CJB 9 mars 1977, affaire A 76/2/16, NJ 1978, 416). Dans cet arrêt, cette Cour n'a cependant pas encore pu tenir compte du fait que depuis la date à laquelle la mise en œuvre de la directive devait avoir été effectuée, l'interprétation des dispositions concernées de la LBM doit se faire dans la mesure du possible en conformité avec le sens qui doit leur être donné dans les dispositions correspondantes de la directive, dès lors en l'espèce avec celle de l'article 3, paragraphe 1, début et sous b, j° article 2. C'est pourquoi il y a lieu de poser à la Cour de justice des Communautés européennes sur ce point les questions préjudicielles énoncées ci-après. 

3.9 La branche fait par ailleurs grief à la cour de ne pas avoir fait pesé dans sa décision l'observation citée dans la branche et extraite du Commentaire commun des gouvernements des pays du Benelux concernant la volonté de refuser uniquement à l'enregistrement "les dépôts manifestement inadmissibles". Ce grief est sans fondement, eu égard au dispositif de l'arrêt précité de la Cour de Justice Benelux du 26 juin 2000 en réponse aux questions I à V et IX (point 41 des motifs). 

3.10 La deuxième branche est dirigée contre l'appréciation par la cour du caractère distinctif de la couleur déposée par Libertel pour les produits et les services pour lesquels l'enregistrement a été demandé, telle que formulée dans les attendus 12 à 14 de l'ordonnance attaquée. Dans la mesure où elle ne manque pas en fait pour le motif reproduit sous 3.6 ci-dessus, elle soulève en premier lieu, tout comme la première branche, des questions d'interprétation de la directive qui amènent à poser les questions préjudicielles énoncées ci-après. Dans la mesure où la branche (2.4) élève un grief contre la motivation de la décision prise à l'attendu 13 concernant l'usage multiple de la couleur orange en rapport également avec des services apparentés aux produits et services pour lesquels Libertel souhaite l'enregistrement, l'examen de cette branche sera différé jusqu'à la réponse aux questions préjudicielles qui seront posées. Il en va de même pour la question de savoir s'il est pertinent de retenir ce que la cour a considéré à la fin de l'attendu 13 à propos de l'existence de dépôts de marques dans les différentes nuances de la couleur orange, effectués par des tiers pour une grande série de produits, de matériaux de conditionnement et de services. 

3.11 La cinquième branche du moyen, qui élève plusieurs griefs contre la décision de la cour, formulée dans l'attendu 16, concernant la question de savoir si le signe déposé avait acquis un caractère distinctif au moment du dépôt par suite de la consécration par l'usage, ne saurait pas non plus être examinée avant de connaître la réponse aux questions préjudicielles. 

3.12 L'attendu 6 du moyen fait grief à la cour d'avoir décidé de condamner Libertel aux dépens par application analogique de l'article 429k du code de procédure civile. Cette branche ne doit pas davantage être examinée pour le moment. 

3.13 La Cour de justice des Communautés européennes peut se baser sur les faits, tels qu'ils sont énoncés sous 3.1 ci-dessus, pour répondre aux questions d'interprétation formulées ci-après. 

4. Questions d'interprétation

4.1 Les questions d'interprétation de la première directive du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques (89/104/CEE) auxquelles le Hoge Raad juge nécessaire qu'il soit répondu par la Cour de justice des Communautés européennes pour statuer sur le pourvoi en cassation sont les suivantes : 

1. Est-il possible de reconnaître un caractère distinctif pour des produits ou services déterminés au sens de l'article 3, § 1er, début et sous b, de la directive à une couleur simple, particulière, qui est reproduite comme telle ou désignée par un code international ? 

2. Si la réponse à la question 1 est affirmative : 

a. dans quelles circonstances est-il permis d'admettre qu'une couleur simple, particulière possède un caractère distinctif au sens précité ? 

b. est-il indifférent à cet égard que l'enregistrement ait été demandé pour une grande série de produits ou services ou bien pour un produit ou service particulier respectivement un groupe de produits ou services ? 

3. Pour apprécier le caractère distinctif d'une couleur déterminée comme marque, faut-il examiner s'il existe à l'égard de cette couleur un intérêt général de sauvegarde, tel qu'il peut exister à l'égard de signes qui indiquent une provenance géographique ? 

4. Lorsqu'il est appelé à apprécier si un signe déposé comme marque possède le caractère distinctif visé à l'article 3, § 1er, début et sous b, de la directive, le BBM doit-il se borner à une appréciation in abstracto du caractère distinctif ou doit-il tenir compte de toutes les circonstances concrètes de l'espèce, en ce compris l'usage qui est fait du signe et les modalités d'usage du signe ? 

5. Décision

Le Hoge Raad :

demande à la Cour de justice des Communautés européennes de se prononcer sur les questions énoncées sous 4. ci-dessus ; 

réserve à statuer et suspend l'instance jusqu'à ce que la Cour de justice aura statuer sur la présente demande préjudicielle. 

La présente ordonnance a été rendue par le vice-président F.H.J. Mijnssen en qualité de président, et par les conseillers W.H. Heemskerk, R. Herrmann, A.E.M. Van der Putt-Lauwers et E.J. Numann, et prononcée à l'audience publique du 23 février 2001 par le conseiller W.H. Heemskerk.