Numéro de requête R04/343

Date
Instance
REC NL
Marque
NEW ENERGY
Numéro de dépôt
Déposant
E. ON AG
Texte
Numéro de requête: R04/343
 
La personne morale de droit étranger E.ON AG. contre BUREAU BENELUX DES MARQUES
 
Prononcé: 24 février 2005
Numéro de requête: R04/343
 
La cour d'appel de La Haye, chambre MC-5, a rendu l'ordonnance suivante à la requête de:
 
La personne morale de droit étranger E.ON AG.,
dont le siège est à Düsseldorf, Allemagne,
requérante,
(dénommée ci-après: E.ON)
avoué: Me H.C. Grootveld, avocats: Mes A.R.T. Odle et M.S. Neervoort (tous deux à
Amsterdam),
 
contre
 
Le BUREAU BENELUX DES MARQUES,
dont le siège est à La Haye,
défendeur,
(dénommé ci-après: le Bureau Benelux des Marques)
mandataires: Mes C.J.P. Janssen et P. Veeze.
 
La procédure
 
Par requête (avec annexes) parvenue au greffe de la cour le 16 avril 2004, E.ON a demandé à la cour d'ordonner au Bureau Benelux des Marques d'enregistrer les signes NEUE ENERGIE, NEW ENERGY et NIEUWE ENERGIE pour les services pour lesquels ils ont été déposés.
 
Le Bureau Benelux des Marques a demandé par mémoire en défense (avec annexes), parvenu au greffe de la cour le 19 mai 2004, de rejeter la requête de E.ON, dépens comme de droit.
 
La requête a été examinée à l'audience du 13 septembre 2004. A cette occasion, E.ON a fait exposer son point de vue par Mes Odle et Neervoort, précités, et le Bureau Benelux des Marques par Me Veeze, le tout à l'aide de notes de plaidoirie.
 
Examen de la requête
 
1.1        La requête a été introduite dans le délai.
 
1.2        Les pièces de la procédure et les allégations des parties font apparaître ce qui suit:
 
a. E.ON a déposé le 14 novembre 2002 les signes NEUE ENERGIE, NEW ENERGY et NIEUWE ENERGIE (portant les numéros de dépôt 1021860, 1021861 et 1021862) comme marques verbales pour les services suivants:
 
CI. 35 Arranger et conclure des contrats de livraison d'électricité, de gaz et d'eau; publicité; gestion des affaires commerciales; administration commerciale;
 
CI. 39 Fourniture et distribution d'énergies comme l'électricité, le gaz et l'eau.
 
Cl. 40 La production d'électricité, de gaz et d'eau.
 
b.            Les dépôts mentionnent le nom et l'adresse d'un mandataire aux Pays-Bas.
 
c. Le Bureau Benelux des Marques a notifié, par lettres du 14 février 2003, le refus (provisoire) de l'enregistrement des dépôts. Le Bureau des Marques a chaque fois indiqué comme motif:
 
"Le signe (...) peut servir à désigner l'espèce et la destination des services mentionnés dans les classes 35, 38 et 40 en ce qui concerne l'énergie nouvelle. C'est pourquoi le signe est dépourvu de tout caractère distinctif (...)."
 
d. Par lettre du 12 août 2003, réclamation a été déposée au nom de E.ON contre le refus provisoire de l'enregistrement des dépôts. La lettre allègue, en résumé, que les signes déposés par E.ON possèdent (dès le départ) un caractère distinctif pour les services pour lesquels ils ont été déposés et qu'ils ont été consacrés comme marque par l'usage qui en a été fait.
 
e. D'après sa lettre du 11 novembre 2003, le Bureau Benelux des Marques n'a pas vu dans les objections avancées au nom de E.ON un motif de revoir son refus provisoire.
 
f. Le Bureau Benelux des Marques a communiqué à E.ON, par lettres du 16 février 2004, sa décision portant ‘refus définitif' de l'enregistrement des dépôts.
 
2.1       E.ON soutient – en substance et dans la mesure où c'est pertinent – que les signes NEUE ENERGIE, NEW ENERGY et NIEUWE ENERGIE ne sont pas exclusivement descriptifs pour les services concernés, que les signes ont acquis un caractère distinctif par l'usage qui en a été fait comme marque et que le Bureau Benelux des Marques s'est livré à un examen erroné, du moins incomplet, de la consécration des signes concernés par l'usage. Le Bureau Benelux des Marques a contesté les allégations de E.ON.
 
3.1       La présente affaire a pour objet de déterminer si les signes concernés sont dépourvus de caractère distinctif pour les services pour lesquels ils ont été déposés. La cour émet les considérations suivantes.
 
3.2       Le refus du Bureau Benelux des Marques d'enregistrer le dépôt est basé sur l'article 6bis, alinéa 1er, de la loi uniforme Benelux sur les marques (ci-après: loi Benelux sur les marques ou LBM). Cet article a été introduit lors de l'adaptation de la législation néerlandaise à la directive européenne 89/104/CE (première directive du 21 décembre 1988 du Conseil des CE, rapprochant les législations des états membres sur les marques, JOCE1989 L 40). L'article 6bis, alinéa 1er, a été modifié par l'entrée en vigueur au 1er janvier 2004 du Protocole portant modification de la LBM du 11 décembre 2001 (Trb. 2002, 37). La modification visait à reprendre les termes de l'article 3, § 1, sous a à d, de la directive précitée sans vouloir apporter de modification matérielle. La cour se basera sur le texte actuel de la disposition.
 
3.3        L'art. 6bis, alinéa 1er, est libellé comme suit:
Le Bureau Benelux refuse d'enregistrer une marque lorsqu'il considère que:
 
(...)
 
b. la marque est dépourvue de caractère distinctif;
 
c.                 la marque est composée exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l'époque de la production du produit, ou d'autres caractéristiques de celui-ci;
 
Caractère distinctif
 
3.4            L'appréciation du caractère distinctif d'un signe doit s'effectuer, d'une part, en rapport avec les produits ou services pour lesquels il a été déposé, et, d'autre part, en relation avec la perception du signe par le public concerné.
 
3.5       Les signes en cause se composent des mots 'nieuwe’ ‘new' et ‘neue’; respectivement 'energie', 'energy' et 'Energie'. Comme il ressort aussi de la description des services en classe 39 dans le dépôt, l'énergie est, entre autres, un concept générique pour l'électricité, le gaz et autres. En tant que tel, il est usuel, comme en témoignent les notions telles que énergie nucléaire, énergie éolienne, fournisseur d'énergie ou entreprise énergétique. L'adjonction de l'adjectif 'nieuwe' donne à ‘energie' la signification d'énergie produite ou utilisée depuis peu.
 
3.6       Les indications ‘new energy' et 'neue Energie' sont des traductions littérales respectivement en anglais et en allemand de 'nieuwe energie'. Dès lors que E.ON ne l'a pas (dûment) contesté, le public concerné comprendra les signes ‘NEUE ENERGIE', et ‘NEW ENERGY' dans la même acception que le néerlandais 'NIEUWE ENERGIE'.
 
3.7       E.ON a déposé les signes entre autres – brièvement dit – pour des services en rapport avec l'approvisionnement en gaz et en électricité. Pour de tels services, les signes sont exclusivement descriptifs. Les signes se composent exclusivement de mots qui peuvent indiquer chacun des caractéristiques des services pour lesquels ils ont été déposés. La cour ne voit pas en quoi – comme le soutient E.ON -- ‘energie' peut uniquement évoquer le produit 'énergie'. Même un mot comme 'téléphone' pourra être l'indication d'une caractéristique d'un service téléphonique. De plus, l'énergie, marchandise immatérielle, peut difficilement s'imaginer autrement que comme objet d'un service.
 
L'adjonction de 'nieuwe' ne confère pas au signe un caractère distinctif. Il s'agit d'une adjonction très banale qui sera perçue comme l'indication d'une caractéristique (souhaitable) des produits et services: la nouveauté. Il ressort en outre des pièces produites par le Bureau Benelux des Marques que ‘nieuw(e)' est un adjectif fréquemment utilisé avec ‘energie', dans le sens visé cidessus. La cour ne suit pas E.ON dans son argument selon lequel il s'agit d'une invention linguistique ou d'une tournure inhabituelle au sens linguistique. Les signes combinent deux mots existants d'une manière habituelle sans primer, sur le plan conceptuel, visuel ou auditif, la somme des éléments isolés qui le composent. Autrement dit: ils ne suscitent pas une impression qui s'éloigne suffisamment, pour les services concernés, de l'impression produite par la simple réunion des éléments qui le composent.
 
3.8       La cour considère que le public concerné percevra les signes comme l'indication descriptive de services en rapport avec l'énergie (nouvelle). Il est indifférent que le public concerné se compose du public général ou, comme l'affirme E.ON, des clients potentiels des services concernés dans les petites et moyennes entreprises.
 
3.9            L'opinion de la cour suivant laquelle les signes sont depuis le début inaptes à servir de marques n'est pas infirmée par l'argument de E.ON suivant lequel le titulaire d'une marque qui se compose d'un mot ou de mots qui peuvent être l'indication de caractéristiques de produits ou services ne peut – en résumé – s'opposer que dans une mesure limitée à l'usage de ces mots par autrui.
 
3.10      Il suit de ce qui précède que les signes NIEUWE ENERGIE, resp. NEUE ENERGIE et NEW ENERGY doivent être considérés comme exclusivement descriptifs pour des services en rapport avec l'énergie. La cour considère dès lors que les signes sont dépourvus depuis le début de tout caractère distinctif pour les services pour lesquels ils ont été déposés.
 
Consécration par l'usage
 
4.1       A titre subsidiaire, E.ON a invoqué la consécration par l'usage. Elle se prévaut à cet égard des pièces produites par elle, tandis qu'elle soutient dans ce contexte que le Bureau Benelux des Marques n'a pas examiné à suffisance l'argument de la consécration par l'usage avant de le rejeter.
 
4.2       La question est de savoir si les signes, par suite d'un usage intense et de longue durée marque, seront perçus par le public concerné dans le Benelux ou du moins une fraction significative de celui-ci, comme des signes qui attestent l'identité du service comme provenant d'une entreprise déterminée. Pour déterminer le caractère distinctif acquis par l'usage comme marque, il convient de tenir compte de tous les facteurs permettant d'établir que le signe est devenu apte à distinguer les services d'une entreprise. Dès lors que le moment du dépôt vaut comme moment d'appréciation, on ne peut avoir égard qu'à l'usage des signes jusqu'au 14 novembre 2002 (cfr Cour de Justice Benelux 26 juin 2000, dans l'affaire ‘Biomild', BIE 2001, 24).
 
4.3       Il appartient à E.ON de démontrer, à l'aide de pièces pertinentes, qu'il y a consécration par l'usage au sens précité. E.ON se base à cette fin sur les pièces versées par elle au dossier, numérotées 8 à 12.
 
Elles concernent:
 
(i)                   les résultats d'une étude de marché sur l'identité du signe Neue Energie en Allemagne dans la période mars 2001 - novembre 2003 (pièce 8),
 
(ii)                 une 'Interne Mitteilung' concernant la 'Slogan-, Claimbekanntheit' de 'nieuwe energie' auprès de personnes interrogées dans les petites et moyennes entreprises aux Pays-Bas et en Flandre en septembre 2002 (pièce 9),
 
(iii)                 un schéma d'affichage et de coûts médiatiques concernant une compagne d'introduction dans les médias néerlandais (notamment les quotidiens) au 4e trimestre 2001 (pièce 10), et par ailleurs
 
(iv)                des tableaux concernant la publicité dans les médias allemands et d'autres quotidiens et périodiques en dehors du Benelux dans la période mi 2000 - mars 2001 (pièces 11 et 12).
 
4.4       La cour estime que le matériel produit par E.ON est insuffisant pour admettre qu'une fraction considérable du public concerné sur le territoire Benelux percevra l'un des signes déposés comme étant destiné à distinguer les services comme provenant d'une entreprise déterminée.
Les pièces produites par E.ON ne révèlent pas quels signes ont été utilisés de quelle manière. De plus, la cour prend en considération la période relativement courte de l'usage avant les dépôts et l'étendue et l'intensité de cet usage. La campagne publicitaire en 2001 couvrait une période relativement courte exclusivement dans les médias néerlandais. Il n'est pas plausible non plus que la campagne publicitaire – menée environ un an auparavant – dans les médias allemands principalement a permis de faire identifier dans une mesure suffisante l'un des signes déposés par une fraction significative du public concerné. Une telle identification ne se déduit pas des pièces, pas même si l'on se base sur les pourcentages, cités dans la communication susvisée 'Interne Mitteiling', de 'Slogan-, Claimbekanntheid' du signe 'nieuwe energie' auprès de personnes interrogées dans les petites et moyennes entreprises. Enfin, l'appréciation des pièces visées ne conduit pas à un résultat différent si, à la suite de E.ON, on considère que le public concerné est composé exclusivement de clients potentiels des serivces concernés dans les petites et moyennes entreprises.
 
4.5            L'argument de la consécration par l'usage manque donc en fait. On peut s'abstenir de déterminer si, comme le soutient le Bureau Benelux des Marques, vu l'arrêt de la Cour de Justice Benelux du 15 décembre 2003, BIE 2004, 33 et NJ 2004, 347 (dans l'affaire 'Langs Vlaamse wegen'), on peut avoir égard aux pièces 10, 11 et 12, dont E.ON s'est prévalue seulement devant la cour. E.ON n'a, de son côté, plus d'intérêt à faire examiner sa thèse que le Bureau Benelux des Marques n'a pas suffisamment examiné l'argument de la consécration par l'usage.
 
4.6       E.ON a encore offert de prouver ses allégations par tous moyens de droit, en particulier par des témoins. E.ON n'a cependant pas indiqué quels faits ou circonstances elle entend prouver concrètement (par des témoins). La cour écarte l'offre comme étant trop vague ou insuffisamment étayée.
 
5.1       En conclusion, la requête de E.ON sera rejetée. E.ON sera condamnée aux frais de procédure comme partie succombante, pour autant que des frais aient été exposés par le Bureau Benelux des Marques. La cour prend en considération dans ce contexte le fait que le Bureau Benelux des Marques s'est fait représenter dans cette instance en vertu de l'article 6ter, alinéa 2, de la LBM par deux membres du personnel mandatés par le directeur. La cour considère qu'en pareil cas il n'y a pas lieu de condamner au paiement des honoraires d'un avoué ou d'un mandataire mais bien au paiement des frais de déplacement, de séjour et d'empêchement. La cour déterminera ces frais en équité de la manière indiquée ci-après.
 
Décision
 
La cour:
 
Rejette la requête de E.ON ;
 
Condamne E.ON aux frais de procédure et fixe ceux-ci jusqu'à ce prononcé, pour le Bureau
Benelux des Marques, à € 1139,-.
 
La présente ordonnance a été rendue par les conseillers Fasseur-van Santen, Kiers-Becking
et Verduyn, et a été prononcée à l'audience publique du 24 février 2005, en présence du
greffier.
 
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