Numéro de requête A2005/1

Date
Instance
CJB (concl. A-G)
Marque
EUROPOLIS
Numéro de dépôt
Déposant
BOVEMIJ VERZEKERINGEN N.V.
Texte
Affaire A 2005/1
 
Bovemij Verzekeringen N.V. contre Organisation Benelux de la Propriété intellectuelle
 
COUR DE JUSTICE BENELUX
 
Prononcé 16 mars 2007
Affaire n° A 2005/1
 
COUR DE JUSTICE BENELUX
 
Conclusions additionnelles de l’avocat général L. Strikwerda (pièce A 2005/1/13) - traduction
 
en cause de:
 
Bovemij Verzekeringen N.V.
 
contre
 
Organisation Benelux de la Propriété intellectuelle
 
La Haye, le 16 mars 2007
 
 
Résumé des faits de la cause
 
1.         Pour un résumé des faits de la cause et les questions d’interprétation qui ont été posées à la Cour de justice des Communautés européennes, ci-après : CJCE, et à la Cour de Justice Benelux, ci-après : CJBen, par la cour d’appel de La Haye dans son ordonnance du 27 janvier 2005, qu’il me soit permis de renvoyer aux points 1 à 4 de l’arrêt rendu précédemment dans cette affaire par la CJBen le 29 juin 2006.
 
2.         Il reste présentement à se prononcer sur la quatrième question d’interprétation qui a été posée aussi bien à la CJCE qu’à la CJBen et qui concerne l’article 3, paragraphe 3, de la première directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, JOCE 1989, L40, ci-après : la directive. La question est libellée comme suit:
 
Pour apprécier le caractère distinctif acquis par l’usage, au sens de l’article 3, paragraphe 3, de la Directive, d’un signe composé d’un ou de plusieurs mots appartenant à une langue officielle sur le territoire d’un état membre (ou, comme en l’espèce, sur le territoire Benelux), faut-il tenir compte des aires linguistiques sur ce territoire ?
 
            Lorsque les autres conditions d’enregistrement sont remplies, suffit-il ou est-il requis pour l’enregistrement comme marque que le signe soit perçu comme une marque par le public concerné dans une fraction significative de l’aire linguistique de l’état membre (ou, comme en l’espèce, du territoire Benelux) où cette langue est parlée officiellement ?”
 
3.         Dans son arrêt susmentionné du 29 juin 2006, la CJBen a considéré quant à la quatrième question que dans la mesure où cette question renferme également une question relative à l’interprétation de la loi uniforme Benelux sur les marques, ci-après : LBM, il est souhaitable de surseoir à statuer sur ce point dans l’attente de la réponse de la CJCE et de suspendre la cause à cette fin (point 14).
 
4.         En ce qui concerne les questions relatives à l’interprétation de l’article 3, paragraphe 3, de la directive qui lui ont été posées, la CJCE a dit pour droit par arrêt du 7 septembre 2006, affaire C-108/05 :
 
1)            L’article 3, paragraphe 3, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens que l’enregistrement d’une marque ne saurait être admis sur le fondement de cette disposition que s’il est démontré que cette marque a acquis par l’usage un caractère distinctif dans toute la partie du territoire de l’État membre ou, dans le cas du Benelux, dans toute la partie du territoire de celui-ci dans laquelle il existe un motif de refus.
 
2)            S’agissant d’une marque consistant en un ou plusieurs mots d’une langue officielle d’un État membre ou du Benelux, si le motif de refus n’existe que dans l’une des zones linguistiques de l’État membre ou, dans le cas du Benelux, dans l’une des zones linguistiques de celui-ci, il doit être établi que la marque a acquis par l’usage un caractère distinctif dans toute cette zone linguistique. Dans la zone linguistique ainsi définie, il y a lieu d’apprécier si les milieux intéressés, ou à tout le moins une fraction significative de ceux-ci, identifient grâce à la marque le produit ou le service en question comme provenant d’une entreprise déterminée.
 
5.         Après que la CJCE eut rendu son arrêt, les parties ont eu la possibilité de réagir par écrit. Elles ont fait usage de cette possibilité. L’Organisation Benelux de la Propriété intellectuelle, ci-après : OBPI, ayant cause du Bureau Benelux des Marques, a communiqué une réaction par lettre du 14 novembre 2006. Bovemij Verzekeringen N.V., ci-après : Bovemij, a introduit une réaction additionnelle le 17 novembre 2006. L’OBPI a réagi à ce mémoire additionnel par lettre du 22 novembre 2006 (avec annexe).
 
 
Examen de la question 4
 
6.         Eu égard aux considérations de la juridiction de renvoi sous le point 20 de son ordonnance, il faut admettre que si la quatrième question renferme également une question d’interprétation de la LBM, cette question porte sur l’interprétation de l’article 13C, alinéa 1er, de la LBM, présentement l’article 2.20, alinéa 4, de la convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (marques et dessins ou modèles) du 25 février 2005, ci-après : CBPI. Dans la mesure qui nous intéresse ici, l’alinéa premier de l’article 13, C, de la LBM est libellé comme suit :
 
            Le droit exclusif à une marque rédigée dans l'une des langues nationales ou régionales du territoire Benelux s'étend de plein droit aux traductions dans l'autre de ces langues.
 
7.         La juridiction de renvoi entend manifestement savoir si l’existence de la disposition de l’article 13, C, alinéa 1er, de la LBM implique que dans un cas comme le cas d’espèce, pour admettre un caractère distinctif acquis par l’usage au sens de l’article 3, paragraphe 3, de la directive, il est non seulement requis que le signe soit perçu comme une marque par le public concerné dans la région du Benelux où l’on parle le néerlandais, mais également requis que la traduction du signe dans les autres langues officielles parlées dans le Benelux soit également perçue comme une marque par le public concerné dans les autres régions où ces langues sont parlées.
 
8.         Dans son arrêt du 26 juin 1989 (affaire n° A 87/7, Isover contre Isoglass, Jur. 1989, p. 2), la CJBen a considéré que l’article 13, C, alinéa 1er, de la LBM devait être interprété restrictivement. La CJBen a considéré à cet égard :
 
"9.            Attendu que l'article 13, C, fait partie des dispositions qui déterminent l'étendue de la protection du droit exclusif à une marque;
 
10.            que, dans ce contexte, il parait évident que les règles énoncées aux articles 13, B, et 13, C, ont pour but de préciser les modalités d'application des règles générales relatives à l'étendue de cette protection, contenues dans l'article 13, A;
 
11.            que, ainsi que la Cour l'a exprimé à maintes reprises, ces règles générales offrent au titulaire de la marque une protection étendue qui se trouve délimitée par la notion de "signe ressemblant", celle-ci constituant la seule limite en cas d'identité ou de similitude des produits (le cas de l'article 13, A, sous 1) ou une limite parmi d'autres dans tous les autres cas (ceux de l'article 13, A, sous 2);
 
12.            que les règles générales de l'article 13, A, impliquent, dès lors, que la limite de l'étendue de la protection du droit exclusif à une marque sera chaque fois déterminée in concreto par le juge qui, faisant application du critère formulé à cette fin par la Cour, appréciera si le signe querellé doit être tenu pour un "signe ressemblant" et pourra tenir compte ainsi de toutes les particularités pertinentes du cas d'espèce;
 
13.            que, dans ce contexte et compte tenu du second alinéa de l'article 13, C, le premier alinéa de cet article signifie que le juge a l'obligation de tenir pour un "signe ressemblant" le signe qui doit être considéré comme une "traduction" au sens du premier alinéa;
 
14.            que pareille obligation, qui ne laisse au juge aucun pouvoir d'appréciation in concreto, s'écarte du système de la loi exposé ci-dessus ; qu'au surplus, pareille obligation n'est pas nécessaire, les règles générales de l'article 13, A, permettant à suffisance de reconnaître au titulaire de la marque la large protection qui lui revient dans tous les cas où cette protection s'impose in concreto."
 
9.         Il découle de ces considérations que la disposition de l’article 13, C, alinéa 1er, de la LBM ne concerne pas la question de l’admissibilité de l’enregistrement d’une marque, mais la question de l’étendue de la protection d’une marque déjà enregistrée. Dès lors, la disposition ne contient rien de plus qu’une détermination plus précise, au fond superflue selon la CJBen, de l’étendue de la protection d’une marque réglée à l’article 13, A, de la LBM et ne peut donc être comprise, à l’opposé de ce que la CJCE a apparemment admis dans son arrêt du 12 février 2004, n° C-363/99 ("Postkantoor") (point 59), en ce sens que le dépôt d’une marque dans une des langues nationales ou régionales du territoire Benelux permet en outre d’acquérir un droit de marque sur la traduction de cette marque dans les autres langues nationales ou régionales du Benelux. Voyez également les conclusions de l’avocat général suppléant Lennaerts avant l’arrêt Isoglass, sous le point 5.
 
10.       Il s’ensuit que la question visée sous 7 ci-dessus appelle à mon sens une réponse négative : l’existence de la disposition de l’article 13, C, alinéa 1er, de la LBM n’implique pas que dans un cas comme le cas d’espèce, il soit requis pour admettre le caractère distinctif acquis par l’usage au sens de l’article 3, paragraphe 3, de la directive, que la traduction du signe dans les autres langues parlées dans le Benelux soit perçue également comme une marque par le public concerné dans les zones où ces langues sont parlées ; il est seulement requis que le signe soit perçu comme une marque par le public concerné dans la zone du Benelux où le néerlandais est parlé.
 
11.       Je fais remarquer en passant que l’on peut se demander si la disposition de l’article 13, C, alinéa 1er, de la LBM (et actuellement l’article 2.20, alinéa 4, CBPI) est bien compatible avec les dispositions de la directive concernant l’étendue de la protection d’une marque (voyez à ce sujet Ch. Gielen, Kort begrip van het Benelux merkenrecht, 2006, p. 74). Cette question n’est toutefois pas pertinente en l’espèce et il n’est pas nécessaire d’y répondre.
 
 
Je conclus à ce que la CJBen réponde à la question 4 dans la mesure où elle concerne l’interprétation de l’article 13, C, alinéa 1er, de la LBM, en ce sens que l’existence de la disposition de l’article 13C, alinéa 1er, de la LBM n’implique pas que dans un cas où un signe consiste en un ou plusieurs mots appartenant à une langue officielle sur le territoire Benelux, il soit requis pour admettre le caractère distinctif acquis par l’usage au sens de l’article 3, paragraphe 3, de la directive, que la traduction du signe dans les autres langues parlées dans le Benelux soit perçue également comme une marque par le public concerné dans les zones où ces langues sont parlées.
 
La Haye, le 16 mars 2007
 
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