Numéro de requête: R05/537
DTI DUTCH TRAVEL INTERNATIONAL B.V. contre BBM
AU NOM DE LA REINE
Prononcé : 9 février 2006
Numéro de requête: R05/537
La cour d'appel de La Haye, chambre MC-5,
a rendu l'ordonnance suivante à la requête de:
DTI DUTCH TRAVEL INTERNATIONAL B.V.,
dont le siège est à Amsterdam
requérante,
dénommée ci-après: DTI,
avoué : Me L.Ph.J. van Utenhove,
avocat Me A.S. Dogan,
contre
le BUREAU BENELUX DES MARQUES,
dont le siège est à La Haye,
défendeur,
dénommé ci-après: le Bureau
mandataires : C.J.P. Janssen et P. Veeze
La procédure
Par requête (avec annexes) parvenue au greffe de la cour le 4 mai 2005, DTI a demandé à la cour d’ordonner au Bureau l’enregistrement comme marque verbale du signe déposé sous le numéro 1 052 729 GRENZELOOS GENIETEN, avec la date de dépôt comme date d’enregistrement, dépens comme de droit.
Le Bureau a, par mémoire en défense (avec annexes) parvenu au greffe de la cour le 13 mai 2005, demandé à la cour de rejeter la requête de DTI, dépens comme de droit.
Par la suite, DTI a fait verser quelques pièces au dossier par une lettre du 11 août 2005.
La procédure orale sur la requête est intervenue le 15 août 2005. Les parties ont, à cette occasion, fait exposer leurs points de vue, DTI par Me S. Dogan et le Bureau par M. Veeze, tous deux préqualifiés, sur la base de notes de plaidoirie.
Appréciation de la requête
1. Les pièces de la procédure et les allégations des parties font apparaître ce qui suit :
a. DTI a déposé le 30 mars 2004 sous le numéro 1052729 le signe GRENZELOOS GENIETEN comme marque verbale pour les services suivants :
Classe 39 Transport de personnes et de marchandises ; organisation de voyages et visites guidées ; accompagnement de voyageurs ; réservation de voyages ; informations dans le domaine des transports.
Classe 41 Informations dans le domaine du divertissement et des loisirs.
Classe 43 Réservation d’hébergement ; location de lieux d’hébergement temporaires.
b. Par lettre du 21 juin 2004, le Bureau a notifié son refus provisoire d’enregistrer le dépôt. Le Bureau a indiqué comme motifs :
« Le signe GRENZELOOS GENIETEN est composé exclusivement d’une phrase publicitaire tirée du langage courant, sans aucun caractère original, qui peut servir en outre à désigner la qualité ou la destination des services mentionnés dans les classes 39, 41 et 43. C’est pourquoi le signe est dépourvu de caractère distinctif (cf. article 6bis, alinéa 1er, sous b. et c., de la loi uniforme Benelux sur les marques, en annexe). (…) »
c. Par lettre du 14 décembre 2004, (le mandataire de) DTI s’est opposé au refus provisoire du dépôt au motif que la combinaison verbale déposée possède bien un caractère distinctif suffisant pour les services concernés.
d. Le Bureau a fait savoir, par lettre du 3 janvier 2005, qu’il ne voyait dans les objections avancées par DTI aucun motif de revoir son refus provisoire.
e. Par lettre du 7 mars 2005, le Bureau a ensuite notifié au mandataire de DTI sa décision portant refus de l’enregistrement du dépôt.
2. DTI demande que la cour ordonne l’enregistrement du signe à la date à laquelle il a été déposé. Dans le système de la loi uniforme Benelux sur les marques (ci-après : loi Benelux sur les marques ou LBM) en vigueur depuis le 1er janvier 2004, le droit exclusif du titulaire de la marque s’acquiert toutefois au moment de l’enregistrement du signe et non à la date du dépôt. Pour le présent dépôt qui date du 30 mars 2004, l’enregistrement antérieur demandé ne saurait dès lors être accordé.
3. DTI fonde sa demande d’ordonner l’enregistrement sur le fait que le signe GRENZELOOS GENIETEN possède un caractère distinctif pour les services concernés dans la perception du public concerné. Selon DTI, la combinaison verbale constitue un slogan original, avec une signification autonome, non exclusivement descriptive. Par ailleurs, DTI soutient que le signe a été consacré comme marque par l’usage qui en a été fait auprès du public concerné. Le Bureau a contesté les allégations de DTI de manière motivée.
4. Le refus du Bureau d’enregistrer le dépôt est fondé sur l’article 6bis, alinéa 1er, de la LBM. Cette disposition énonce entre autres :
« Le Bureau Benelux refuse d’enregistrer une marque lorsqu’il considère que :
(…)
b. la marque est dépourvue de caractère distinctif ;
c. la marque est composée exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou d’autres caractéristiques de celui-ci ;
d. la marque est composée exclusivement de signes ou d’indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce ;
(…) »
5. Les points b, c et d de l’article précité correspondent sur le fond à l’article 3, § 1er, sous b, c et d, de la directive européenne 89/104/CEE (première directive du 21 décembre 1988 du Conseil des CE rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, JOCE 1989, L 40). La Cour de justice CE a considéré que les motifs de refus énoncés dans cet article sont indépendants les uns des autres et requièrent un examen séparé, malgré le chevauchement manifeste dans le champ d’action respectif des motifs mentionnés respectivement sous b, c et d (CJCE 12 février 2004 en cause POSTKANTOOR, points 67 et suivants, BIE 2005, 106 et IER 2004, 22). Un exemple de ce chevauchement est qu’une marque verbale dont l’enregistrement – pour des produits ou services déterminés – se heurte à l’article 3, §1er, sous c, de la directive 89/104/CEE est nécessairement dépourvue de caractère distinctif pour ces produits ou services au sens de l’article 3, § 1er, sous b, de la directive (CJCE 12 février en cause POSTKANTOOR, point 86, loc.cit.).
6. Ainsi convient-il d’examiner si le signe GRENZELOOS GENIETEN est, au sens des dispositions prémentionnées, dépourvu de caractère distinctif pour les services pour lesquels l’enregistrement est demandé. DTI a déposé le signe pour – brièvement dit – les services d’une agence de voyage. Le caractère distinctif doit être apprécié, d’une part, par rapport à ces services et, d’autre part, par rapport à la perception du signe par le public concerné, composé du consommateur moyen de ces services dans les pays du Benelux.
7. Le signe déposé comme marque verbale combine les mots néerlandais ‘grenzeloos’ et ‘genieten’. ‘Genieten’ signifie avoir la jouissance de quelque chose ou éprouver le plaisir de quelque chose. ‘Grenzeloos’ signifie sans frontières et est synonyme, dans le langage courant, d’illimité, sans fin ou très vaste. Le signe dans son ensemble prend ainsi l’acception d’éprouver un immense plaisir.
La cour estime que le signe, ainsi compris, est à considérer comme un message publicitaire ordinaire tant dans sa forme que dans son contenu. Le signe renferme une recommandation incontestable par la promesse d’un ‘plaisir immense’. Le signe est composé en outre de la manière habituelle pour ce genre de communications. Ainsi, il ressort des allégations du Bureau, non contestées (suffisamment) par DTI, que ‘grenzeloos’ est un préfixe courant dans nombre de combinaisons verbales publicitaires et louangeuses telles que ‘grenzeloos goed’, ‘grenzeloos voordelig’, ‘grenzeloos fietsen’, ‘grenzeloos vakantieplezier’ et ‘grenzeloos dromen’, également en rapport avec les services concernés. C’est justement en cas d’usage en rapport avec ces services que le public concerné percevra le signe dès lors comme un slogan destiné à promouvoir les ventes.
8. Contrairement à ce qu’affirme DTI, on est en présence ni d’un slogan original, ni d’un signe ayant une signification autre, autonome. Le signe GRENZELOOS GENIETEN est composé de mots de tous les jours et est composé – comme il a été dit – suivant les conventions ordinaires de la langue, y compris les lettres initiales identiques (allitération). Bref, le signe ne comporte aucun élément qui ferait que le public concerné verrait dans le signe plus qu’un message publicitaire. La cour estime que GRENZELOOS GENIETEN dès le départ n’est pas apte à identifier les services concernés comme provenant d’une entreprise déterminée et à distinguer ces services de ceux d’autres entreprises. Cette opinion ne sera pas autre si, comme l’avance DTI, le public concerné est composé spécifiquement de personnes qui souhaitent réserver un voyage organisé en Egypte ou en Turquie.
9. DTI allègue encore que le signe a été consacré (comme marque) par plus d’un an et demi d’usage sur tous ses moyens de communication. Il appartient à DTI d’étayer ses allégations à l’aide de pièces pertinentes. Les éléments qu’elle a produits comme pièce 8 (lettre du 11 août 2005) ne lui permettent pas d’en apporter la preuve, la cour s’abstenant de décider si ces éléments peuvent être pris en considération, dès lors qu’ils n’ont pas été remis au Bureau durant la phase de réclamation (cf. cour La Haye 27 janvier 2005 en cause EUROPOLIS, IER 2005, 38). Le signe est uniquement visible sur une copie d’une farde (datant apparemment de 2004) et d’un calendrier 2004. Sans autres éléments, qui font défaut, c’est insuffisant pour admettre qu’une fraction significative du public concerné dans les pays du Benelux percevra réellement le signe comme un signe qui identifie les services comme provenant d’une entreprise déterminée. La consécration par l’usage est écartée.
10. Enfin, DTI argue encore que le Bureau a eu tort de considérer le signe déposé par elle comme exclusivement descriptif pour les services concernés et, au surplus, que le Bureau n’a pas démontré que le signe est composé d’indications habituelles pour ces services. DTI ne saurait tirer avantage de ces allégations. En effet, il découle de ce qui précède que le signe est dépourvu de caractère distinctif pour les services concernés, de sorte que l’enregistrement doit être refusé, indépendamment de la question de savoir si le signe est exclusivement descriptif ou composé d’indications habituelles au sens de l’article 6bis, alinéa 1er, sous c et sous d, de la LBM.
11. En conclusion, la requête de DTI sera rejetée. DTI, étant partie succombante, sera condamnée aux frais de procédure, dans la mesure où ils ont été exposés par le Bureau. La cour déterminera ces frais en équité comme indiqué ci-après, en prenant en considération le fait que le Bureau s’est fait représenter à la présente instance conformément à l’article 6ter, alinéa 2, de la LBM et que, par ailleurs, l’affaire a été traitée en même temps que la requête de DTI portant le numéro R05/954.
Décision
La cour :
Rejette la requête de DTI ;
Condamne DTI aux frais de la procédure et fixe ceux-ci jusqu’à ce prononcé à € 739,-- (dont un droit fixe de € 291,--) pour le Bureau.
La présente ordonnance a été rendue par les conseillers J.C. Fasseur-van Santen, A.D. Kiers-Becking et S.U. Ottevangers, et a été prononcée à l’audience publique du 9 février 2006, en présence du greffier.
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