Numéro de requête 2006/AR/2254

Date
Instance
REC BE
Marque
DERM'INTIM
Numéro de dépôt
Déposant
PIERRE FABRE DERMO COSMETIQUE S.A., société de droit français
Texte

après délibéré, prononce l’arrêt suivant :

R.G. N° 2006/AR/2254

EN CAUSE DE :

PIERRE FABRE DERMO COSMETIQUE S.A., société de droit français dont le siège est établi à F-92100 BOULOGNE (République française), 45, Place Abel Gance, élisant domicile au cabinet de son conseil Me Frédéric GEVERS, avocat à 4000 LIEGE, Thier de la Fontaine 57 b,
Partie requérante,

assistée et représentée par Maître GEVERS Frédéric, avocat à 4000 LIEGE, Thier de la Fontaine 57b.

CONTRE :

L’OFFICE BENELUX DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE, anciennement BUREAU BENELUX DES MARQUES, (marques et dessins ou modèles), Service Commun aux pays du Benelux, institué par la Convention Benelux en matière de Propriété Intellectuelle (marques et dessins ou modèles), ayant la personnalité juridique de droit international en vertu de l’article 1.4 de la Convention Benelux en matière de Propriété Intellectuelle (ci-après dénommé l’OBPI), représentée par le Directeur général de l’Office dont le siège est établi aux Pays-Bas à 2591 XR La Haye, Bordewijklaan 15,
Partie défenderesse,

assistée et représentée par Me EYERS Céline (BRUXELLES) loco Maîtres Ludovic DE GRYSE, avocat à la Cour de Cassation et Brigitte DAUWE, avocats à 1000 BRUXELLES, Central Plaza, rue de Loxum 25.

L’objet du recours

1. Par requête déposée au greffe de la cour le 16 août 2006, la société de droit français PIERRE FABRE DERMO COSMETIQUE s.a. (la requérante) a formé un recours, sur le fondement de l’article 6ter de la Loi Uniforme Benelux sur les Marques, contre la décision du 16 juin 2006 du BUREAU BENELUX DES MARQUES (BBM) de refus définitif d’enregistrement de la marque verbale « DERM’INTIM » au Benelux pour les produits des classes 3 et 5.

2. Le recours tend à entendre ordonner au profit de la requérante l’enregistrement au registre du BBM de la marque verbale « DERM’INTIM » (enregistrement international n° 842 163 pour les classes 3 et 5), et à entendre condamner le BBM au paiement des frais de l’instance. Les frais de l’instance n’ont pas été liquidés par la requérante, ni dans sa requête d’appel, ni dans ses conclusions.

3. Le BBM est devenu L’OFFICE BENELUX DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE (OBPI). La Loi Uniforme Benelux sur les marques a été remplacée par la Convention Benelux de la Propriété Intellectuelle (CBPI).

La recevabilité du recours

4. Le recours est recevable puisqu’il a été introduit dans le délai de deux mois qui suit la communication du refus définitif de l’enregistrement.

Les rétroactes

5. Suite à un enregistrement auprès de l’ORGANISATION MONDIALE DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE (OMPI) le 10 décembre 2004 sous le numéro 842 163 du signe verbal « DERM’INTIM » pour les produits des classes 3 et 5, à savoir « savons de toilette, cosmétiques » (classe 3) et « produits dermo-cosmétiques pour l’hygiène » (classe 5), le BBM a communiqué à l’OMPI son refus provisoire selon l’article 5 de l’Arrangement de Madrid par sa lettre du 28 octobre 2005. Le refus provisoire est motivé comme suit : « le signe DERM’INTIM, composé exclusivement du préfixe usuel derm (pour dermato, composition pour des produits de peau) et de la qualité intim (pour intime) peut servir à désigner, dans le commerce, l’espèce ou la qualité des produits repris en classes 3 et 5. Le signe est dès lors dépourvu de tout caractère distinctif (article 6bis, par. 1er, sous b. et c. de la Loi Uniforme Benelux sur les marques, …) ».

6. Endéans le délai de six mois à compter de la date de la précédente lettre du 28 octobre 2005 et notamment par une lettre du 25 avril 2006, le mandataire de la requérante a communiqué au BBM ses observations.

7. Les arguments présentés ont été réjetés par le BBM dans sa réplique écrite adressée au mandataire le 2 juin 2006. En résumé, le BBM considère d’une part, que DERM se réfère à la nature/destination dermatologique des produits visés et INTIM à la qualité/destination des produits visés, à savoir des produits d’hygiène féminine, de sorte que le signe verbal DERM-INTIM est descriptif, d’autre part que le consommateur confronté au signe DERM’INTIM pour des savons de toilette, des cosmétiques et des produits dermo-cosmétiques pour l’hygiène intime comprendra qu’il s’agit de produits destinés à l’hygiène intime mais ne verra pas ce signe comme distinguant les produits particuliers concernés de produits proposés par d’autres entreprises, de sorte que le signe verbal DERM’INTIM est dépourvu de caractère distinctif.

8. Par sa lettre du 16 juin 2006 le BBM confirmait son refus définitif, se référant à sa lettre précitée du 2 juin 2006.

Le cadre légal

9. L’article 2.11 CBPI sous b) dispose que l’OBPI refuse d’enregistrer une marque lorsqu’il considère que la marque est dépourvue de caractère distinctif et sous c) qu’il refuse d’enregistrer une marque lorsqu’il considère que la marque est composée exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci.

Appréciation par la cour

10. Il y a lieu, tout d’abord, de rappeler que même s’il y a un chevauchement entre les champs d’application respectifs des motifs absolus d’enregistrement d’une marque (et notamment entre les motifs absolus repris ci-dessus de l’article 2.11, sous b. et c. CBPI), il n’en demeure pas moins que chacun des motifs de refus d’enregistrement est indépendant des autres et exige un examen séparé.

11. Il convient, ensuite, d’interpréter lesdits motifs absolus de refus à la lumière de l’intérêt général qui sous-tend chacun d’entre eux. L’interêt général pris en considération lors de l’examen de chacun de ces motifs de refus peut, voire doit refléter des considérations différentes, selon le motif de refus en cause.

12. L’intérêt général sous-jacent à l’article 2.11, b., CBPI, qui s’oppose à l’enregistrement d’une marque dépourvue de caractère distinctif, se confond, à l’évidence, avec la fonction essentielle de la marque qui est de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité de l’origine du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance.

13. Sous réserve de l’examen du caractère descriptif dans le sens de l’article 2.11.c. de la CBPI, le signe verbal DERM’INTIM n’est pas dépourvu de caractère distinctif pour les produits concernés des classes 3 et 5, dès lors que rien ne permet de constater que ce signe n’est pas en mesure d’informer le consommateur ou l’utilisateur final quant à la provenance de ces produits. Il garantit l’identité d’origine des produits concernés quant à leur provenance de l’entreprise de la requérante.

14. En effet, le caractère distinctif doit être apprécié in concreto, d’une part, par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement est demandé et, d’autre part, par rapport à la perception que le public pertinent en a.

15. S’agissant de produits cosmétiques, le public pertinent, dans le cas d’espèce, est le consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et diligent.

16. S’agissant d’une demande d’enregistrement pour le Benelux, ce consommateur moyen utilise une ou plusieurs langues parlées dans les trois pays concernés, à savoir le français, le néerlandais, l’allemand et/ou le luxembourgeois.

17. Ainsi, le public pertinent ne comprend pas, dans le domaine visé par la demande d’enregistrement de la marque, le signe verbal DERM’INTIM comme se référant dans son ensemble et de manière générale à des produits cosmétiques.

18. Il s’agit, dans la perception du public pertinent, d’une combinaison inhabituelle de deux éléments, même si chacun des deux éléments pris séparément rappelle des mots courants et usuels ayant un contenu précis.

19. En effet, s’agissant d’une marque complexe, l’appréciation de son caractère distinctif ne peut se limiter à une analyse de chacun de ses termes ou de ses éléments, considérés isolément, mais doit, en tout état de cause, se fonder sur la perception globale de cette marque par le public pertinent et non sur la présomption que des éléments dépourvus isolément de caractère distinctif ne peuvent, une fois combinés, présenter un tel caractère.

20. La seule circonstance que chacun de ces éléments, pris séparément, est dépourvu de caractère distinctif n’exclut pas que la combinaison qu’ils forment puisse présenter un tel caractère.

21. Le résultat obtenu par la juxtaposition inhabituelle des deux termes donne un signe qui ne correspond pas au yeux du public pertinent à la désignation de produits cosmétiques, ou à l’une de leurs caractéristiques.

En outre, en supprimant le ‘e’, on aboutit à des sons différents de celui qui aurait été obtenu si la marque avait joint ‘derme’ et ‘intime’. Derm’intime est un néologisme, c’est-à-dire ‘un mot nouvellement créé’

22. Le signe verbal DERM’INTIM ne présente aucun lien direct et concret avec les produits pour lesquels l’enregistrement est demandé.

23. Sous réserve de l’incidence de son caractère prétendument descriptif, il est apte à distinguer les produits concernés quant à leur provenance, de sorte que le refus d’enregistrement fondé sur l’absence de caractère distinctif n’est pas fondé.

24. L’intérêt général sous-jacent à l’article 2.11, c., CBPI, qui s’oppose à l’enregistrement d’une marque dite descriptive, exige que les signes ou indications, pouvant servir dans le commerce pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou toute autre caractéristique de celui-ci, soient laissés à la libre disposition de tous.

25. Il convient de relever que, pour qu’une marque constituée d’un mot résultant d’une combinaison d’éléments soit considérée comme descriptive, il ne suffit pas qu’un éventuel caractère descriptif soit constaté pour chacun de ces éléments. Un tel caractère doit être constaté pour le mot lui-même.

26. En règle générale, la simple combinaison d’éléments dont chacun est descriptif de caractéristiques des produits ou des services pour lesquels l’enregistrement est demandé reste elle-même descriptive desdits caractéristiques.

27. Toutefois, une telle combinaison peut ne pas être descriptive, à condition qu’elle crée une impression suffisamment éloignée de celle produite par la simple réunion desdits éléments.

28. Dés lors, si, s’agissant d’une marque composée de mots, un éventuel caractère descriptif peut être examiné, en partie, pour chacun de ses éléments, pris séparément, il doit, en tout état de cause, dépendre d’un examen de l’ensemble qu’ils composent.

29. Le BBM (actuellement l’OBPI) est donc tenu de procéder à l’appréciation du caractère descriptif de la marque, considérée dans son ensemble.

30. Comme il a déjà été constaté plus haut, le signe verbal DERM’INTIM est composé de deux mots qui sont compris par le public pertinent et ce public ne les utilise pas pour désigner des produits cosmétiques.

31. Le signe, pris dans son ensemble, ne décrit pas les caractéristiques des produits concernés. Il n’a pas, en relation directe et immédiate avec les produits concernés, une signification propre. Il n’évoque pas immédiatement et concrètement les produits concernés ou l’une de leurs caractéristiques.

32. Il s’agit d’un néologisme, issu d’une combinaison fantaisiste et inhabituelle d’ordre sémantique dû à la présence de l’apostrophe entre « derm » et « intim ».

33. Enfin, il n’est pas prouvé que la marque soit composée exclusivement de signes ou indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce.
Il ne paraît en outre pas raisonnable de considérer qu’à l’avenir le signe ‘derm’intim’ devienne un signe usuel pour désigner les produits pour lesquels la protection est réclamée.

34. Le signe verbal DERM’INTIM n’étant ni descriptif, ni dépourvu de caractère distinctif, c’est à tort que le BBM (actuellement l’OBPI) a refusé son enregistrement comme marque se référant à l’article 2.11., b. et c., CBPI.

35. Le recours est fondé.

Les dépens

36. Les parties ont déclaré à l’audience où elles ont été entendues, qu’elles se tenaient à l’indemnité de procédure de base, fixée par l’arrêté royal du 26 octobre 2007.

37. S’agissant d’un litige dont le montant n’est pas évaluable en argent, il y a lieu de taxer les indemnités de procédure à 1.200 euros.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Vu la loi du 15 juin 1935 relative à l’emploi des langues en matière judiciaire.


Statuant contradictoirement,

Reçoit le recours et le déclaré fondé.

Ordonne à l’ORGANISATION BENELUX DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE et à son BUREAU de procéder à l’enregistrement dans le registre des marques du Benelux du dépôt international effectué par la requérante le 10 décembre 2004 sous le numéro 842 163 du signe verbal « DERM’INTIM » pour les produits des classes 3 et 5, à savoir « savons de toilette, cosmétiques » (classe 3) et « produits dermo-cosmétiques pour l’hygiène » (classe 5).

Condamne la défenderesse aux dépens, liquidés à 1.200 euros pour elle-même et à (186 + 1.200 =) 1.386 euros pour la requérante.


Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de la Chambre 18 de la Cour d’appel de Bruxelles, le 13 juin 2008

Où étaient présents :

Monsieur P. BLONDEEL, Président
Madame C. SCHURMANS, Conseiller
Monsieur K. MOENS, Conseiller
Madame L. NAESSENS, Greffier adjoint principal