La COUR D'APPEL de Bruxelles, 8ème chambre, après délibération, prononce l'arrêt suivant :
1998/AR/3412 & 1998/AR/3413 & 1998/AR/3415
DANS LA CAUSE DE :
La SA BANQUE ARTESIA,
dont le siège social est à 1000 Bruxelles, Boulevard Emile Jacqmain 162,
inscrite au registre de commerce de Bruxelles sous le numéro 310.763;
appelante,
représentée par Me Van Innis Thierry, avocat à 1150 Bruxelles, avenue de Tervueren 268
CONTRE :
Le BUREAU BENELUX DES MARQUES, en abrégé BBM, administration commune aux pays du Benelux, dont le siège est à 2591 XR La Haye, Pays-Bas,Bordewijklaan 15;
intimé,
représenté par Me De Gryse Ludovic, avocat à 1060 Bruxelles, rue Henri Wafelaerts, 47-51;
* * *
Vu les pièces de la procédure et entre autres les trois requêtes déposées au greffe de la Cour le 8 décembre 1998, par lesquelles la S.A. Banque Artesia demande en vertu de l’article 6ter de la Loi Benelux sur les marques et dans le délai fixé dans cet article qu’il soit ordonné au Bureau Benelux des Marques d’enregistrer trois dépôts;
Entendu les conseils des parties à l’audience du 19 octobre 1999;
Jonction
Attendu que les affaires portant les numéros de rôle 1998/3412, 1998/3413 et 1998/3415 ont un lien de connexité étant donné qu’elles concernent toutes un même litige, à savoir le refus du Bureau Benelux des Marques d’enregistrer les trois signes présentés pour un dépôt de marque;
qu’il convient dès lors de les joindre aux fins de les vider par un seul et même arrêt;
Les faits et l’objet de la demande
Attendu que la demanderesse a présenté le 5 septembre 1997 trois signes verbaux en vue de l’enregistrement d’un dépôt de marque au Bureau Benelux des Marques (en abrégé BBM) pour les classes 9, 16, 36 et 42, dont principalement les cartes bancaires et les services financiers;
qu’il s’agit des signes: “WAAR BANKIEREN EEN KUNST IS”, “L’ART DE LA BANQUE” et “THE ART OF BANKING”;
Attendu que le BBM a communiqué le 3 février 1998 au mandataire de la demanderesse qu’il refusait provisoirement l’enregistrement des trois signes mentionnés parce que ces signes étaient dépourvus de tout caractère distinctif quant à l’activité bancaire pour les produits et services indiqués dans les classes précitées;
Attendu qu’une correspondance a été échangée entre le mandataire de la demanderesse et la défenderesse pendant la période subséquente de six mois et que cette dernière a notifié le 8 octobre 1998 son refus définitif d’enregistrer les dépôts vu que ses objections à l’encontre de l’enregistrement n’avaient pas été levées dans le délai fixé;
Attendu qu’Artesia a invoqué à l’encontre du refus provisoire du BBM que les signes reposaient certes sur un slogan, mais possédaient, considérés dans leur ensemble, un caractère distinctif;
qu’elle a soutenu en ordre subsidiaire que les slogans étaient consacrés par l’usage depuis des années et avaient acquis de toute façon un caractère distinctif pour ce motif;
Attendu que le BBM a répliqué qu’un slogan ne peut servir de marque que s’il représente un peu plus qu’une simple phrase de sorte que le public puisse percevoir la phrase comme une marque;
qu’il a affirmé à propos de la consécration par l’usage que le signe non distinctif doit avoir fait l’objet d’un usage long et intensif comme marque dans le Benelux ou une partie importante de celui-ci et qu’un tel usage n’a pas été démontré;
qu’il a fait remarquer par ailleurs que dans les pièces à conviction les slogans étaient chaque fois utilisés en combinaison avec “Paribas”;
Attendu que les parties ont persisté chacune dans leur point de vue et que le BBM a signifié le 8 octobre 1998 que vu que ses objections n’avaient pas été levées dans le délai imparti (de six mois), les enregistrements étaient définitivement refusés; qu’il s’est référé à cet égard à la lettre du 3 février 1998 et à la correspondance subséquente;
Attendu que la demanderesse a entre-temps déposé le 13 octobre 1998 les mêmes slogans en vue de leur enregistrement, mais en ajoutant le mot “Artesia”, ce qui a été accepté par le BBM comme un signe distinctif; Attendu que la demanderesse, qui a déposé sa requête introductive juste dans le délai de deux mois fait en premier lieu grief au BBM de ne pas avoir motivé sa décision de refus; qu’elle expose par ailleurs que le BBM ne prouve pas le motif de nullité qu’il invoque; qu’elle allègue enfin que le BBM n’a pas attesté de manière motivée que les signes verbaux déposés n’étaient pas aptes, pour tous les produits et services visés dans le dépôt, à être perçus par le public concerné dans le Benelux comme une marque individuelle pour tous ces produits et services, provenant d’une entreprise déterminée;
Attendu que la demanderesse demande ce faisant qu’il soit ordonné au BBM de procéder à l’enregistrement des dépôts numérotés 083016, 083017 et 083018 et qu’il soit condamné aux dépens;
Attendu que le BBM conteste chacun de ces griefs et soutient que la demande doit être rejetée;
Appréciation
Le grief concernant la motivation
Attendu qu’en vertu de l’article 6bis, alinéas 3 et 4, de la LBM, le BBM doit informer le déposant sans délai et par écrit de son intention de refuser l’enregistrement et l’informer sans délai et par écrit du refus subséquent de l’enregistrement en indiquant les motifs;
Attendu que dans ses lettres du 3 février 1998 annonçant l’intention de refuser l’enregistrement, le BBM a indiqué comme motif que les signes étaient dépourvus de tout caractère distinctif pour les classes de produits et services visées par le déposant;
Attendu que les parties ont étayé leurs points de vue dans la correspondance échangée pendant le délai de six mois prenant cours après le 3 février 1998 et permettant de lever les objections du BBM;
que le BBM a refusé l’enregistrement définitivement dans sa lettre du 8 octobre 1998 en se référant au motif indiqué dans la lettre du 3 février 1998 et à la correspondance échangée;
Attendu que le BBM a ainsi indiqué dûment les motifs qui justifient à ses yeux le refus de l’enregistrement du dépôt et a respecté son obligation légale;
que le grief tiré du prétendu défaut de motivation est dès lors dénué de fondement;
L’examen du dépôt
Attendu qu’il ressort du commentaire commun des gouvernements annexé au Protocole du 2 décembre 1992 portant modification de la LBM - produisant ses effets le 1er janvier 1996 - que l’on a choisi de confier le soin au BBM d’exercer comme autorité compétente un contrôle préventif quant à la validité des dépôts de marque présentés à l’enregistrement dans le registre des marques (Moniteur belge 12 mars 1996, 5325 et suivantes);
que cette option a été justifiée tant en fonction de la fiabilité du registre que pour promouvoir la sécurité juridique des déposants et des tiers;
Attendu que l’article 6bis de la LBM a conféré ainsi au BBM la mission de refuser l’enregistrement dans deux éventualités, à savoir lorsqu’il considère (a) que le signe déposé est dépourvu de tout caractère distinctif au sens de l’article 6 quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris et (b) que le dépôt se rapporte à une marque visée à l’article 4, sous 1 et 2, de la LBM;
Attendu que dans l’exercice de cette compétence, le BBM conduit dans toute son étendue une politique tendant à contrôler préventivement quant au fond la validité des dépôts présentés à l’enregistrement;
que, toujours selon le commentaire précité des gouvernements, il doit faire régulariser ou refuser “les dépôts manifestement inadmissibles”,
ce qui semble devoir être compris en ce sens qu’il doit avoir une attitude réservée et n’assure donc pas une interprétation parallèle de la LBM;
que le BBM se laisse dès lors guider par l’interprétation déjà apportée par la Cour de Justice Benelux de même que par la Cour de justice des Communautés européennes, via l’interprétation de la première directive d’harmonisation du 21 décembre 1988 et le cas échéant du Règlement n° 40/94 sur la marque communautaire, cette interprétation primant sur celle de la Cour de Justice Benelux;
Attendu que dans les limites de la compétence examinée, le BBM ne supporte pas à l’égard d’un déposant la charge de la preuve que les droits déjà acquis par un dépôt sont entachés de nullité pour l’un des deux motifs qu’il est autorisé à prendre en considération pour étayer le refus de l’enregistrement;
Attendu qu’en effet le déposant n’acquiert les droits que la LBM rattache au dépôt que si le signe déposé est effectivement enregistré;
qu’une fois l’enregistrement obtenu, le dépôt produit ses effets - éventuellement en termes de droits prioritaires à l’égard du dépôt ultérieur par un tiers - à partir de la date du dépôt;
que cette conception trouve au demeurant appui également dans l’article 4 de la LBM, qui prévoit que le dépôt n’est pas attributif du droit à la marque dans les cas énumérés dans cet article et dans les limites des articles 6bis, 6ter et 14 de la LBM;
Attendu qu’en refusant l’enregistrement le BBM empêche par conséquent que des droits de marque soient acquis nonobstant le dépôt et ne doit dès lors pas prouver la nullité des droits acquis pendant la période durant laquelle il se propose de refuser un enregistrement;
Attendu que la demanderesse, après avoir considéré que ses objections n’étaient pas levées dans le délai réglementaire de six mois, a pu décider ainsi dans les limites de l’article 6bis de la LBM de ne pas enregistrer les dépôts;
Sur le motif de refus invoqué par le BBM
Attendu que le BBM a affirmé que les dépôts “De kunst van het bankieren”, “L’art de la banque” et “The art of banking” ne pouvaient être enregistrés parce qu’ils étaient dépourvus de tout caractère distinctif (motif de refus tiré de l’article 6bis 1.a de la LBM;
Attendu que le BBM déduit l’absence de caractère distinctif de ces signes pour les classes de produits et services visés dans le dépôt et qui concernent l’activité bancaire du fait qu’il s’agit de slogans qui n’ont rien “d’extraordinaire” et que le public n’identifierait pas non plus ces phrases comme des marques mais comme une simple recommandation;
que s’agissant de la consécration par l’usage alléguée pour des signes non distinctifs par hypothèse, il soutient qu’ils n’ont pas acquis un caractère distinctif par l’effet d’un usage intensif et de longue durée dans le Benelux;
Attendu que le Protocole du 2 décembre 1992 vise à adapter la LBM à la première directive du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques; que l’interprétation de la LBM s’opère dès lors à la lumière du contenu de ladite directive (Cour de Justice Benelux, 16 décembre 1998 en cause Dior/Evora);
Attendu que le motif de refus visé à l’article 6bis, sous 1.a, qui concerne le défaut de tout caractère distinctif par référence à la Convention de Paris, est autonome et correspond à celui institué à l’article 3, § 1, a, de la directive précitée;
Attendu que la notion de “caractère distinctif” doit être comprise en ce sens que la marque est apte à identifier le produit ou service pour lequel l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et donc à distinguer celui-ci de ceux d’autres entreprises (CJCE 4 mai 1999, en cause Windsurfing Chiemsee, C-108/97 et C-109/97, attendu 49; CJCE 20 juin 1999, en cause Lloyd Schuhfabrik Meyer, C-342/97, attendu 22);
Attendu que la demanderesse ne conteste pas qu’elle a déposé des slogans comme signe servant de marque;
qu’un slogan vise dans le langage courant à faire une communication suggestive en des termes lapidaires;
Attendu qu’un slogan peut devenir une marque s’il est à même de conférer une identité aux produits et services qu’il entend rendre identifiables comme provenant d’une entreprise déterminée (ce qu’il entend également suggérer);
Attendu que les slogans ne constituent cependant pas une abstraction, tel un quelconque signe verbal isolé, mais que les mots constitutifs de ce slogan présentent un lien intellectuel réciproque, dont la portée pourrait certes s’estomper par un usage intensif du slogan, mais renvoient en l’espèce à une qualité déterminée de l’activité bancaire;
Attendu que l’ensemble des mots qui forment les slogans, sans adjonction d’un quelconque signe verbal disparate, n’évoquent néanmoins rien de plus que la maîtrise d’un domaine déterminé, ce qui apparaît forcément banal et que les slogans ne sont dès lors pas aptes à distinguer un produit ou service de produits ou services similaires offertes par autrui;
qu’il ressort d’ailleurs des pièces produites que des membres de phrase qui évoquent “l’art” d’une profession déterminée - en l’espèce la banque - sont utilisés de manière éparse pour des professions dans des secteurs très variés (entrepreneurs, gastronomie, service) et entre autres par différents banquiers;
que les slogans étaient d’ailleurs utilisés auparavant par la demanderesse chaque fois en corrélation immédiate avec sa marque “Paribas” (actuellement remplacée par Artesia);
Attendu que, dans ces conditions, on ne peut pas admettre que le public auquel ces signes sont destinés pourrait, à la seule vue de l’un des slogans cités, identifier les produits et services visés comme provenant de la S.A. Artesia et qu’ils pourraient dès lors être perçus comme des signes servant de marque;
Attendu que le BBM a dès lors déclaré à bon droit que les signes déposés sont dépourvus de tout caractère distinctif;
Attendu que la demanderesse ne reproche au demeurant pas au BBM d’avoir considéré que les signes refus n’avaient pas acquis de caractère distinctif par l’effet de la consécration par l’usage de sorte qu’il n’y a pas lieu d’examiner cet aspect plus en détail;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant contradictoirement,
Vu l’article 24 de la loi du 15 juin 1935 relative à l’emploi des langues en matière judiciaire;
Joint les affaires portant les numéros de rôle 1998/RG/3412, 1998/RG/3413 et 1998/RG/3415;
Reçoit les demandes mais les rejette.
Condamne la demanderesse au paiement des frais de l’instance, taxés à 7.500 + 2.100 + 8.400 + 7.500 + 2.100 + 7.500 + 2.100 francs pour elle-même et à 8.500 francs pour le Bureau Benelux des Marques.
AINSI JUGE PAR :
Madame VAN CAUWELAERT K., Président,
Monsieur BLONDEEL P., Conseiller,
Monsieur RAES S., Conseiller,
magistrats de la 8ème CHAMBRE de la cour d’appel de BRUXELLES, qui ont pris part au délibéré conformément à l’article 778 du Code judiciaire,
et,
vu l’empêchement légal de Madame le Président VAN CAUWELAERT
PRONONCE, conformément à l’ordonnance de monsieur le Premier Président du 22.XII.1999 et en application de l’article 779 du Code judiciaire, à l’audience publique de cette même chambre le 22.XII.1999
OU ETAIENT PRESENTS :
Monsieur BLONDEEL P., Conseiller f.f. de président,
Monsieur CLAEYS BOUUAERT P., Conseiller,
Monsieur RAES S., Conseiller,
Monsieur DE COOMAN, Greffier adjoint.