Numéro de requête 9089 (R97/154HR

Date
Instance
CASS NL
Marque
CHICKEN TONIGHT
Numéro de dépôt
Déposant
Unilever N.V.
Texte

23 février 2001 
Première Chambre 
No de Requête: 9089 (R97/154HR) 

HOGE RAAD DER NEDERLANDEN 

Ordonnance

dans la cause de:

UNILEVER N.V.
dont le siège est à Rotterdam, 

REQUERANTE en cassation, 
Avocat : Me J.L.R.A. Huydecoper, 

contre

la personne morale de droit international LE BUREAU BENELUX DES MARQUES
dont le siège est à La Haye, 

DEFENDEUR en cassation, 
Avocat : Me S.V. Langeveld. 

1. La procédure

Pour le déroulement de la procédure à ce jour, le Hoge Raad renvoie à son ordonnance interlocutoire du 6 novembre 1998. Par cette ordonnance interlocutoire, le Hoge Raad a sursis à statuer dans cette affaire jusqu'à ce que la Cour de Justice Benelux ait rendu son arrêt dans l'affaire de Campina Melkunie B.V. contre le Bureau Benelux des Marques (ci-après : le BBM). Par un arrêt du 26 juin 2000 (NJ 2000, 551), la Cour de Justice Benelux a statué dans cette affaire et dit pour droit à l'égard de la question posée sous 1 : 

La décision rendue en vertu de l'article 6ter de la LBM est susceptible d'un pourvoi en cassation si et dans la mesure où les règles nationales concernées de la procédure civile autorisent le pourvoi en cassation contre les décisions rendues sur requête par le juge civil. 

2. La procédure après la suspension

Monsieur l'avocat général F.B. Bakels conclut au rejet du pourvoi tout en réservant à statuer sur la condamnation aux dépens. 

3. Appréciation de la recevabilité du pourvoi en cassation

Eu égard au dispositif de l'arrêt de la Cour de Justice Benelux en réponse à la question I, il convient d'examiner en vertu du droit néerlandais de la procédure civile si l'ordonnance attaquée de la cour est susceptible d'un pourvoi en cassation. La LBM ne contenant aucune disposition contraire, l'ordonnance attaquée de la cour est dès lors susceptible d'un pourvoi en cassation dans les deux mois suivant la date de l'ordonnance conformément à l'article 426, alinéa premier, du code de procédure civile. 

4. Appréciation du moyen

4.1. Les faits de la cause peuvent s'énoncer comme suit en cassation. 

(i) Le 1er mars 1996, Unilever a déposé, sous le numéro 867.369 une marque figurative, constituée de la reproduction d'un bocal, rempli d'une substance jaune et revêtu d'une étiquette portant les mots « UNOX », « CHICKEN TONIGHT » et « KERRIE », ainsi que les mots « sauce à l'étuvée pour poulet », pour 

la classe 29 : viande, poisson, volaille et gibier; extraits de viande; fruits et légumes conservés, séchés et cuits; oeufs, lait et produits laitiers, à savoir beurre, fromage, crème, yaourt, lait en poudre à des fins alimentaires; huiles et graisses comestibles, 

et la classe 30 : sucre, riz, tapioca, sagou; farine et préparations faites de céréales, pain, pâtisserie et confiserie, glaces comestibles; miel, sirop de mélasse; levure, poudre pour faire lever; sel, moutarde; vinaigre, sauces (y compris vinaigrette); épices; pâtes. 

(ii) Par lettre du 4 juin 1996, le BBM a fait savoir à Unilever qu'il refusait provisoirement (en partie) l'enregistrement du dépôt 866.369 et a indiqué comme motif de ce refus : 

«Etant donné que la reproduction du signe UNOX CHICKEN TONIGHT (fig.) porte manifestement sur une sauce à l'étuvée pour poulet, le signe est de nature à tromper le public pour tous les produits autres que la sauce à l'étuvée mentionnés dans les classes 29 et 30 (article 6bis, alinéa premier sous b de la loi uniforme Benelux sur les marques (...).» 

(iii) Après la réclamation d'Unilever, le BBM a, le 27 janvier 1997, refusé définitivement l'enregistrement du dépôt pour les produits mentionnés sous (i) dans les classes 29 et 30, tout en communiquant que la marque serait enregistrée pour la classe 30 : sauce à l'étuvée pour poulet. 

(iv) Le 4 avril 1996, Unilever a déposé, sous le numéro 868.723 une marque figurative, constituée de la reproduction d'un bocal, rempli d'une substance rougeâtre et revêtu d'une étiquette portant les mots « UNOX », « CHICKEN TONIGHT » et « HAWAIÏ », ainsi que les mots « sauce à l'étuvée pour poulet », pour en grande partie les mêmes produits dans les classes 29 et 30 que ceux mentionnés sous (i) ci-dessus. 

(v) Pour les mêmes motifs que ceux mentionnés sous (ii) ci-dessus, le BBM a, par lettre du 18 mars 1997, également refusé définitivement l'enregistrement de ce dépôt pour tous les produits dans les classes 29 et 30, excepté la sauce à l'étuvée pour poulet. 

4.2 La cour d'appel a rejeté la requête d'Unilever aux fins d'ordonner l'enregistrement des dépôts 866.369 et 868.723 également pour les produits refusés (sauf en ce qui concerne les produits viande, poisson, gibier et extraits de viande en classe 29 pour lesquels Unilever a retiré sa requête). Les motifs qui ont conduit à la cour, laquelle a condamné Unilever aux dépens de la procédure, à cette décision peuvent se résumer comme suit en cassation. 

A. Le BBM a basé ses décisions de refus sur l'article 6bis, alinéa 1er, sous b, en liaison avec l'article 4, sous 2, de la LBM. Pour l'appréciation de ces refus, il faut se fonder sur la marque telle qu'elle a été déposée. Les modifications de l'usage qui y ont été ou seront apportées ultérieurement ne doivent dès lors pas être prises en considération (attendus 3 et 4). 

B. Unilever invoque vainement l'article 5C, alinéa 2, de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle. Cette disposition porte exclusivement sur les effets de l'usage d'une marque sous une forme qui diffère quelque peu de la marque enregistrée et ne se prête pas à une application par analogie pour déterminer si l'on est en présence du motif de refus tiré de la tromperie du public (attendu 5). 

C. Du fait que les mots « CHICKEN TONIGHT » sont mentionnés en combinaison avec les mots « sauce à l'étuvée pour poulet », le public s'attendra à ce que les marques se rapportent à la sauce à l'étuvée pour poulet. De ce fait, l'usage des marques pour d'autres produits que la sauce à l'étuvée pour poulet peut avoir pour effet de tromper le public. Les dépôts ayant été effectués notamment d'autres produits similaires, on se trouve dans cette mesure en présence d'une tromperie éventuelle au ses de l'article 4, sous 2, de la LBM. (attendu 6). 

4.3 Les branches I, a-d, reviennent à dire qu'aux termes de son ordonnance, la cour a méconnu le fait que l'article 6bis, alinéa 1er, sous b, en liaison avec l'article 4, début et sous 2, de la LBM, doit, dans l'optique de l'article 14A, début et sous 1.c, de la LBM et de la première directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques (JOCE 1989, L40), être interprété en ce sens qu'il est permis (et il convient) de refuser l'enregistrement d'une marque ou, le cas échéant, de prononcer la nullité lorsque 

- soit on peut constater effectivement que la marque est ou sera utilisée par le titulaire ou en son nom d'une manière qui entraîne la tromperie du public ou fait craindre raisonnablement la tromperie du public; 

- soit la marque donnera lieu à une tromperie ou fera craindre raisonnablement la tromperie sous toute forme d'usage légitime à prendre raisonnablement en considération. 

4.4. Dans la mesure où ces branches partent de l'idée que la cour a jugé les signes déposés comme trompeurs en tant que tels, elles manquent en fait, étant donné que la cour a jugé ces deux signes trompeurs comme marque uniquement pour d'autres produits que la sauce à l'étuvée pour poulet, Dans cette mesure, les branches I, a-d, ne sauraient entraîner la cassation. 

4.5. Dans la mesure où les branches tendent à soutenir que le signe déposé doit être apprécié indépendamment de la liste annexée de produits à l'aide de l'usage à prévoir raisonnablement ou à constater effectivement qui en sera fait, elles manquent en droit, parce que la conception sous-jacente à cette thèse n'est pas correcte. Pour décider si l'enregistrement d'un signe déposé doit être refusé parce que son usage comme marque est de nature à tromper le public, il convient de faire intervenir dans l'appréciation les produits mentionnés lors du dépôt, auxquels la marque est destinée, comme l'exprime du reste le texte de l'article 4, début et sous 2, de la LBM. 

4.6 Les branches manquent également en droit dans la mesure où elles tendent à dire que le signe déposé doit certes être apprécié en fonction de la liste de produits mentionnés lors du dépôt, auxquels la marque est destinée, mais qu'il convient d'attribuer une signification décisive à l'usage à prévoir raisonnablement ou à constater effectivement – le moyen alléguant qu'il n'est pas trompeur dans le cas d'espèce – qui en sera fait. Le BBM et le juge ne doivent pas se baser uniquement sur le signe tel qu'il a été déposé et sur les produits mentionnés à cette occasion, mais doivent aussi prendre en considération tous les faits et circonstances pertinents qui ont été dûment portés à leur connaissance (CJB 26 juin 2000, affaire A 98/2, NJ 2000, 551). Quant à la signification qu'il revient d'accorder à la liste des produits auxquels la marque est destinée dans le cadre de cette décision, on ne peut toutefois pas, contrairement à ce que veut le moyen, compter parmi de tels faits pertinents la circonstance que le déposant a l'intention d'utiliser le signe tel qu'il a été déposé uniquement pour des produits pour lesquels l'usage n'est pas de nature à tromper le public. 

4.7 La branche I e (i) manque en fait. Contrairement à l'hypothèse retenue dans la branche, la cour n'a pas admis le bien-fondé ou s'est abstenue de décider du bien-fondé de la thèse d'Unilever que les marques litigieuses peuvent être utilisées licitement en vertu de l'article 5C, alinéa 2, de la Convention de Paris, en laissant tomber les mots « sauce à l'étuvée pour poulet ». Elle a rejeté cette thèse dans son attendu 5. La branche I e (i) ne saurait dès lors entraîner la cassation. 

4.8 Les branches I e (ii) et (iii) développent la branche I e (i) et ne peuvent donc pas davantage entraîner la cassation. 

4.9 La branche II n'ajoute pas d'éléments neufs à ce qui est exprimé dans la branche I et échoue pour cette raison. 

4.10 La branche III est dirigée contre la condamnation aux dépens prononcée par la cour à charge d'Unilever en soutenant qu'il n'est pas vraisemblable que la LBM ait voulu ouvrir cette possibilité dans le contexte des articles 6bis et 6ter. La cour a soumis à la Cour de Justice Benelux la question de savoir si une telle condamnation aux dépens est permise par une ordonnance du 3 juin 1999, BIE 1999, n° 82 dans l'affaire de Koninklijke PTT Nederland N.V. contre le BBM. Le Hoge Raad suspendra son examen de la branche III dans l'attente de la réponse de la Cour de Justice Benelux. 

5. Décision

Le Hoge Raad :

Rejette le pourvoi sauf en ce qui concerne la condamnation aux dépens prononcée par la cour; 

Réserve à statuer sur ce point et suspend l'instance jusqu'à ce que la Cour de Justice Benelux ait statué sur la question de savoir si le requérant dans une procédure en vertu de l'article 6ter de la LBM peut être condamné aux dépens. 

La présente ordonnance a été rendue par le vice-président P. Neleman en qualité de président, et par les conseillers W.H. Heemskerk, AA.E.M. van der Putt-Lauwers, J.B. Fleers et E.J. Numann, et prononcée à l'audience publique du 23 février 2001 par le conseiller W.H. Heemskerk.