Prononcé : 9 janvier 2003
No de la requête : R02/650
a rendu l'ordonnance suivante à la requête de :
la personne morale selon le droit de l'état de New York
INTERNATIONAL BUSINESS MACHINES CORPORATION,
dont le siège est à New York, Etats-Unis d'Amérique,
requérante,
(dénommée ci-après: IBM)
avoué : Me P.P.J.M. Verhaag,
avocats : Me M. Rorai à la Haye,
contre
le BUREAU BENELUX DES MARQUES,
dont le siège est à La Haye,
défendeur,
(dénommé ci-après : le Bureau Benelux des Marques)
avoué : C.J.J.C. van Nispen.
La procédure
Par requête parvenue au greffe de la cour le 9 septembre 2002, IBM a demandé à la cour d’ordonner au Bureau Benelux des Marques de procéder à l’enregistrement dans le registre des marques de son dépôt portant le numéro 979 946, cet ordre étant exécutoire par provision, et de condamner le Bureau Benelux des Marques aux dépens de l’instance.
Par mémoire en défense parvenu au greffe de la cour le 14 novembre 2002, le Bureau Benelux des Marques a demandé à la cour de rejeter la requête d’IBM, dépens comme de droit.
La procédure orale d’examen de la requête a eu lieu le 25 novembre 2002. Les parties ont fait exposer leurs points de vue par leurs conseils, et ce à l’aide de notes de plaidoirie.
Examen de la requête
1. La requête a été introduite dans le délai.
2. Les pièces de la procédure et les déclarations des parties ont fait apparaître ce qui suit.
a. IBM a déposé le 15 décembre 2000, sous le numéro 979946, le signe E-SERVER comme marque verbale pour les classes suivantes de produits et de services :
cl. 9 Ordinateurs; adaptateurs pour ordinateurs; composants et périphériques pour ordinateurs ; mémoires d’ordinateurs ; interfaces d’ordinateurs ; appareils de traitement des données ; imprimantes ; circuits intégrés ; circuits imprimés ; disques magnétiques ; disc drives; compact-discs; bandes magnétiques; enregistreurs sur bandes; machines à calculer ; calculatrices de poche ; registres de caisse ; fac-similé ; jeux vidéo ; écrans vidéo ; magnétoscopes ; vidéocassettes ; programmes d’ordinateurs ; documentation et modes d’emploi stockés sur des supports à lecture optique et relatifs à des ordinateurs ou programmes d’ordinateurs, au matériel informatique et au logiciel d’ordinateur pour l’application et la commande de fonctions système pour les besoins de l’utilisation dans l’interaction commerciale dans le domaine des réseaux d’ordinateurs à l’échelle mondiale.
cl. 16 Matériel d’instruction et d’enseignement ; documentation et publications concernant les ordinateurs et les programmes d’ordinateurs ; publications imprimées ; revues ; journaux ; imprimés, en ce compris les livres, brochures et manuels, dans la mesure où ils se rapportent à l’application de l’interaction commerciale dans le domaine des réseaux d’ordinateurs à l’échelle mondiale.
cl. 37 Installation et maintenance de matériel informatique.
cl. 38 Télécommunications; communications via des terminaux d’ordinateurs ; courrier électronique ; agences de presse et d’information ; transmission de données par ordinateur.
cl. 42 Création, liaison interne et essai de matériel informatique et de logiciels ; installation, mise à jour et maintenance de logiciels ; services dans le domaine de la sécurité de l’information, à utiliser pour l’interaction commerciale par un réseau d’ordinateurs à l’échelle mondiale ; programmation d’ordinateurs ; location de temps d’accès à des serveurs de bases de données ; études de projets techniques dans le domaine du matériel informatique et des logiciels ; conseils en matière de matériel informatique ; analyse de systèmes informatiques ; conseils et consultance concernant l’utilisation d’internet ; location d’ordinateurs et de logiciels ; services dans le domaine de la fourniture d’accès à des ordinateurs concernant la gestion des affaires commerciales ; services juridiques ; recherche scientifique et industrielle ; services journalistiques ; services dans le domaine des enregistrements vidéo ; fourniture d’équipements pour l’organisation de foires et expositions.
b. Après une correspondance avec le Bureau Benelux des Marques, IBM a renoncé à l’enregistrement du signe pour les services ‘fourniture d’équipements pour l’organisation de foires ou expositions’ (lettre du mandataire d’IBM du 21 juin 2001). Lesdits services ne font pas l’objet de la présente requête.
c. Par lettre du 1er août 2001, le Bureau Benelux des Marques a fait savoir qu’il refusait provisoirement l’enregistrement du dépôt. Comme motif(s), le Bureau Benelux des Marques a indiqué :
"Le signe E-Server est composé de l’indication e (pour électronique) qui est courante (dans le secteur TIC) et du nom générique server et est dépourvu de tout caractère distinctif pour les produits et services mentionnés dans les classes 9, 16, 37, 38 et 42 en ce qui concerne les serveurs en matière électronique (cf. art. 6bis, alinéa premier sous a de la loi uniforme Benelux sur les marques (…). La combinaison des éléments ne couvre pas le défaut de caractère distinctif."
d. Au nom d’IBM, réclamation a été déposée par lettre du 31 janvier 2002 contre le refus provisoire de l’enregistrement du dépôt.
e. Le Bureau Benelux des Marques n’a pas vu dans les objections avancées par IBM un motif de revoir son refus provisoire (lettre du Bureau Benelux des Marques du 27 mai 2002).
f. Par lettre du 8 juillet 2002, le Bureau Benelux des Marques a notifié à IBM sa décision portant refus définitif de l’enregistrement du dépôt.
3. IBM soutient que le signe 'E-SERVER' possède un caractère distinctif puisqu’il est composé de manière fantaisiste, inhabituelle et qu’il a ou peut avoir plusieurs significations. Elle se prévaut en outre à titre subsidiaire du fait que le signe a acquis un caractère distinctif par l’usage intensif qui en a été fait. Elle fait remarquer enfin que différents autres signes composés, commençant avec le signe ‘E-‘, ont été eux enregistrés dans le registre des marques Benelux.
Le Bureau Benelux des Marques a contesté les allégations d’IBM.
4. La présente affaire porte sur le point de savoir si le signe 'E-SERVER' est dépourvu de tout caractère distinctif pour les produits et services pour lesquels il a été déposé. La cour émet les considérations suivantes.
5. Le refus du Bureau Benelux des Marques d’enregistrer le dépôt se fonde sur l’article 6bis, alinéa premier, sous a, de la loi uniforme Benelux sur les marques (ci-après : LBM). Cet alinéa dispose que l’enregistrement est refusé lorsque le signe déposé ne constitue pas une marque au sens de l’article 1er de la LBM, ‘notamment pour défaut de tout caractère distinctif comme prévu à l'article 6 quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris.’
6. L’article précité de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle (Convention d’Union) est libellé comme suit, dans ses passages pertinents en l’espèce :
"B. Les marques de fabrique ou de commerce, visées par le présent article, ne pourront être refusées à l'enregistrement ou invalidées que dans les cas suivants :
1. ...
2. lorsqu'elles sont dépourvues de tout caractère distinctif, ou bien composées exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, le lieu d'origine des produits ou l'époque de production, ou devenus usuels dans le langage courant ou les habitudes loyales et constantes du commerce du pays où la protection est réclamée; (..)"
7. Pour déterminer si le signe possède dans son ensemble (depuis toujours) un caractère distinctif pour les produits et services concernés, il importe de connaître la signification qui lui sera rattachée dans la perception probable du public concerné. La cour entend par ce public, vu les déclarations d’IBM, le public général, constitué des consommateurs normalement informés et raisonnablement prudents et moyennement attentifs des produits et services concernés.
8. Le signe ‘E-SERVER’ déposé comme marque verbale est composé des éléments ‘e-‘ et ‘server’.
L’élément ‘e-‘ (avec ou sans trait d’union) est un préfixe qui remplace ‘électronique’, dans le sens de forme ‘électronique’ (non tangible) du mot qui lui est juxtaposé (cf. e-mail, e-zine, e-commerce). La cour passe outre à la contestation non argumentée de cette interprétation par IBM. L’utilisation de 'e-' dans le sens précité a acquis droit de cité. Le public ne va pas se demander – comme l’affirme IBM – si la lettre ‘e’ a une signification et, dans l’affirmative, laquelle. 'SERVER' est dans la signification courante du mot en néerlandais un terme générique pour un ‘ordinateur de réseau (*)' (Van Dale), ou 'un équipement informatique qui fournit des services dans un réseau, (*)' (Woordenboek Informatica en Telecommunicatie, Soest, 1999). Le terme provient (tout comme ‘e-‘ du monde de la TIC. Il est généralement combiné à un préfixe qui particularise le terme (ex. LAN-server, serveur de réseau). A l’opposé d’IBM, la cour juge improbable que le public comprendra ‘server’ comme l’indication de celui-qui sert dans un match de tennis. Une telle explication est encore moins évidente si le préfixe TIC ‘e-‘ est accolé au mot. Il n’est pas plausible non plus que le public Benelux percevra ‘server’ comme la traduction anglaise de domestique ou de serveur.
9. La cour estime que le public comprendra aussitôt le signe dans son ensemble comme l’indication d’un serveur électronique ou de la variante électronique d’un serveur. La cour ne suit pas IBM dans son raisonnement que le signe a un caractère distinctif parce que sa signification ne saute pas aux yeux ou qu’il s’agit d’un syntagme inhabituel, fantaisiste. Pour admettre le caractère distinctif, il ne suffit pas que, du moins aux dires d’IBM, le terme ait été imaginé, qui ne soit pas la description courante d’un appareil quelconque (existant). Il suit des considérations qui précèdent que le signe rassemble deux termes descriptifs de la manière habituelle. Le résultat est un concept banal, univoque, qui évoque directement des produits et services en relation avec un serveur électronique. On n’observe nullement d’écart notable avec la façon dont de tels produits et services (leur caractéristiques) sont désignés dans le langage courant des consommateurs concernés. Le signe est aussi déposé pour ces produits et services. La cour estime que le signe est composé exclusivement d’une dénomination pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité ou la destination des produits et services pour lesquels il est déposé. Le signe est ainsi dépourvu de tout caractère distinctif pour ces produits et services.
10. IBM se prévaut en outre du fait que le signe litigieux a acquis un caractère distinctif en raison de l’usage intensif qui en a été fait. Elle affirme à cet égard que si l’on cherche le terme ‘e-server’ sur internet, on ne trouvera pratiquement que des occurrences qui mentionnent le syntagme 'IBM e-server'. Même si l’affirmation d’IBM est fondée, la cour n’y voit pas un motif suffisant pour admettre que le public Benelux percevra le signe – considéré en soi – comme une marque qui identifie les produits et services comme provenant d’une entreprise. IBM n’a pas produit (du reste) des pièces attestant la consécration par l’usage. La cour rejette le moyen tiré de la consécration par l’usage.
11. Enfin, IBM ne saurait tirer profit du fait que différents autres signes composés, commençant avec le signe ‘e-‘, ont été enregistrés dans le registre des marques Benelux. La cour relève que, ainsi qu’il ressort des pièces versées aux débats par le Bureau Benelux des Marques, il s’agit, en partie du moins, de marques figuratives. Il est néanmoins déterminant que le signe litigieux ne peut pas emprunter son caractère distinctif à d’autres signes et qu’il doit être apprécié suivant ses mérites propres.
12. Eu égard à ce qui précède, la cour estime que le signe déposé est dépourvu de tout caractère distinctif pour les produits pour lesquels il est déposé au sens de l’art. 6bis, alinéa premier, sous a, de la LBM. Pour le cas où IBM entendrait affirmer que le signe n’est pas descriptif pour une partie des produits et services pour lesquels il est déposé, la cour passe outre, dès lors que la requête vise à faire enregistrer le dépôt dans son ensemble.
13. La conclusion est que la requête d’IBM sera rejetée. Etant partie succombante, IBM sera condamnée aux dépens de l’instance, dans la mesure où des frais ont été exposés dans le chef du Bureau Benelux des Marques.
Décision
La cour :
rejette la requête d’IBM;
condamne IBM aux dépens de l’instance et fixe ceux-ci jusqu’à ce prononcé au montant de € 1542,- dans le chef du Bureau Benelux des Marques.
La présente ordonnance a été rendue par les conseillers Fasseur-van Santen, Van Sandick et Kiers-Becking, et a été prononcée à l’audience publique du 9 janvier 2003, en présence du greffier.