après délibéré, prononce l’arrêt suivant:
R.G. N°. 2006/AR/1592
EN CAUSE DE:
La société de droit allemand LIDL STIFTUNG & CO. KG, ayant son siège social à 74167 NECKARSULM (ALLEMAGNE), Stiftsbergstrasse 1, ci après « LIDL »,
demanderesse,
représentée par Maître VANDEREECKT Bart (BRUXELLES) loco DEMEUR Martine, avocat à 1000 BRUXELLES, boulevard de l’Empereur 3,
CONTRE:
L’ORGANISATION BENELUX DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE
instituée par la Convention Benelux en matière de Propriété Intellectuelle (marques et dessins ou modèles), ayant la personnalité juridique, représentée par le directeur général de son Bureau, dont le siège social est aux PAYS-BAS, 2591 XR LA HAYE, Borderwijklaan 15,
défenderesse,
représentée par Maîtres Ludovic DE GRYSE, avocat à la Cour de cassation et Brigitte DAUWE, avocate au barreau de Bruxelles, dont le cabinet est établi à 1000 BRUXELLES, rue de Loxum 25, ainsi que par Me EYERS Céline (BRUXELLES).
I. La procédure devant la cour.
01. Par requête déposée le 09 juin 2006 la cour est saisie d’un recours contre une décision du Bureau Benelux des Marques du 11 avril 2006 sur la base de l’article 6 ter de la Loi Uniforme Benelux sur les Marques (LBM), actuellement abrogée.
La décision attaquée porte sur un refus d’enregistrement d’une marque verbale, déposée le 15 février 2005.
02. La compétence pour connaître du litige est actuellement attribuée à la cour par l’article 2.12 de la Convention Benelux en matière de Propriété Intellectuelle (CBPI) du 25 février 2005, entrée en vigueur le 01 september 2006.
L’organisation de la Propriété Intellectuelle est l’ayant cause du Bureau Benelux des Marques (BBM) et a succédané à toutes les obligations de celui-ci. Elle est représentée par le directeur général de l’Office Benelux de la Propriété Intellectuelle (OBPI).
03. Le recours a été introduit dans le délai de deux mois prescrit par l’article 6 ter 1. de la LBM et est dès lors recevable.
04. Les avocats des parties ont été entendus en leurs moyens à l’audience publique du 17 décembre 2007.
II. L’origine du litige et la demande.
05. La requérante a déposé le 15 février 2005 une marque verbale ‘ASIAN DELIGHT’ pour les produits des classes administratives 29 et 30.
Le dépôt porte le numéro 1071772.
Les produits énumérés dans la demande d’enregistrement sont les suivants: fruits et légumes conservés, séchés et cuits ; conserves de fruits et légumes, en particulier de pickles, huiles et graisses comestibles ; potages, mets prêts non compris dans d’autres classes, produits à grignoter non compris dans d’autres classes, lait de coco (classe 29) et : thé, riz, pâtes alimentaires, sauces (condiments), épices, mets, mets non compris dans d’autres classes, spécialités de salade (délicatesses) non comprises dans d’autres classes ; produits à grignoter non comprises dans d’autres classes ; sushi (classe 30).
06. Par lettre du 29 mars 2005 le BBM a notifié au mandataire de la requérante une décision provisoire de refus d’enregistrement aux motif(s) suivant(s) :
‘Le signe ASIAN DELIGHT, composé exclusivement de la dénomination géographique ASIAN (anglais pour asiatique) et de la dénomination DELIGHT (anglais pour délices) peut servir à désigner, dans le commerce, l’espèce ou la provenance géographique des produits repris en classes 29 et 30 qui sont d’origine d’Asie ou préparés d’une façon asiatique. Le signe est dès lors dépourvu de tout caractère distinctif (article 6 bis, par. 1er, sous b. et c. de la Loi Uniforme Benelux sur les marques, en annexe)’.
Les dispositions de l’article 6 bis, premier alinéa sous b. et c. auxquelles renvoie le Bureau correspondent aux dispositions de l’article 2.11.1.b. et c. de la CBPI.
Il s’agit des cas où la marque est dépourvue de caractère distinctif (article 2.11.1.b) et où elle est composée exclusivement de signes ou indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autre caractéristiques de ceux-ci (article 2.11.1.c.).
07. En réponse à cette communication, le cabinet Bede, mandataire de la requérante, a dans une lettre circonstanciée du 23 septembre 2005 formulé son point de vue, lequel peut être résumé comme suit.
Il y est tout d’abord fait reproche au BBM qui invoque deux motifs de refus d’omettre de considérer ceux-ci comme autonomes et dès lors de ne pas différencier entre les situations que ces motifs visent. Il en est déduit que le refus provisoire n’est pas motivé de façon régulière.
Ensuite il y est exposé qu’il incombe au BBM d’établir l’absence de pouvoir distinctif, voire le caractère descriptif de la marque déposée et indiqué que cette preuve n’est pas rapportée.
Plus spécialement en ce qui concerne le caractère prétendument descriptif du signe, le mandataire expose que la langue anglaise n’est pas une des langues du Benelux et qu’elle ne peut dès lors être considérée comme une langue comprise par une grande partie du public concerné.
En ce qui concerne le pouvoir distinctif, il reconnaît que chacun des mots du vocable pourrait être traduit en une des langues du Benelux, mais fait valoir que la combinaison des deux termes, dont ‘delight’ constitue l’élément prépondérant, produit une présentation inhabituelle et revêt ainsi un caractère distinctif.
Quant au caractère descriptif, il argue de ce que si le terme ‘asian’ pourrait être compris comme indiquant l’origine des produits, le terme ‘delight’ ne pourrait être perçu comme une traduction des mots ‘délice’ – ou ‘genot’ en langue néerlandaise – et qu’étant purement arbitraire par rapport aux produits des classes 29 et 30, il ne révèle aucune caractéristique essentielle desdits produits.
Par ailleurs il indique que le déposant ne revendique aucunement un droit exclusif sur le mot ‘asian’.
08. Estimant que ses objections contre l’enregistrement n’avaient pas été levées, le BBM les a maintenues et il s’en est explique plus amplement dans sa lettre du 15 décembre 2005.
A la critique relative au caractère autonome des deux motifs absolus de refus, il répond que le manque de caractère distinctif se déduit de façon complémentaire du fait du caractère descriptif du vocable.
Il ajoute qu’il suffit que le vocable puisse être utilisé pour désigner des caractéristique de produits ou services pour constater le caractère descriptif et exprime sa conviction que la connaissance de la langue anglaise est suffisamment répandue sur le territoire du Benelux pour que les indications ‘asian’ et ‘delight’ soient perçues dans leur sens descriptif.
A cet égard il signale d’une part que le terme ‘asian’ est descriptif pour l’origine asiatique et d’autre part que les produits pour lesquels la marque est déposée sont utilisés dans la cuisine asiatique. Il évoque aussi l’hypothèse que le public puisse mettre en rapport direct le terme ‘delight’ avec la qualité des produits : il s’agirait d’une description louangeuse.
Il renvoie ensuite à la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) pour soutenir sa thèse selon laquelle il y al lieu de considérer que vu le caractère descriptif des deux composantes du vocable, son ensemble est également descriptif, les deux éléments étant simplement réunis sans autre présentation inhabituelle.
Il en conclut que le vocable ‘asian delight’ n’est pas apte à identifier les produits concernés quant à leur provenance et qu’il ne peut dès lors remplir la fonction de marque.
09. Le refus formel d’enregistrement a été notifié le 11 avril 2006. Dans cette lettre le Bureau déclare se référer à ‘(sa) lettre du 29 mars 2005 ainsi qu’au courrier subséquent y relatif’ et constate que ses objections n’ont pas été levées dans le délai imparti.
La requête introductive devant la cour ne fait référence qu’à la décision de refus définitive (…) communiquée par courrier 11 avril 2006’, mais il se comprend qu’en indiquant cette décision, la requérante vise aussi le contenu des courriers du 29 mars 2005 et du 15 décembre 2005, qui forment un tout avec la lettre du 11 avril 2006.
10. La requérante poursuit la condamnation de l’OBPI à enregistrer le signe ‘ASIAN DELIGHT’ déposé sous le numéro 1.071.772 suivant les termes du dépôt pour les produits des classes 29 et 30.
III. La position des parties.
11. La requérante estime que la décision n’est pas légalement fondée en ce que l’Office n’explique pas en quoi les mêmes raisons justifient le refus d’enregistrement au regard des deux motifs de refus invoqués qui sont en droit distincts : le manque de pouvoir distinctif d’une part et le caractère dit exclusivement descriptif du vocable ‘asian delight’ d’autre part.
Elle considère que pour le consommateur moyen du Benelux, le mot ‘delight’ revêt un caractère fantaisiste sans rapport avec une caractéristique des produits concernés. Le terme en question n’aurait d’autre portée que d’exprimer une émotion.
Elle estime que le public qui comprend ce terme anglais le rapprochera du vocable ’turkish delight’, qui est utilisé pour le produit d’origine turque ‘loukoum’, et comprendra ainsi que ‘asian delight’ ne dévoile aucune caractéristique des produits pour lesquels cette marque serait utilisée.
Par ailleurs elle dénonce le caractère arbitraire de la décision attaquée en faisant état de la pratique décisionnelle de l’Office, qui a enregistré différentes marques comprenant le mot ‘delight’ en combinaison avec un seul autre mot comme : cool, sunny, fruits, seafood, southern, double, red et heart’s.
Enfin elle fait état de ce que le signe ‘asian delight’ a été enregistré par l’autorité des marques de France.
12. L’Office défend l’ensemble des motifs qu’il a exposés dans la décision attaquée.
Il argumente que les deux termes qui composent le signe litigieux appartiennent clairement à la catégorie de ceux ‘pouvant’ désigner des qualités, la provenance géographique ou les caractéristiques des produits et qui doivent de ce chef rester à la disposition de tous.
Il souligne que la simple juxtaposition de ces deux mots n’ajoute rien à la somme des deux composantes et ne génère pas un signe autonome non descriptif.
En ce qui concerne le motif tiré de l’absence de pouvoir distinctif, l’Office observe que les critères qui sont à la base du pouvoir distinctif d’un côté et du caractère descriptif de l’autre, se chevauchent. La présence d’un caractère descriptif entraîne selon lui l’absence de pouvoir distinctif.
A titre subsidiaire, l’Office fait valoir que le signe ‘asian delight’ ne peut être enregistré vu qu’il est susceptible de créer l’impression que les produits pour lesquels il est déposé proviennent d’un pays asiatique, alors que ceci n’est nullement établi.
A cet égard il se base sur l’article 2.11.1 e. de la CBPI, qui renvoie à l’article 2.4 de la CBPI, en vertu duquel est refusé ‘l’enregistrement d’une marque qui est de nature à tromper le public, par exemple sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit’.
Enfin il se défend d’une pratique d’enregistrement arbitraire, Les marques comprenant le terme ‘delight’ qui sont citées par la requérante sont antérieures à l’entrée en vigueur le 1 janvier 1996 du Protocole du 02 décembre 1992, qui précise les conditions d’octroi d’une marque.
IV. Discussion.
13. En application de la jurisprudence de Cour de Justice CE (CJCE arrêt Koninklijke KPN Nederland (Postkantoor) du 12 février 2004, C-363/99, points 31, 35, 36 en 73, et arrêt MT & C (The Kitchen Company) du 15 février 2007, C-239/05, points 31 à 36) l’autorité des marques doit observer les principes suivants lorsqu’elle effectue son examen en vue de l’enregistrement d’une marque.
L’examen du pouvoir distinctif ne peut se faire in abstracto, mais doit prendre en considération tous les faits et circonstances concrets et pertinents de la demande d’enregistrement.
L’appréciation de ces éléments doit se faire au moment de l’adoption de la décision définitive.
L’examen doit se faire pour chaque produit ou service indiqué dans la demande, indépendamment de la manière dont la demande a été formulée, et le cas échéant l’autorité peut aboutir à des conclusions différentes selon les produits ou services visés dans la demande d’enregistrement.
La décision doit être motivée pour chacun des produits ou services, mais une motivation globale peut suffire lorsque qu’un groupe de produits ou de services relève d’un même motif de refus.
La juridiction qui est saisie d’un recours contre une décision émanant d’une autorité de marques doit également prendre en considération tous les faits et circonstances pertinents, dans les limites de l’exercice de ses compétences telles que définies par sa loi nationale.
14. L’autorité des marques doit effectuer son examen à la lumière de l’intérêt général qui sous-tend sa tâche et chacun des motifs de refus (CJCE arrêt du 18 juni 2002, affaire Philips C-299/99, point 77; CJCE arrêt du 06 mai 2001, affaire Libertel C- 104/01, point 51 ; CJCE arrêt du 12 février 2004, affaire Koninklijke KPN, C-363/99, point 55 ; CJCE arrêt du 16 septembre 2004, affaire SAT.1, point 25 ; CJCE arrêt du 19 avril 2007, affaire Celltech, C-273/05, point 74).
L’intérêt général peut s’opposer à ce que l’usage exclusif d’un signe soit attribué à un opérateur économique lorsque cette attribution risquerait de créer un avantage concurrentiel illégitime en faveur d’un seul opérateur économique, et au détriment des autres opérateurs économiques, notamment lorsqu’il s’agit de signes ou indications descriptives de produits ou services pour lesquels l’enregistrement est demandé qui doivent pouvoir être librement utilisés par tous.
Dans cette mesure les impératifs d’une concurrence libre et correcte prévalent sur l’attribution à un titulaire de droits exclusifs sur une marque qui sont renouvelables sans limite dans le temps.
15. Le motif de refus absolu défini à l’article 2.11.1 b. de la CBPI, qui concerne l’absence de pouvoir distinctif, correspond à celui visé par l’article 3, 1, sous b) de la directive du Conseil CE du 21 décembre 1988 (89/104/CEE) relative à l’harmonisation du droit des marques des Etats-Membres.
Le motif absolu de refus mentionné à l’article 2.11.1 c. de la CBPI concernant les signes ou indications descriptifs correspond à celui énoncé à l’article 3, 1. sous c) de la même directive.
Ils doivent dès lors être interprétés conformément à la portée que leur a donnée la Cour de Justice CE.
16. Afin d’apprécier le pouvoir distinctif d’une marque, le signe doit être examiné tel qu’il est déposé et en rapport avec les produits et services pour lesquels l’enregistrement est demandé.
Ceci implique que l’impression d’ensemble que produit la marque doit être prise en considération, mais n’exclut pas que dans un premier temps les éléments composants la marque soient successivement examinés (CJCE arrêt du 30 juin 2005, affaire Eurocermex, C-286/04, points 22 et 23 ; CJCE arrêt du 25 octobre 2007, affaire Develey, point 82).
Dans le cas d’un signe descriptif dans le sens de l’article 3, 1. c) de la directive 89/104/CEE, le signe doit être examiné à la lumière de sa signification dans le langage habituel pour la désignation des produits ou services ou d’une de leurs caractéristiques.
17. Suivant la jurisprudence constante de la Cour de Justice CE la notion de ‘pouvoir distinctif’ doit être comprise en ce sens qu’une marque doit pouvoir identifier un produit ou un service comme provenant d’une entreprise déterminée et donc les distinguer de ceux d’une autre entreprise (CJCE arrêt du 04 mai 1999, affaires Windsurfing Chiemsee, C-108/97 et C-109/97, point 22 ; CJCE arrêt du 18 juin 2002, affaire Philips, C-299/99, point 35 ; CJCE, arrêt du 08 avril 2003, affaire Linde & Winward, C-53/01 & C-55/01, point 40 ; CJCE arrêt du 25 octobre 2007, affaire Develey, C-238/06, point 79).
18. Lorsqu’il s’agit de déterminer si une marque est pourvue de pouvoir distinctif, la perception par le public pertinent est décisive.
S’agissant de produits et de services qui sont destinés à l’ensemble des consommateurs, le public pertinent est constitué par le consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (CJCE, arrêt du 06 mai 2003, affaire Libertel, C-104/01, point 46 ; CJCE arrêt du 16 septembre 2004, affaire SAT. 1 SatellitenFernsehen, point 24).
19. En vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous c) de la directive 89/104/CEE, des signes ou des indications qui peuvent habituellement servir dans le commerce pour désigner une caractéristique des produits ou services pour lesquels l’enregistrement de la marque est demandée, ne peuvent être enregistrés dès lors que l’intérêt général que poursuit cette disposition exige que de tels signes ou indications puissent être utilisés librement par tous (CJCE arrêt du 23 octobre 2003, affaire Wrigley (Doublemint) C-191/01, points 31 et 32 ; CJCE arrêt du 12 février 2004, affaire Koninklijke KPN (Postkantoor) C-363/99, point 57 ; CJCE arrêt du 12 janvier 2006, affaire Deutsche SiSi-Werke, C-173/04, point 62 ; CJCE arrêt du 19 avril 2007, affaire Celltech, C-276/05, point 75).
A cet égard il suffit que le signe ou l’indication puisse désigner une caractéristique dans une de ses significations potentielles. Par ailleurs, si le signe n’est pas effectivement utilisé au moment de la demande d’enregistrement à des fins descriptives de produits ou de services tels que ceux pour lesquels la demande est présentée ou des caractéristiques de ces produits ou de ces services, encore faut-il vérifier si le signe est susceptible d’être utilisé à de telles fins (CJCE arrêt du 4 mai 1999, affaire Windsurfsing Chiemsee, C-109/97, points 31 et 37 ; CJCE arrêt du 12 février 2004, affaire Campina Melkunie, (Biomild) point 38).
20. Comme la Cour de justice l’a indiqué, en règle générale, la simple combinaison d’éléments dont chacun est descriptif de caractéristiques des produits ou services pour lesquels l’enregistrement est demandé reste elle-même descriptive des dites caractéristiques au sens de l’article 3, paragraphe 1 sous c) de la directive, quand bien même cette combinaison formerait un néologisme. Le simple fait d’accoler de tels éléments, sans y apporter de modification inhabituelle, notamment d’ordre syntaxique ou sémantique ne peut produire qu’une marque de nature descriptive.
Toutefois, une telle combinaison peut ne pas être descriptive si elle crée une impression suffisamment éloignée de celle produite par la simple réunion des indications apportées par les éléments qui composent le néologisme, en sorte qu’il prime la somme desdits éléments.
En effet, lorsque la présentation d’une signe composé diffère de la présentation habituelle des composantes pour désigner des produits ou services ou une de leurs caractéristiques, et que la différence concerne un aspect significatif de la marque déposée, cet élément additionnel peut conférer à l’ensemble un caractère distinctif (CJCE arrêt du 19 septembre 2002, affaire Deutsche Krankenversicherung (Companyline), C-104/00 P, points 21 et 23 ; CJCE arrêt du 12 février 2004, affaire Campina Melkunie (Biomild), C-265/00, points 39 à 41).
S’agissant d’une marque composée de mots ou d’un mot recomposé, l’examen du caractère distinctif ou descriptif ne peut s’arrêter à celui des composantes, mais doit porter sur l’ensemble (CJCE, arrêt du 19 avril 2007, affaire Celltech, C-273/05, points 77, 78 et 79).
21. En résumé, en vue de l’enregistrement du signe litigieux comme marque, les éléments suivants doivent être considérés eu égard aux motifs absolus de refus énonces à l’article 2.11. 1.b. en c. de la CBPI, invoqués par l’Office à l’appui de décision attaquée :
a) le pouvoir distinctif du signe doit s’apprécier par rapport aux produits concernés et à sa perception par le public auquel ces produits sont destinés :
b) l’aptitude du signe à servir de marque s’apprécie par rapport à sa capacité d’identifier les produits et les services comme provenant d’une entreprise déterminée ;
c) le pouvoir distinctif du signe déposé doit être apprécié en considérant le signe dans son ensemble mais il peut être indiqué d’examiner d’abord ses composantes ;
d) l’impression laissée dans sa totalité doit être de telle nature qu’elle s’éloigne de façon significative de la norme ou de ce qui est habituel dans le secteur concerné pour désigner le produit ;
e) une marque constituée d’un néologisme composé d’éléments dont chacun est descriptif, est elle-même descriptive, sauf si l’ensemble présente un élément additionnel qui lui confère un pouvoir distinctif ;
f) cet élément additionnel ne se présente que si la combinaison des composantes est perçue comme s’éloignant de la présentation habituelle des composantes et pour autant que cet éloignement se rapporte à des éléments importants de la forme ou de la signification du signe ;
g) s’agissant d’une marque verbale, le caractère descriptif doit être apprécié en fonction de la signification générique ou habituelle des mots qui la composent afin de déterminer si ceux-ci peuvent être utilisés pour désigner le produit ou une de ses caractéristiques.
22. La décision de refus provisoire du 29 mars 2005 fait mentin de deux motifs de refus absolus mais elle est essentiellement basée sur le constat que ‘ASIAN DELIGHT’ est composé exclusivement de mots qui, dans le commerce peuvent servir à désigner l’espèce ou la provenance des produits.
Il apparaît clairement de la motivation exposée dans la lettre du 15 décembre 2005 que l’Office a constaté d’abord que le signe déposé est descriptif dans ses deux composantes et que de ce chef l’ancien article 6bis 1 c) (actuellement article 2.11.1 c. de la CBPI) s’oppose à son enregistrement.
L’ayant examiné sous l’angle du pouvoir distinctif, il constate que la réunion des deux éléments n’ajoute rien aux éléments descriptifs, si bien qu’elle n’est pas de nature à lever le manque de pouvoir distinctif qui se déduit du caractère descriptif de ses composantes.
23. Devant la cour, l’Office fait en outre valoir que si ces deux motifs de refus devaient être écartés par la cour, le motif de refus tiré de l’article 2.11.1 e. de la CBPI s’opposerait néanmoins à l’enregistrement. Il s’agit d’un motif qui n’a été examiné par l’Office au cours de la procédure à l’issue de laquelle la décision attaquée a été adoptée.
La Cour de Justice Benelux a interprété les articles 6bis et 6ter de la LBM (actuellement les articles 2.11 et 2.12 de la CBPI) en ce sens que lorsque le juge saisi d’un recours contre la décision de refus du BBM (actuellement l’OBPI) désapprouve les motifs de refus retenus par le Bureau, il est tenu d’examiner, le cas échéant d’office, si un autre motif de refus absolu ne s’oppose pas à l’enregistrement, les parties devant être entendues à ce sujet (CJB, arrêt du 29 juin 2006, affaire d’leteren).
Le moyen développé à titre subsidiaire par le Bureau est dès lors recevable.
24. La requérante a déposé la marque ‘ASIAN DELIGHT’ pour les produits repris sous les classes administratives 29 et 30, dont le détail est énuméré plus haut sous le numéro 5.
Il s’agit d’aliments qui en soi ne sont pas liés à une quelconque provenance géographique, mis à part le sushi et le lait coco.
Le signe comporte deux mots, sans aucun graphisme, ni couleur ou élément figuratif.
25. Le pouvoir distinctif du signe ‘ASIAN DELIGHT’ doit s’apprécier dans sa totalité, en fonction de l’impression qu’il laisse sur le public pertinent pour les produits susmentionnés.
Les produits sont destinés au grand public de sorte que le public concerné est constitué du consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.
26. Comme l’indique l’appelante, le signe litigieux n’est pas un signe qui s’impose pour définir les produits concernés ou leur caractéristique, dans les langues du Benelux.
En effet, il est composé de deux mots qui sont issus de la langue anglaise ce qui en soi peut susciter auprès du public concerné la perception d’un signe utilisé comme signe distinctif, c’est-à-dire pour identifier les produits concernés par rapport à des produits concurrents.
En outre, ces mots qui signifient l’un ‘asiatique’ et l’autre ‘régal, délice, joie’, réunis pour former le signe, peuvent être compris autrement que la simple description des produits concernés ou d’une qualité de ces produits.
Le fait que ces deux mots, dans leur signification usuelle, présentent un caractère banal par rapport aux produits en cause et qu’ils ne sont dès lors pas le resultat d’une recherche de fantaisie, ne prive pas en soi le signe de toute aptitude à distinguer les produits comme provenant d’une entreprise.
Il y a donc lieu de rechercher si le signe litigieux est composé exclusivement d’éléments descriptifs, ce qui fonderait le refus de l’enregistrer.
27. Sur le territoire du Benelux, le signe sera compris principalement suivant sa signification dans la langue française ou néerlandaise.
La connaissance de la langue anglaise est en effet suffisamment répandue dans le public pertinent sur ce territoire pour conclure qu’il est raisonnable d’attendre du consommateur qu’il reconnaisse l’origine anglaise de ces mots et en comprenne la signification exacte.
Cette hypothèse semble évidente pour le mot ‘asian’ qui présente des similitudes patentes avec ‘asiatique’. Elle est également plausible pour le mot ‘delight’ qui relève du vocabulaire courant en anglais, dès lors qu’une large partie du public concerné possède une connaissance passive de cette langue.
28. Etant donné la nature des produits d’alimentation pour lesquels l’enregistrement est demandé, il est raisonnable de considérer que le public concerné comprendra ce vocable dans sa signifcation normale.
Un vocable dépourvu d’élément de fantaisie en appelle en effet à un acte cognitif dans le chef du public.
Il ne peut par ailleurs être exclu que la demanderesse table sur cette connaissance dans le chef des consommateurs.
Le mot ‘asiatique’ ne peut être compris autrement que dans son sens habituel de ‘à la mode asiatique’ ou ‘d’origine asiatique’.
Cette composante du signe est nettement descriptive des caractéristiques des produits visés dans la demande d’enregistrement.
Le mot ‘délice’ peut être compris dans les significations de ‘plaisir’ ou ‘régal’ mais également de ‘joie’ ou ‘félicité’. Ainsi, il peut en appeler aussi bien aux sens –par exemple du goût- qu’à un état d’âme qui se rapproche du bonheur.
Dans ces deux hypothèses la deuxième composante du signe est descriptive d’une caractéristique des produits susmentionnés appartenant aux classes 29 et 30.
En effet, eu égard à la nature de ces produits, le mot délice peut indiquer soit que ces produits sont très appétissants, soit que leur consommation procure un sentiment de bien-être.
Ce terme peut donc également servir pour désigner une caractéristique des produits concernés.
29. La présentation de la combinaision de ces deux signes descriptifs n’est guère de nature à générer une impression qui pour cet ensemble est différente de celle que laisse cette seule combinaision.
En effet, la présentation repose sur la simple juxtaposition des deux termes, sans ajout du moindre élément de modification inhabituelle.
Dès lors, la combinaison n’a pas pour effet de primer le caractère descriptif du vocable et de créer un signe autonome.
30. Par conséquent la marque litigieuse est exclusivement composée de signes descriptifs dans le sens de l’article 2.11. 1 c. de la CBPI.
Un refus absolu de refus s’opposant à l’enregistrement de cette marque, c’est à bon droit que l’Office l’a refusé.
31. Par ailleurs, cette conclusion n’est pas en contradiction avec la pratique décisionnelle de l’Office dans les cas où une marque comprenant le mot ‘delight’ a été déposée.
D’un côté la pratique décisionnelle des autorités des marques en matière de signes descriptifs a sans douté évolué en fonction de l’interprétation du droit des marques au niveau communautaire à cet égard. D’autre part il s’avère que les exemples cités par la requérante sont antérieurs à l’entrée en vigueur du contrôle préventif par les autorités des marques.
Le grief de la requérante tiré du caractère arbitraire de la pratique de l’Office n’est pas fondé.
32. La demande doit dès lors être rejetée.
33. En ce qui concerne la taxation des dépens, les parties ont déclaré à l’audience publique qu’ellles optent pour l’application des règles en vigueur au moment où l’affaire a été prise en délibéré.
Il y a donc lieu de taxer les indemnités de procédure ainsi qu’il en est décidé ci-après.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Eu égard à l’article 24 de la loi du 15 juin 1935 relative à l’emploi des langues en matière judiciaire,
Statuant contradictoirement,
Reçoit le recours mais le déclare non fondé.
Condamne la demanderesse aux dépens, liquidés à 671,87 (186 + 485,87) euros pour elle-même et à 485,87 euros pour la défenderesse.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique civile de la chambre 18 de la Cour d’appel de Bruxelles le QUATRE MARS 2008
Où étaient présents :
Paul BLONDEEL, président de chambre
Christine SCHURMANS, conseiller
Koenraad MOENS, conseiller
Jan VAN DEN BOSSCHE, greffier-adjoint.
Numéro de requête 2006/AR/1592
Date
Instance
REC BE Marque
ASIAN DELIGHT Numéro de dépôt
Déposant
LIDL STIFTUNG & CO. KG Texte