L'année passée a connu plusieurs changements législatifs importants dans l'Union européenne concernant les indications géographiques. C'est pourquoi nous nous concentrons sur ce sujet dans cet article d'expert.
L'une des nouveautés est l'introduction d'une protection au niveau de l'UE pour les produits artisanaux et industriels (non-agri) par le biais d'indications géographiques. En outre, un nouveau règlement Agri harmonise la protection existante pour les vins, les spiritueux et les produits agricoles (agri) à travers les indications géographiques. Nous abordons d'abord ces changements, puis examinons spécifiquement l'impact du nouveau règlement Agri pour le BOIP.
Indication géographique : bref aperçu
Le nom d'un produit provenant d'une région particulière et jouissant d'une réputation fondée sur sa qualité ou son origine peut être protégé dans l'UE en tant qu'indication géographique. L'objectif de cette protection est de garantir que les consommateurs soient clairement informés de l'origine géographique des produits et que leurs qualités spécifiques et intrinsèques soient garanties.
Dans l'Union européenne, les noms de plus de 3 500 produits sont protégés. La protection des indications géographiques distingue les appellations d'origine protégées (AOP) des indications géographiques protégées (IGP).
Appellation d'origine protégée (AOP)
Les noms de produits enregistrés en tant qu'AOP sont les plus étroitement liées au lieu de production. Ils sont attribués aux produits dont la qualité ou les caractéristiques sont principalement ou exclusivement dues à un milieu géographique particulier.
Indication géographique protégée (IGP)
Une IGP met l'accent sur la relation entre la région géographique spécifique et le nom du produit, lorsqu'une qualité, une réputation ou une autre caractéristique particulière peut être essentiellement attribuable à son origine géographique. De plus, au moins une des étapes de production, de transformation ou de préparation a lieu dans la région concernée.
Changements législatifs
L'année passée a connu deux changements législatifs majeurs au niveau de l'UE concernant les indications géographiques.
Nouveau règlement pour les produits artisanaux et industriels (règlement non-agri)
Jusqu'à récemment, la législation européenne ne protégeait les indications géographiques que pour les produits agricoles et les denrées alimentaires, les vins et les spiritueux. Il n'existait pas de protection similaire pour les produits artisanaux et industriels.
Le nouveau règlement (UE) 2023/2411 du Parlement européen et du Conseil du 18 octobre 2023 relatif à la protection des indications géographiques pour les produits artisanaux et industriels et modifiant les règlements (UE) 2017/1001 et (UE) 2019/1753 reconnaît cette disparité et fournit un cadre harmonisé pour la protection des noms de produits artisanaux et industriels de l'UE. Ainsi, une protection similaire est désormais en place pour ces produits, comme pour les denrées alimentaires ou boissons produites régionalement. Le nouveau règlement ne prévoit qu'une protection par les IGP et non par les AOP.
Selon la loi, les « produits artisanaux » sont des produits fabriqués entièrement à la main, ou à l'aide d'outils manuels ou numériques, ou par des moyens mécaniques, lorsque la contribution manuelle est une composante importante du produit fini. Les « produits industriels » sont quant à eux des produits fabriqués de manière standardisée, y compris en production en série et à l’aide de machines.
Le nouveau système s'appliquera à partir du 1er décembre 2025. À partir de cette date, il sera possible, dans l'UE, de demander l'enregistrement des noms de produits artisanaux et industriels répondant aux critères requis via une demande unique couvrant tous les États membres de l'UE.
L'EUIPO jouera un rôle clé dans la mise en œuvre du nouveau système de protection, en particulier en ce qui concerne les procédures d'enregistrement des indications géographiques artisanales et industrielles.
Ainsi, l'impact du nouveau régime pour le BOIP ne se fera pas encore sentir avant un certain temps. Cependant, à l'avenir, le nouveau règlement influencera l'examen des motifs absolus, ainsi que les procédures d'opposition et d'annulation. Le BOIP devra alors tenir compte de ces nouvelles indications géographiques dans ses procédures.
Nouveau règlement Agri
Auparavant, les indications géographiques pour les vins, les boissons spiritueuses et les produits agricoles faisaient l'objet de règlements distincts.1 Toutefois, l'étendue de la protection de ces produits n'était pas uniforme, ce qui a été corrigé par un nouveau règlement.
Le nouveau règlement (UE) 2024/1143 du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024 concernant les indications géographiques relatives au vin, aux boissons spiritueuses et aux produits agricoles, ainsi que les spécialités traditionnelles garanties et les mentions de qualité facultatives pour les produits agricoles (ci-après « le règlement Agri ») a été publié le 23 avril 2024 et est entré en vigueur le 13 mai 2024.
L'objectif du règlement Agri est d'établir un cadre réglementaire standardisé et concluant, d'améliorer les pratiques durables et de responsabiliser les producteurs. Il introduit également une procédure unique et simplifiée pour l'enregistrement des indications géographiques.
Le nouveau règlement Agri remplace intégralement le règlement sur les produits agricoles (UE 1151/2012). Le nouveau règlement Agri modifie également les règlements relatifs aux vins (UE 1308/2013) et aux boissons spiritueuses (UE 2019/787), entre autres. Certaines dispositions de ces deux derniers règlements sont donc toujours en vigueur.
La conséquence peu pratique est que les règles pertinentes pour ces produits sont réparties dans différents documents. Toutefois, sur le fond, la protection a été harmonisée.
Relation entre le règlement Agri et le droit des marques
L'article 26 du règlement Agri définit le champ de protection des indications géographiques. L'article 31 du règlement Agri régit les conséquences de cette protection pour les marques.
Si une demande de marque enfreint l'article 26, la demande doit être refusée conformément à l'article 31. Si une marque est enregistrée, cet enregistrement sera considéré comme nul.
L'article 26, paragraphe 1, énumère plusieurs types d'utilisation d'une indication géographique qui ne sont pas autorisés. Nous expliquons ci-dessous les deux principaux :
Utilisation directe ou indirecte
L'article 26, paragraphe 1, sous a, du règlement Agri prévoit que les indications géographiques sont protégées contre toute utilisation directe ou indirecte de l'indication à l’égard de produits non couverts par l'enregistrement, lorsqu'il s'agit de produits comparables.
Pour déterminer s'il y a ou non usage d'une indication géographique, il convient d'évaluer si une marque contient cette indication dans son intégralité ou un terme phonétiquement et/ou visuellement très similaire.2
Evocation
L'article 26, paragraphe 1, sous b, du règlement Agri prévoit également que les indications géographiques sont protégées contre toute évocation, même si la véritable origine des produits ou services est indiquée.
La notion d'évocation est expliquée au paragraphe 35 du préambule, suivant l'interprétation de la CJUE. L'évocation d'une indication géographique peut notamment se produire lorsqu’un lien avec le produit désigné par l’indication géographique enregistrée, y compris avec une référence à une mention, un signe ou un autre dispositif d’étiquetage ou d’emballage, est présent dans l’esprit du consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.
Application de l'article 26 du règlement Agri au BOIP
Examen des motifs absolus
Depuis le 1er mars 2019, le BOIP examine les demandes de marque, entre autres, au regard d’éventuels conflits avec des indications géographiques conformément à l'article 2.2bis, alinéa 1er, sous i, de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (CBPI) :
« Sont refusés à l’enregistrement ou sont susceptibles d’être déclarés nuls s’ils sont enregistrés : [...]
les marques exclues de l’enregistrement en application de la législation de l’Union ou du droit interne d’un des pays du Benelux, ou d’accords internationaux auxquels l’Union européenne est partie ou ayant effet dans un pays du Benelux, qui prévoient la protection des appellations d’origine et des indications géographiques. »
S'il existe un conflit entre la demande de marque et une indication géographique conformément à l'article 2.2bis, alinéa 1er, sous i, BCIP, la demande doit être refusée.
L'étendue exacte de la protection découle du règlement et non de la CBPI.
Conditions
Un refus en vertu de l'article précité, combiné à l'article 26 du règlement Agri, exige que deux conditions cumulatives soient remplies :
Il doit exister une indication géographique enregistrée bénéficiant d'une protection au niveau de l'UE ou du Benelux.
Pour déterminer si une demande de marque concerne une indication géographique protégée dans l'UE ou le Benelux au sens de l'article 2.2bis, alinéa 1er, sous i, CBPI, le BOIP utilise, entre autres, les bases de données de l'UE suivantes dans le cadre de son examen :
- Base de données eAmbrosia, le registre européen des IG des noms de produits agricoles et de denrées alimentaires, de vins et de spiritueux enregistrés et protégés dans l'ensemble de l'UE.
La base de données GIview, où l'on peut trouver toutes les informations sur les IG protégées au sein de l'UE (y compris les IG de pays non membres de l’UE protégées au niveau de l'UE par des accords bilatéraux et multilatéraux) et sur les IG de l'UE protégées non membres de l'UE.
Veuillez noter que les bases de données contiennent à la fois des indications approuvées et d'autres qui ne le sont pas encore.
L'usage de la marque demandée doit conduire à l'une des situations visées à l'article 26, paragraphe 1, du règlement Agri.
Cela concerne en particulier les produits identiques au produit couvert par l'indication géographique3 et les produits dans lesquels l'indication géographique est un ingrédient pertinent.
Surmonter le refus au moyen d'une limitation de la liste des produits
En vertu de l'article 36 du règlement Agri, une indication géographique enregistrée peut être utilisée par tout opérateur commercialisant un produit conforme au cahier des charges y relatif.
Par conséquent, un refus peut être évité si les produits en question sont limités de manière à respecter le cahier des charges de l'indication géographique en question.
Cependant, la limitation des produits peut être une tâche complexe, consistant principalement en un examen au cas par cas. Vous trouverez de plus amples informations à ce sujet dans nos directives sur l'examen des motifs absolus
Le nombre de cas au BOIP de refus pour motifs absolus en raison d'un conflit avec une indication géographique est limité, mais vous pouvez penser à, par exemple :
Utilisation directe/indirecte
Une demande de marque verbale/figurative distinctive pour des « vins » contenant l'élément verbal « Champagne » utilise l'AOP Champagne, qui bénéficie d'une protection en relation avec les vins et devra donc être limitée aux produits : Vins conformes au cahier des charges de l'appellation d'origine protégée « Champagne ». Toutefois, si le demandeur n'accepte pas cette limitation, le BOIP doit refuser la demande de marque.
Evocation
Une demande de marque verbale/figurative distinctive pour des « fromages » contenant l'élément verbal « Gorgonzolelge » évoque l'AOP Gorgonzola qui bénéficie d'une protection en relation avec les fromages et devra donc être limitée aux produits : Fromages conforme au cahier des charges de l'appellation d'origine protégée « Gorgonzola ». Toutefois, si le demandeur n'accepte pas cette limitation, le BOIP doit refuser la demande de marque.
Procedures inter partes
La protection d'une indication géographique constitue également un motif d'opposition et d'annulation.
L'article 2.2ter, alinéa 3, sous c, CBPI prévoit :
Par ailleurs, une marque faisant l’objet d’une opposition est également refusée à l’enregistrement ou, si elle est enregistrée, est susceptible d’être déclarée nulle: [...]
c. lorsque et dans la mesure où, en application de la législation de l’Union ou du droit interne d’un des pays du Benelux qui prévoient la protection des appellations d’origine et des indications géographiques :
i. une demande d’appellation d’origine ou d’indication géographique avait déjà été introduite conformément à la législation de l’Union ou au droit interne d’un des pays du Benelux avant la date de la demande d’enregistrement de la marque ou avant la date de la priorité invoquée à l’appui de la demande, sous réserve d’un enregistrement ultérieur ;
ii. cette appellation d’origine ou cette indication géographique confère à la personne autorisée en vertu du droit applicable à exercer les droits qui en découlent le droit d’interdire l’utilisation d’une marque postérieure.
Il est important que l'opposant ou le demandeur dans cette procédure apporte la preuve de l'existence du droit antérieur, en l'occurrence l'appellation d'origine protégée ou l'indication géographique protégée. En outre, l'opposant ou le demandeur doit prouver qu'il est habilité à engager la procédure.
Jusqu'à présent, le nombre de procédures inter partes au BOIP est très limité. Il n'y a eu que deux décisions d'opposition :
1) Dans la première affaire, l'AOP HALLOUMI pour les « fromages » a été invoquée à l'encontre de la demande d'une marque figurative contenant le mot « Polloumi ». Cette marque avait été déposée, entre autres, pour des fromages. L'opposition a été accueillie sur la base de l'évocation, la similitude entre les signes était telle que la marque contestée évoquait dans l'esprit du public l'image de l’AOP HALLOUMI et que le produit qu'elle couvrait apparaîssait dans l'esprit du consommateur. Le fait que la marque contienne l'indication “fromage à griller belge », dit “délocalisateur », n'y change rien.
2) Dans l'affaire SEX en Provence, l'AOP Côteaux d'Aix-en-Provence pour les « vins » a été invoquée à l'encontre de la demande de marque SEX en Provence pour les produits : Vins d'appellation d'origine protégée « Côtes de Provence », « Coteaux d'Aix-en Provence », « Coteaux varois en Provence”, « Les Baux de Provence » en classe 33. L'opposition a été rejetée. Il a été jugé qu'il n'y avait pas d'utilisation directe ou indirecte de l'AOP. Bien que la demande de marque puisse évoquer l'AOP invoquée, il a été décidé que la limitation de la liste des produits garantit que les produits portant la marque sont couverts par l'AOP invoquée, proviennent de la zone géographique concernée et présentent les caractéristiques requises. Il ne peut donc y avoir de violation des droits attachés à l'indication géographique. Enfin, il a également été jugé que la demande de marque ne trompera pas les consommateurs quant à l'origine géographique et/ou aux autres caractéristiques des vins sur lesquels elle est apposée. Cette décision a fait l'objet d'un appel devant la Cour de justice du Benelux.
La procédure d'annulation n'a pas encore eu lieu.
1 (UE) n° 1151/2012 du 21 novembre 2012 (produits agricoles et denrées alimentaires) ; (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 (entre autres vins) et (UE) 2019/787 du 17 avril 2019 (boissons spiritueuses).
2 Selon la CJUE, « L’emploi du terme « utilisation » [...] exige, par définition, [.... ] que le signe litigieux fasse usage de l’indication géographique protégée elle-même, sous la forme dans laquelle cette dernière a été enregistrée ou, à tout le moins, sous une forme présentant des liens tellement étroits avec celle-ci, d’un point de vue phonétique et/ou visuel, que le signe litigieux en est à l’évidence indissociable » voir CJUE 7 juin 2018, C-44/17, ECLI : EU:C:2018:415, point 29 (SCOTCH WHISKY) ; CJUE 9 septembre 2021, C-783/19, ECLI:EU:C:2021:713, point 38 (Champanillo).
3 Voir le paragraphe 34 du préambule du règlement Agri.