Prononcé : 8 janvier 1997
No de la requête.: 97/658
LA COUR D’APPEL DE LA HAYE, chambre M C-5,
a rendu l'ordonnance suivante à la requête de :
Lifetree Holding B.V.,
dont le siège est à Amsterdam,
requérante,
avoué : Me E.M. van Hilten-Kostense
contre
Le BUREAU BENELUX DES MARQUES,
dont le siège est à La Haye,
défendeur,
avoué : Me C.J.J.C. van Nispen
La procédure
Par requête (avec annexes) reçue au greffe de la cour le 25 août 1997, la requérante, dénommée ci-après Lifetree, a demandé à la cour d'ordonner au Bureau Benelux des Marques, dénommé ci-après le Bureau, l'enregistrement du dépôt de la marque DE GEBOORTEWINKEL, tel qu'il avait été effectué le 24 mai 1996 sous le numéro 871698, et de condamner le Bureau aux dépens de la procédure.
Par mémoire en défense reçu au greffe de la cour le 1er octobre 1997, le Bureau a demandé à la cour de rejeter la requête de Lifetree, les dépens comme de droit.
La procédure orale est intervenue le 27 novembre 1997. Les avoués des parties ont exposé les points de vue des parties à l'aide de notes de plaidoirie. Les deux parties ont invoqué des documents.
Examen de la requête
1. La requête a été introduite dans le délai.
2. La requête et les pièces jointes à celle-ci font apparaître ce qui suit :
a. Le 24 mai 1996, Lifetree a déposé auprès du Bureau la marque DE GEBOORTEWINKEL pour des produits dans :
la classe 12 : véhicules parmi lesquels voitures d’enfants, poussettes et buggies.
la classe 20 : meubles, en particulier pour bébés, petits enfants, y compris les boxes.
la classe 25 : vêtements, chaussures, chapellerie, y compris les vêtements de grossesse (survêtements et sous-vêtements), vêtements, chaussures et bonnets pour bébés et petits enfants; langes en textile; serviettes à porter.
la classe 28 : jeux et jouets.
ainsi que pour des services dans :
la classe 35 : prestation de services dans le domaine du franchisage; recrutement de franchisés; consultance dans le domaine de l’aménagement des magasins, de l’exploitation et du franchisage.
la classe 41 : éducation, enseignement; consultance en matière de grossesse, de naissance et de parenté; dispenser des formations et des cours dans le domaine de la grossesse, de la naissance, de l’éducation et de la parenté; publier et éditer des livres, revues, brochures.
la classe 42 : location de produits destinés aux bébés et aux petits enfants, à savoir voitures d’enfants, poussettes, buggies, boxes, jeux et jouets.
[Il appert que le dépôt a été ultérieurement rétracté pour les produits dans la classe 12; il appert en outre que des modifications mineures ont été apportées aux produits et services mentionnés dans les différentes classes.]
b. Par lettre du 8 octobre 1996, le Bureau a notifié au mandataire de Lifetree le refus provisoire de l'enregistrement du dépôt 871698. Le Bureau a indiqué les motifs suivants :
Le signe DE GEBOORTEWINKEL est composé des noms génériques geboorte (naissance) et winkel (magasin) et désigne de manière très évidente un magasin pour les produits et services mentionnés dans les classes 20, 25, 28, 35, 41 et 42 relativement à la naissance. C'est pourquoi le signe est exclusivement descriptif et est dépourvu de tout caractère distinctif au sens de l'article 6bis, alinéa premier, sous a., de la loi uniforme Benelux sur les marques (...).
c. Au nom de Lifetree, il a été fait opposition à ce refus provisoire par lettre du 6 mars 1997.
d. Le Bureau n'y a pas vu motif à revoir la décision de refus provisoire. Par lettre du 23 juin 1996, le Bureau a notifié au mandataire de Lifetree sa décision portant refus définitif de l'enregistrement du dépôt.
3. Lifetree a demandé à la cour d'ordonner au Bureau l'enregistrement du dépôt sur pied de l’article 6ter de la loi uniforme Benelux sur les marques (LBM).
Lifetree soutient que le signe DE GEBOORTEWINKEL « occupe une position relativement unique et revêt un caractère à ce point individualisé et a en outre été consacré par l’usage dans le pays d’une manière telle qu’il possède un caractère distinctif suffisant pour être reconnu comme marque ».
4. Le Bureau conteste le point de vue de Lifetree.
5.1. La cour partage l’opinion du Bureau qui considère que le signe DE GEBOORTEWINKEL est dépourvu de tout caractère distinctif pour les produits et services pour lesquels il est déposé.
5.2. A ce propos, la cour fait l’observation préalable suivante. L’article 6bis de la LBM fait état du défaut de « caractère distinctif comme prévu à l’article 6quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris ». Cette disposition est libellée comme suit :
Les marques de fabrique ou de commerce, visées par le présent article, ne pourront être refusées à l'enregistrement ou invalidées que dans les cas suivants:
(...)
2. lorsqu'elles sont dépourvues de tout caractère distinctif, ou bien composées exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, le lieu d'origine des produits ou l'époque de production, ou devenus usuels dans le langage courant ou les habitudes loyales et constantes du commerce du pays où la protection est réclamée;
La cour part du principe que le renvoi que fait l’article 6bis (et 14 sous A, début et sous 1.a) de la LBM à l'article 6quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris n'est pas limité à la première catégorie citée ("dépourvues de tout caractère distinctif") mais concerne les trois catégories énumérées dans cet article.
5.3. Les produits et services pour lesquels le produit est déposé concernent - à l’exception des services dans la classe 35 - des produits et services en rapport avec la grossesse, la naissance, les bébés et les petits enfants. Les services de la classe 35, comme le comprend la cour, portent sur les mêmes produits et services mais de façon indirecte : il s’agit de services dans le domaine du franchisage en rapport avec les produits et services qui viennent d’être cités.
5.4. Le signe DE GEBOORTEWINKEL est composé de l’article “de” et du mot “geboortewinkel”. Ce dernier mot est constitué des mots “geboorte” (naissance) et “winkel” (magasin) appartenant au langage courant. Le mot “winkel” est la désignation communément admise de l’endroit où des biens sont vendus et où des services sont prestés. Il n’est certainement inhabituel - ainsi qu’il ressort du “Retrograde woordenboek van de Nederlandse taal” (Anvers 1969), du Supplément à celui-ci (Louvain 1974), du “Invert Woordenboek van het Nederlands” (Liège 1988) et du rapport de recherche du Bureau concernant DE GEBOORTEWINKEL versé au dossier - d’accoler au mot “winkel” un substantif comme préfixe. Ce préfixe individualise le mot général “winkel”. Il renvoie habituellement à des produits et services comme en l’espèce. La cour considère qu’à cause du préfixe “geboorte”, le signe DE GEBOORTEWINKEL sera perçu par le public comme la désignation de l’endroit où des produits et services en rapport avec la naissance sont vendus ou prestés. Le signe a d’ailleurs été déposé pour ces produits et services. On ne peut pas dire qu’il s’agit d’une combinaison verbale originale ou d’une dénomination de fantaisie. Bien au contraire. Le signe indique en effet de manière assez directe les produits et services auxquels il se réfère. Dans ces conditions, la cour estime que le signe DE GEBOORTEWINKEL est composé exclusivement d’une dénomination qui peut servir dans le commerce à désigner la nature, la qualité et la destination des produits et services pour lesquels le signe est déposé. Le signe est dès lors dépourvu de tout caractère distinctif.
6. D’après Lifetree, le signe DE GEBOORTEWINKEL est consacré par l’usage. Le Bureau conteste cette affirmation.
7.1. La cour fait observer à titre préliminaire que dans la présente procédure, seule peut être retenue la consécration par l’usage survenue avant la date du dépôt. La cour fonde son point de vue sur ce qui suit.
La procédure de recours au juge après le refus de l’enregistrement d’une marque n’est pas fort détaillée à l’article 6ter de la LBM. Le Commentaire commun des Gouvernements est, lui aussi, sommaire. Il mentionne entre autres :
Le nouvel article 6ter prévoit une procédure par requête auprès des trois juridictions d’appel dans le Benelux qui y sont désignées pour permettre au juge de censurer les décisions du BBM refusant l’enregistrement d’une marque.
Vu ce texte, la cour estime qu’elle doit uniquement examiner si le Bureau a refusé à bon droit d’enregistrer la marque.Il convient, à cette fin, d’avoir égard à la situation prévalant au moment du dépôt étant donné que ce moment est déterminant pour le Bureau, compte tenu de la disposition de l’article 6bis. La cour trouve un appui à cette conception dans l’article 3 paragraphe 3 de la Première Directive du Conseil des CE, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, 89/104, qui énonce :
Une marque n’est pas refusée à l’enregistrement ou, si elle est enregistrée, n’est pas susceptible d’être déclarée nulle en application du paragraphe 1 points b), c) ou d) si, avant la date de la demande d’enregistrement et après l’usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif. En outre, les Etats membres peuvent prévoir que la présente disposition s’applique également lorsque le caractère distinctif a été acquis après la demande d’enregistrement ou après l’enregistrement.
Il faut constater que dans la LBM le législateur Benelux n’a pas fait usage de la faculté que lui offrait la Directive de prévoir qu’une marque n’est pas refusée à l’enregistrement si la marque a acquis un caractère distinctif après la demande d’enregistrement. Le choix du législateur Benelux de ne pas faire usage de la faculté offerte à l’article 3 paragraphe 3, dernière phrase, de la Directive a l’avantage de ne pas compliquer ni ralentir les procédures telles que la présente par un débat sur les circonstances de fait après le dépôt ou par des demandes tendant à suspendre l’examen de la requête pour créer de nouvelles circonstances de fait. De plus, on évite que les intérêts des tiers puissent être lésés par un enregistrement « rétroagissant » à la date du dépôt. En effet, si l’ordre d’enregistrement était prononcé du fait qu’une marque aurait acquis un caractère distinctif après le dépôt, le droit de marque serait réputé avoir existé à compter de la date de dépôt. La poursuite de l’usage du signe par des tiers, usage ayant commencé après le dépôt de la marque et avant la consécration par l’usage, pourrait sans doute être interdite à la demande du titulaire de la marque.
Il suit de ce qui précède qu’il n’y a pas lieu d’ordonner l’enregistrement au motif qu’un signe déposé a acquis un caractère distinctif à cause de la consécration par l’usage après le dépôt.
7.2. La question à trancher est celle de savoir si le signe DE GEBOORTEWINKEL qui, comme il a été constaté ci-dessus, est dépourvu de tout caractère distinctif pour les produits et services pour lesquels il est déposé, sera, par suite d’un usage de longue durée et intensif, perçu par le public comme un signe qui identifie les produits et services comme provenant d’une seule entreprise déterminée.
7.3. Il se pose cependant une question préalable, qui est celle de savoir si un signe qui est composé exclusivement d’une dénomination pouvant servir dans le commerce à désigner la nature, la qualité et la destination des produits et services pour lesquels le signe est déposé, est susceptible de consécration par l’usage.
7.4. On est tenté de répondre négativement à cette question. Il semble inopportun de telles dénominations puissent être monopolisées. La liberté qu’ont les autres opérateurs commerciaux d’utiliser ce type de dénominations s’en trouverait limitée de manière inacceptable.
7.5. Toutefois, la cour n’a pas à répondre à cette question. Les pièces versées au dossier de la procédure et les allégations de Lifetree ne permettent pas, en effet, de conclure que le signe DE GEBOORTEWINKEL a fait l’objet d’un usage de longue durée et intensif comme marque dans le Benelux. Ainsi, il n’est pas établi que le signe a fait l’objet d’un usage régulier sous forme de marque verbale dans le Benelux, ni que le signe a été utilisé à une large échelle autrement que comme désignation de l’entreprise à Amsterdam, c’est-à-dire comme nom commercial. Il n’est pas établi que le public perçoit en fait l’usage du nom commercial comme l’usage d’un signe permettant de distinguer les services offerts et accordés de ceux d’autrui. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu, du reste, de déterminer si la consécration par l’usage doit s’opérer dans l’ensemble du Benelux.
7.6. Il faut en conclure que la consécration par l’usage n’est pas établie.
8. Il suit de ce qui précède que la requête de Lifetree doit être rejetée. Etant partie succombante, Lifetree sera condamnée aux dépens de la procédure.
Décision
La cour rejette la requête de Lifetree et condamne Lifetree aux dépens de la présente procédure, taxés à f 2.540,- jusqu'à ce prononcé pour ce qui concerne le Bureau.
La présente ordonnance a été rendue par messieurs Brinkhof, Fasseur-van Santen et Van den Ende-Wiefkers, et prononcée à l'audience publique du 8 janvier 1998 en présence du greffier.