Prononcé :11 septembre 1997
No de la requête.: 97/367
LA COUR D’APPEL DE LA HAYE, chambre M C-5,
a rendu l'ordonnance suivante à la requête de :
CAMPINA MELKUNIE B.V.,
dont le siège est à Zaltbommel,
requérante,
avoué : Me F. Quarles van Ufford
contre
Le BUREAU BENELUX DES MARQUES,
dont le siège est à La Haye,
défendeur,
avoué : Me C.J.J.C. van Nispen
La procédure
Par requête (avec annexes) reçue au greffe de la cour le 6 mai 1997, la requérante, dénommée ci-après Campina, a demandé à la cour d'ordonner au Bureau Benelux des Marques l'enregistrement du dépôt de la marque BIOMILD, tel qu'il avait été effectué le 18 mars 1996 sous le numéro 867546, et de condamner le Bureau Benelux des Marques aux dépens de la procédure.
Par mémoire en défense (avec annexes) reçu au greffe de la cour le 30 mai 1997, le Bureau a demandé à la cour de rejeter la requête, "éventuellement les dépens comme de droit".
La procédure orale est intervenue le 26 août 1997. Campina a déposé une pièce. Les avoués des parties ont exposé les points de vue des parties à l'aide de notes de plaidoirie.
Examen de la requête
1. La requête a été introduite dans le délai.
2. La requête et les pièces jointes à celle-ci font apparaître ce qui suit :
a. Le 18 mars 1996, Campina a déposé auprès du Bureau la marque BIOMILD pour des produits dans :
- la classe 29 : lait, produits laitiers, y compris fromage, beurre (à teneur en matières grasses réduite ou non), crème, crème acide, lait condensé, lait en poudre, lait pour café, lait battu, yaourt, fromage blanc, petit lait, protéine propre à la consommation humaine, lait et produits laitiers aromatisés de fruits, jus de fruits, noix et autres additifs et/ou arômes pour autant que compris dans cette classe, lait et boissons laitières dont le lait est le composant essentiel; huiles et graisses comestibles; compotes; margarine (à teneur en matières grasses réduite ou non); produits de substitution au lait pour café, “creamer” ou blanchissant.
- classe 30 : boissons à base de chocolat, cacao et café; lait chocolaté, boissons à base de cacao et de café, additionnées de lait; mets à base de farine et de blé; bouillie à base de lait; flan, pudding et desserts analogues, additionnés ou non de fruits, jus de fruits, noix et autres additifs et/ou arômes pour autant que compris dans cette classe; glace de consommation, sorbets et ingrédients pour leur préparation.
- classe 32 : boissons non alcooliques et extraits de fruits, boissons de fruits et jus de fruits, y compris les boissons à base de petit lait, boissons à base de jus de fruits et de produits laitiers pour autant que compris dans cette classe et boissons-sorbets; sirops et autres préparations pour faire des boissons.
b. Par lettre du 3 septembre 1996, le Bureau a notifié au mandataire de Campina le refus provisoire de l'enregistrement. Le Bureau a indiqué les motifs suivants :
Le signe BIOMILD est composé uniquement de la qualité biologique et de la qualité douce des produits mentionnés dans les classes 29, 30 et 32. C'est pourquoi le signe est exclusivement descriptif et est dépourvu de tout caractère distinctif au sens de l'article 6bis, alinéa premier, sous a., de la loi uniforme Benelux sur les marques (...); la combinaison des deux éléments n’y change rien.
c. Campina a fait opposition à ce refus provisoire auprès du Bureau. Le Bureau n'y a pas vu motif à revoir la décision de refus provisoire. Par lettre du 7 mars 1997, le Bureau a notifié le refus définitif de l'enregistrement.
3. Campina demande à la cour d'ordonner au Bureau l'enregistrement de la marque BIOMILD. Campina soutient que BIOMILD n’est pas un signe purement descriptif et dépourvu de tout pouvoir distinctif.
4. Le Bureau demande à la cour de rejeter la requête.
5. La cour partage l’opinion du Bureau qui considère que le signe BIOMILD est dépourvu de tout caractère distinctif pour les produits pour lesquels il est déposé.
Le signe est composé des éléments BIO et MILD.
Il ressort des pièces que BIO se rencontre dans quelques milliers d’enregistrements Benelux. Campina est d’avis que BIO n’est pas l’abréviation courante et usuelle de biologique. La cour peut concéder à Campina que BIO n’est effectivement pas uniquement l’abréviation de biologique. BIO évoque davantage. BIO évoque la vie et est employé - la cour le sait par ses propres investigations - en rapport avec des denrées alimentaires pour indiquer qu’elles sont “naturelles”, qu’elles n’ont pas été pulvérisées et d’autres choses de ce genre. BIO, quand il est employé en rapport avec des denrées alimentaires, suggère qu’elles n’ont pas subi de traitements chimiques et ne contiennent pas d’additifs chimiques et qu’elles sont saines. Comme chacun sait, ce sont des signaux très importants pour les consommateurs; c’est pourquoi il s’agit aussi d’une qualité commerciale essentielle. Le grand nombre d’enregistrements de marques comportant l’élément BIO ne fait que confirmer ce phénomène. Dans ces conditions, la cour estime que BIO est devenu usuel dans le langage courant et peut servir à indiquer la qualité des denrées alimentaires dans le commerce. L’élément BIO est dès lors dépourvu de tout caractère distinctif à l’égard des denrées alimentaires.
MILD est un adjectif existant. Il signifie entre autres doux. Ce mot peut servir dans le commerce à indiquer la qualité, en particulier le goût, des produits pour lesquels BIOMILD est déposé. Le vocable MILD est aussi utilisé effectivement comme tel pour ces produits, comme le Bureau l’a démontré à l’audience avec des emballages et la cour en a d’ailleurs connaissance par elle-même. Il apparaît que le vocable MILD fait office d’indication d’un goût déterminé. Une indication de goût est essentielle pour des denrées alimentaires. MILD est dès lors également dépourvu de tout caractère distinctif. L’existence de synonymes pour MILD est sans intérêt.
La combinaison de ces deux éléments, dépourvus chacun de tout caractère distinctif, n’a pas non plus de caractère distinctif. Une telle combinaison ne risque d’ailleurs pas d’acquérir un pouvoir distinctif. Il faut que s’ajoute quelque chose qui fasse de la combinaison autre chose que la somme des éléments isolés. La cour ne peut déceler rien d’”extraordinaire” dans la combinaison. On ne peut pas parler en tout cas d’une combinaison verbale originale ou d’une dénomination de fantaisie. Le public ne va pas percevoir BIOMILD comme une marque mais plutôt comme une indication des qualités (mode de préparation et goût) des produits concernés. Accepter BIOMILD comme marque empêcherait des tiers de désigner des produits identiques ou similaires avec cette combinaison verbale. Bref, BIOMILD ne possède pas un caractère individualisé tel que le vocable serait apte à distinguer les produits sous ce signe de produits similaires et à démontrer suffisamment la provenance d’une entreprise déterminée.
6. Campina défend le point de vue “que BIOMILD, de par son usage fréquent et largement répandu, a renforcé (c’est Campina qui le souligne) son caractère distinctif grâce à la consécration par l’usage (note de plaidoirie sous 29; cfr. Note de plaidoirie sous 31).
7. La cour n’a pas à analyser cette allégation. Le point de vue exposé sous-entend que BIOMILD possédait déjà un caractère distinctif au moment du dépôt. Toutefois, la cour a déjà considéré ci-dessus qu’elle partage l’opinion contraire du Bureau.
8. En tant que Campina soutient à titre subsidiaire que BIOMILD a acquis un caractère distinctif après le dépôt et qu’il convient dès lors d’accueillir sa requête, la cour considère ce qui suit.
8.1. L’article 3 paragraphe 1 de la Première Directive du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, 89/104, dispose entre autres :
Sont refusés à l'enregistrement ou susceptibles d'être déclarés nuls s'ils sont enregistrés :
a. (...)
b. les marques qui sont dépourvues de tout caractère distinctif;
c. les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l'époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d'autres caractéristiques de ceux-ci;
d. les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d'indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce.
(...)
8.2. Dans le prolongement de cette disposition, le Bureau s’est vu confier, en vertu de l’article 6bis, alinéa premier sous a, de la LBM la mission de refuser l’enregistrement lorsqu’il considère
que le signe déposé ne constitue pas une marque au sens de l’article 1er, notamment pour défaut de tout caractère distinctif comme prévu à l’article 6quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris.
8.3. L'article 6quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris, dans la mesure qui nous intéresse ici, est libellé comme suit :
Les marques de fabrique ou de commerce, visées par le présent article, ne pourront être refusées à l'enregistrement ou invalidées que dans les cas suivants:
(...)
2. lorsqu'elles sont dépourvues de tout caractère distinctif, ou bien composées exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, le lieu d'origine des produits ou l'époque de production, ou devenus usuels dans le langage courant ou les habitudes loyales et constantes du commerce du pays où la protection est réclamée;
La cour part du principe que le renvoi que font les articles 6bis et 14 sous A, début et sous 1.a, LBM à l'article 6quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris n'est pas limité à la première catégorie citée ("dépourvues de tout caractère distinctif") mais concerne les trois catégories énumérées dans cet article.
8.4. Il y a quelques différences textuelles entre l'article 3 précité de la Directive et l'article 6quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris. Dès lors que l'article 6bis et l'article 14 sous A, début et sous 1.a, LBM n'ont pas été modifiés, il faut présumer que les gouvernements des pays du Benelux ont établi le Protocole déjà cité en considérant qu'il n'y avait pas de différences matérielles entre l'article 3 de la directive et l'article 6quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris.
8.5. La procédure de recours au juge après le refus de l’enregistrement d’une marque n’est pas fort détaillée à l’article 6ter de la LBM. Le Commentaire commun des Gouvernements est, lui aussi, sommaire. Il mentionne entre autres :
Le nouvel article 6ter prévoit une procédure par requête auprès des trois juridictions d’appel dans le Benelux qui y sont désignées pour permettre au juge de censurer les décisions du BBM refusant l’enregistrement d’une marque.
Vu ce texte, la cour estime qu’elle doit uniquement examiner si le Bureau a refusé à bon droit d’enregistrer la marque.Il convient, à cette fin, d’avoir égard à la situation prévalant au moment du dépôt étant donné que ce moment a été déterminant pour le Bureau. La cour trouve un appui à cette conception dans l’article 3 paragraphe 3 de la Directive précitée qui énonce :
Une marque n’est pas refusée à l’enregistrement ou, si elle est enregistrée, n’est pas susceptible d’être déclarée nulle en application du paragraphe 1 points b), c) ou d) si, avant la date de la demande d’enregistrement et après l’usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif. En outre, les Etats membres peuvent prévoir que la présente disposition s’applique également lorsque le caractère distinctif a été acquis après la demande d’enregistrement ou après l’enregistrement.
Il faut constater que dans la LBM le législateur Benelux n’a pas fait usage de la faculté que lui offrait la Directive de prévoir qu’une marque n’est pas refusée à l’enregistrement si la marque a acquis un caractère distinctif après la demande d’enregistrement. Contrairement à ce que semble croire Campina, on ne peut pas retomber sur la pratique sous l’empire de l’ancienne LBM, parce que l’ancienne LBM ne prévoyait pas la compétence de refus du Bureau.
La cour souligne que le choix du législateur Benelux de ne pas faire usage de la faculté offerte à l’article 3 paragraphe 3 de la Directive a l’avantage de ne pas compliquer ni ralentir les procédures telles que la présente par un débat sur les circonstances de fait après le dépôt ou par des demandes tendant à suspendre l’examen de la requête pour créer de nouvelles circonstances de fait. De plus, on évite que les intérêts des tiers puissent être lésés par un enregistrement « rétroagissant » à la date du dépôt. En effet, si l’ordre d’enregistrement était prononcé du fait qu’une marque aurait acquis un caractère distinctif après le dépôt, le droit de marque serait réputé avoir existé à compter de la date de dépôt. La poursuite de l’usage du signe par des tiers, usage ayant commencé après le dépôt de la marque et avant la consécration par l’usage, pourrait sans doute être interdite à la demande du titulaire de la marque.
Il suit de ce qui précède qu’il n’y a pas lieu d’ordonner l’enregistrement au motif qu’un signe déposé a acquis un caractère distinctif à cause de la consécration par l’usage après le dépôt. Aussi n’est-il même pas nécessaire d’examiner la thèse de Campina que BIOMILD a été consacré par l’usage après le dépôt.
8.6. La cour fait encore observer que le fait que dans les procédures en contrefaçon et éventuellement en nullité un autre moment déterminant que le moment du dépôt doit être pris en considération ne change rien à sa décision concernant le moment déterminant à retenir en vue du refus de l’enregistrement par le Bureau et de l’appréciation de ce refus par le juge.
9. Campina a relevé que le Bureau a enregistré un certain nombre des dépôts cités alors que ces dépôts auraient dus être refusés en fonction des critères appliqués par le Bureau à l’égard de BIOMILD. Le raisonnement de Campina est manifestement que si le Bureau enregistre ces autres dépôts, il ne saurait refuser l’enregistrement de BIOMILD.
10. Indépendamment du fait que l’admission d’une telle argumentation ne simplifierait sûrement pas la procédure, la cour juge à présent pareille argumentation non valable. Ces autres enregistrements ne sont pas incriminés dans la présente procédure sur pied de l’article 6ter de la LBM. De plus, ce n’est pas parce que d’autres dépôts éventuellement non-distinctifs ont été enregistrés que BIOMILD n’acquiert pas de caractère distinctif. Et même si ces autres dépôts avaient effectivement un caractère distinctif, toujours est-il que la cour doit apprécier le caractère distinctif de BIOMILD en fonction de ses mérites propres sur la base des règles applicables.
11. La cour conclut au rejet de la requête de Campina et à sa condamnation aux dépens.
Décision
La cour rejette la requête de Campina et condamne Campina aux dépens de la présente procédure, taxés à f 4.640,- jusqu'à ce prononcé pour ce qui concerne le Bureau.
La présente ordonnance a été rendue par messieurs Brinkhof, Fasseur-van Santen et Van den Ende-Wiefkers, et prononcée à l'audience publique du 11 septembre 1997 en présence du greffier.