Dans cet article, nous vous donnons un aperçu de la méthode qu’utilise le BOIP pour évaluer l’usage sérieux d’une marque. Dans les procédures du BOIP, la question de savoir si une marque est utilisée de façon sérieuse joue un grand rôle. En effet, il peut s’agir d’un moyen de défense dans le cadre d’une opposition ou d’une radiation basée sur une marque antérieure ou, d’un motif de déchéance dans une procédure de radiation. En d’autres termes, les juristes du BOIP y sont confrontés quotidiennement. Voici donc 5 astuces basées sur notre expérience pour augmenter vos chances de succès lors d’une défense ou d’un recours contre le « non-usus ».
Auteur : Eline Schiebroek
1ère astuce : commencer par un enregistrement correct de la marque
Le premier pas vers le succès en matière de « non-usus » est l'enregistrement de la marque. Il est primordial qu’elle soit enregistrée pour les produits et services pour lesquels elle est véritablement utilisée.
Or, ce n’est souvent pas le cas, notamment pour les services. Nous voyons régulièrement des enregistrements pour des services tels que « publicité », « télécommunication » et « publication » alors que le titulaire de la marque est par exemple un assureur ou détaillant. Cependant, ces titulaires n’utilisent de tels services que pour eux-mêmes, sans les fournir à des tiers. Il n'est donc pas question d'usage de marque puisqu’une marque doit être utilisée « publiquement et vers l’extérieur » pour assurer un débouché aux produits ou aux services pour lesquels elle est enregistrée.1
En général, un tel enregistrement comprend aussi le « service principal » du titulaire de la marque, mais ce n’est même pas toujours le cas. De ce fait, le maintien de la marque après le délai de cinq ans peut s’avérer difficile.
2ème astuce : s’assurer que les pièces justificatives répondent aux exigences pratiques
Le temps des montagnes de papier qu'il fallût « déverser » puis parcourir à la recherche de la marque concernée est révolu. En effet, depuis le 1er janvier 2021, les pièces justificatives et les documents déposés au BOIP doivent répondre à certaines exigences pratiques 2:
- Les pièces justificatives doivent contenir un inventaire avec une numérotation et une description sommaire de chaque pièce ainsi qu’une description du fait que chaque pièce prouve. Le cas échéant, les références doivent renvoyer aux pages concernées.
- Pour favoriser la lisibilité, les passages pertinents doivent être mis en évidence si le document contient également des informations non pertinentes.
- Il est recommandé que les dossiers de pièces soient limités dans leur volume. Nous y reviendrons ci-après.
Il est important de noter que depuis le 13 septembre 2022, il existe également des exigences spécifiques concernant la manière de demander la preuve de l’usage.3
3ème astuce : il ne s’agit pas de succès commercial mais d’exploitation réelle de la marque
Que faut-il entendre par « l’usage sérieux » d’une marque ? La réponse est assez logique. Une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée conformément à sa fonction essentielle, qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et ces services. 4
L’usage dit « symbolique » ne suffit pas, car dans ce cas, la marque n’est pas utilisée pour le but mentionné ci-dessus. Son usage est alors factice et ne sert qu’à maintenir la marque dans le registre.5
Pour déterminer si une marque est utilisée sérieusement, nous évaluons si son exploitation commerciale est bien réelle.6 Pour cela, les points suivants sont pris en compte :
- Usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné ;
- nature du produit ou service ;
- caractéristiques du marché ;
- étendue et fréquence de l’usage de la marque.
Plutôt que d'examiner ces points individuellement, nous les évaluons de manière globale. La question de savoir si les volumes de vente sont suffisants dépend, par exemple, des caractéristiques du marché et de la nature du produit. Pour des articles coûteux comme des panneaux solaires, des voitures ou encore des services financiers, le seuil ne sera pas aussi élevé que pour des vêtements qui sont des biens de consommation courante.
Pour les marques de l’Union européenne, le territoire pour lequel l’usage sérieux doit être démontré est plus vaste que pour une marque nationale ou Benelux. Il faut en effet prouver que la marque est utilisée pour maintenir ou obtenir des parts de marché dans l’Union européenne. Dans ce cas, le seuil est généralement plus élevé. 7
Il est donc important de souligner qu’il ne s’agit pas d’évaluer le succès commercial de la marque mais de démontrer que le produit ou le service est commercialisé de façon sérieuse et crédible.
4ème astuce : fournir des preuves pertinentes
Les preuves d’usage doivent contenir des informations quant au lieu, à la durée et au mode d’utilisation de la marque pour les produits et services concernés.8 Ces documents peuvent être des factures, des devis, des captures d’écran de boutiques en ligne, des photos de produits, d’étiquettes et de magasins, de catalogues, de matériel publicitaire, de brochures, de bilans annuels, de communiqués de presse, de messages sur les réseaux sociaux, etc.
Soumettre des documents variés contribue à de meilleures chances de succès. Soyez toutefois vigilants, la première règle consiste néanmoins à privilégier la qualité à la quantité. Il est ainsi inutile de soumettre 500 pages de captures d’écran de sites web ; une sélection de documents sur une période 5 ans, avec le produit et la marque clairement visibles, est plus convaincante que des centaines de pages contenant d’autres marques, produits et publicités qui n’ont rien à voir avec le dossier. Il en va de même pour les catalogues et les communiqués de presse.
Pour ces raisons, nous vous conseillons vivement de limiter vos pièces justificatives à un maximum de 110 pages.
5ème astuce : ne pas contester chaque élément de preuve individuellement
Lors de la contestation des pièces justificatives, une grande attention est parfois apportée à l’analyse de chaque document, en indiquant par exemple que le document i) n’est pas daté, ii) ne contient pas la marque, iii) ne contient pas le produit/service, iv) n’indique pas le territoire concerné, v) ne n’indique pas le public visé, etc.
Il n’est toutefois pas nécessaire que chaque élément de preuve contienne toutes ces informations. En effet, les documents peuvent se compléter et se clarifier mutuellement.9 Une série de chiffres de vente, étayés par un bilan annuel, une sélection de factures ou des confirmations de commandes ainsi que des photos/captures d’écran des produits peuvent, par exemple, préciser plus clairement l’étendue de l’usage de la marque.
L’usage sérieux d’une marque ne peut cependant être démontré par des probabilités ou des présomptions.10 Il est donc plus judicieux de mettre en évidence les failles des pièces justificatives dans « leur ensemble » plutôt que d’examiner chaque pièce séparément.
Conclusion
Cet article vous propose plusieurs astuces sur la constitution des moyens de preuve dans les procédures d'opposition et de radiation, sur la base de notre méthode de travail. Nous sommes cependant tout à fait conscients que la collecte de preuves d’usage reste souvent un exercice délicat.
1 Tribunal de l’UE 12 mars 2003, T-174/01, ECLI:EU:T:2003:68, point 39 (Silk Cocoon) voir aussi par analogie CJUE 15 janvier 2009, C-495/07, ECLI:EU:C:2009:10 (Silberquelle).
2 Fourniture de pièces justificatives et moyens de preuve | Office Benelux de la Propriété intellectuelle (boip.int)
3 Nouvelle règle de procédure pour les demandes de preuves d’utilisation | Office Benelux de la Propriété intellectuelle (boip.int)
4 CJUE 3 juillet 2019, C-668/17, ECLI:EU:C:2019:557, point 38 (Viridis), ainsi que CJUE 11 mars 2003, C-40/01, ECLI:EU:C:2003:145, point 43 (Ansul).
5 À titre d’illustration, voir les affaires BAIDU dans lesquelles la présence ou non d’une utilisation symbolique est débattue (Décisions d’annulation 3000312, 3000313, 3000315 et 3000316 du 29 décembre 2022).
6 CJUE 31 janvier 2019, C‑194/17, ECLI:EU:C:2019:80, point 83 (Pandalis), ainsi que CJUE 11 mars 2003, C-40/01, ECLI:EU:C:2003:145, point 43 (Ansul).
7 CJUE 19 décembre 2012, C-149/11, ECLI:EU:C:2012:816, points 54-58 (ONEL) et CJUE 11 mars 2003, C-40/01, ECLI:EU:C:2003:145, point 39 (Ansul).
8 Conformément à la règle 1.25 alinéa 2 du Règlement d’exécution.
9 CJUE 17 juillet 2008, C-488/06, ECLI: EU:C:2008:420, point 72 (Aire Limpio) et Tribunal de l’UE 8 juillet 2004, T-203/02, ECLI:EU:T:2004:225, point 53 (Vitafruit).
10 Tribunal de l’UE 8 juillet 2020, T-686/19, ECLI:EU:T:2020:320, point 35 (GNC LIVE WELL).