Numéro de requête 200.044.997/01

Date
Instance
REC NL
Marque
Turnkeyworld
Numéro de dépôt
Déposant
HUBERTUS NEUTEBOOM
Texte

Ordonnance

COUR D’APPEL DE LA HAYE


Secteur commerce

Cause numéro : 200.044.997/01

ordonnance de la cinquième chambre civile du 9 février2010

dans la cause de

HUBERTUS NEUTEBOOM,
domicilié à Heiloo,
requérant,
dénommé ci-après : Neuteboom,
avocat : Me M.G. Jansen à Haarlem,

contre

l’ORGANISATION BENELUX DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE (MARQUES ET DESSINS OU MODELES)
et son organe l’OFFICE BENELUX DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE
t le siège est à La Haye,
défendeur,
dénommé ci-après: l’Office,
représentants ex art. 2.12 alinéa 2 CBPI: MM. C.J.P. Janssen et P. Veeze.

La procédure

Par requête parvenue au greffe de la cour le 5 octobre 2009, Neuteboom a demandé à la cour d’ordonner à l’Office de procéder à l’enregistrement du dépôt du signe TURNKEYWORLD comme marque verbale pour les produits et services indiqués dans le dépôt dans les classes 20, 35, 37 et 42, du moins dans une ou plusieurs de ces classes, et de condamner l’Office aux dépens.

Par mémoire en défense parvenu au greffe de la cour le 18 novembre 2009, l’Office a demandé de rejeter la requête de Neuteboom et de condamner Neuteboom aux dépens.

La procédure orale sur la requête a eu lieu le 18 janvier 2010. Les parties ont fait exposer à cette occasion leurs points de vue, Neuteboom par son avocat, et l’Office par M. Veeze.

Appréciation du recours

1. Les pièces de la procédure et les allégations des parties font apparaître ce qui suit:

a. Neuteboom a effectué le 27 novembre 2008 le dépôt Benelux du vocable TURNKEYWORLD pour les produits et services suivants :

Classe 20 Meubles, glaces (miroirs), cadres; en bois, liège, roseau, jonc, osier, corne, os, ivoire, baleine, écaille, ambre, nacre, écume de mer, succédanés de toutes ces matières ou produits en matières plastiques non compris dans d'autres classes.

Classe 35 : Organisation et tenue d’expositions, présentations, salons et autres événements à des fins commerciales ou publicitaires ; services de commerce au détail concernant les meubles et toutes autres affaires aux fins de l’aménagement de bureaux, entreprises et hôtels ; promotion de ventes de biens concernant l’aménagement d’hôtels, entreprises et bureaux ; démonstrations d’objets concernant l’aménagement d’hôtels, entreprises et bureaux ; importation et exportation d’objets concernant l’aménagement d’hôtels, entreprises et bureaux ; intervention commerciale concernant l’aménagement d’hôtels, entreprises et bureaux.

Classe 37 : aménagement d’entreprises, bureaux et hôtels ; travaux d’installation et de réparation.

Classe 42 : conception de meubles aux fins de l’aménagement de bureaux, entreprises et hôtels ; création d’intérieurs pour bureaux, entreprises et hôtels ; conseils techniques en matière d’aménagement de bureaux, entreprises et hôtels.

b. Par lettre du 2 janvier 2009, l’Office a notifié au mandataire de Neuteboom son intention de refuser l’enregistrement parce que le signe TURNKEYWORLD est descriptif et qu’il est en outre dépourvu de caractère distinctif, faisant référence à l’article 2.11, alinéa 1er, sous b et c, CBPI.

c. Par lettres du 20 janvier 2009 et du 1er juillet 2009, le mandataire de Neuteboom a répondu au refus provisoire. Dans ces lettres, il demande de révoquer le refus/de ne pas refuser l’enregistrement et de procéder à l’enregistrement du signe TURNKEYWORLD dans les classes indiquées.

d. L’Office a répondu aux lettres précitées par des lettres du 17 février 2009 et du 5 août 2009. Le 5 août 2009, l’Office a communiqué aussi sa décision définitive de refus au mandataire de Neuteboom.

2. Pour étayer sa demande, Neuteboom affirme dans sa requête que le signe TURNKEYWORLD n’est pas exclusivement descriptif pour les produits et services pour lesquels il est déposé, qu’il s’agit d’un néologisme, qu’il est plein de fantaisie et plus que la somme des parties. Neuteboom soutient, d’une part, que le signe évoque le service qu’il doit prester, à savoir l’ouverture d’une porte en tournant la clé dans la serrure vers un nouvel environnement. D’autre part, il soutient que le signe n’établit pas de rapport direct et concret avec les produits qu’il veut utiliser.

3. L’article 2.11 CBPI dispose :

1. L'Office refuse d'enregistrer une marque lorsqu'il considère que:
(…)
b. la marque est dépourvue de caractère distinctif;
c. la marque est composée exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l'époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d'autres caractéristiques de ceux-ci
;
(…)

4. La CJCE a relevé, notamment dans ses arrêts du 4 mai 1999, NJ 2000, 269 (en cause Chiemsee) et du 12 février 2004, NJ 2006, 531 (en cause Postkantoor), l’intérêt général qui sous-tend la disponibilité de certains signes.

Dans ce dernier arrêt, la cour a considéré entre autres :

« 53. (…) que, aux termes de l'article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive, sont refusées à l'enregistrement les marques composées exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir dans le commerce pour désigner des caractéristiques des produits ou des services pour lesquels cet enregistrement est demandé.

54. Ainsi que la Cour l'a déjà jugé (…), l'article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive poursuit un but d'intérêt général, lequel exige que de tels signes ou indications puissent être librement utilisés par tous. Cette disposition empêche, dès lors, que lesdits signes ou indications soient réservés à une seule entreprise en raison de leur enregistrement en tant que marque.

55. En effet, cet intérêt général implique que tous les signes ou indications pouvant servir à désigner des caractéristiques des produits ou services pour lesquels l'enregistrement est demandé soient laissés à la libre disposition de toutes les entreprises afin qu'elles puissent les utiliser en décrivant les mêmes caractéristiques de leurs propres produits. Les marques composées exclusivement de tels signes ou indications ne peuvent donc faire l'objet d'un enregistrement (…).

(…)

57. Il est indifférent qu'existent d'autres signes ou indications plus usuels que ceux composant ladite marque pour désigner les mêmes caractéristiques des produits ou services mentionnés dans la demande d'enregistrement. (…)

58. De même, il n'est pas déterminant que le nombre de concurrents pouvant avoir intérêt à utiliser les signes ou les indications dont la marque est composée soit ou non important. En effet, tout opérateur proposant actuellement, ainsi que tout opérateur susceptible de proposer dans l'avenir, des produits ou des services concurrents de ceux pour lesquels l'enregistrement est demandé doit pouvoir utiliser librement les signes ou indications pouvant servir à décrire des caractéristiques de ses produits ou services.

97. Il n'est d'ailleurs pas nécessaire que les signes ou indications composant la marque visés à l'article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive soient effectivement utilisés, au moment de la demande d'enregistrement, à des fins descriptives de produits ou de services tels que ceux pour lesquels la demande est présentée ou des caractéristiques de ces produits ou de ces services. Il suffit, comme l'indique la lettre même de cette disposition, que ces signes et indications puissent être utilisés à de telles fins. Un signe verbal doit ainsi se voir opposer un refus d'enregistrement, en application de ladite disposition si, en au moins une de ses significations potentielles, il désigne une caractéristique des produits ou services concernés (…)

98. En règle générale, la simple combinaison d'éléments dont chacun est descriptif de caractéristiques des produits ou services pour lesquels l'enregistrement est demandé reste elle-même descriptive desdites caractéristiques, au sens de l'article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive. En effet, le simple fait d'accoler de tels éléments sans y apporter de modification inhabituelle, notamment d'ordre syntaxique ou sémantique, ne peut produire qu'une marque composée exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, à désigner des caractéristiques desdits produits ou services.

99. Toutefois, une telle combinaison peut ne pas être descriptive, au sens de l'article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive, à condition qu'elle crée une impression suffisamment éloignée de celle produite par la simple réunion desdits éléments. S'agissant d'une marque verbale, qui est destinée à être entendue autant qu'à être lue, une telle condition devra être satisfaite en ce qui concerne l'impression à la fois auditive et visuelle produite par la marque.

100. Ainsi, une marque constituée d'un mot composé d'éléments dont chacun est descriptif de caractéristiques des produits ou services pour lesquels l'enregistrement est demandé est elle-même descriptive desdites caractéristiques, au sens de l'article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive, sauf s'il existe un écart perceptible entre le mot et la simple somme des éléments qui le composent, ce qui suppose soit que, en raison du caractère inhabituel de la combinaison par rapport auxdits produits ou services, le mot crée une impression suffisamment éloignée de celle produite par la simple réunion des indications apportées par les éléments qui le composent, en sorte qu'il prime la somme desdits éléments, soit que le mot est entré dans le langage courant et y a acquis une signification qui lui est propre, en sorte qu'il est désormais autonome par rapport aux éléments qui le composent. Dans ce dernier cas, il y a alors lieu de vérifier si le mot qui a acquis une signification propre n'est pas lui-même descriptif au sens de la même disposition. »

5. Il est également généralement admis que le caractère distinctif d'une marque doit être apprécié, d'une part, par rapport auxdits produits ou services et, d'autre part, par rapport à la perception qu'en a le public pertinent, qui est constitué par le consommateur moyen desdits produits ou services, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé. Neuteboom déclare (vouloir) utiliser le signe pour assurer l’aménagement de bureaux, hôtels ou autres entreprises.

6. Le signe TURNKEYWORLD est composé des mots TURNKEY et WORLD. Le mot TURNKEY provient de l’anglais et appartient entre-temps à la langue néerlandaise. Il est repris dans le dictionnaire Van Dale de la langue néerlandaise et signifie entre autres « prêt à l’usage » ou « prêt à l’emploi » ou (concernant les bâtiments) « clé sur porte » (voyez l’annexe 1 du mémoire en défense). Ce point n’a pas non plus été contesté de manière motivée par Neuteboom. Etant donné qu’elle n’est pas suffisamment étayée, la cour passe outre à la thèse défendue dans la lettre de son mandataire du 20 janvier 2009 selon laquelle le mot TURNKEY ne sera pas compris par l’habitant moyen du Benelux comme « prêt à l’emploi ». Il ressort du listing, produit par l’Office comme annexe 4 à son mémoire en défense, des premiers cent résultats avec le moteur de recherche Google pour le mot TURNKEY aux Pays-Bas, que le mot est utilisé aux Pays-Bas dans la signification prémentionnée et qu’il est aussi employé en relation avec l’aménagement de bâtiments. Le mot peut donc servir à désigner l’une des caractéristiques et est dès lors descriptif des produits et services pour lesquels le signe est déposé, en bref les produits et services en rapport avec l’aménagement d’entreprises.
Le mot WORLD est l’anglais pour monde et est compris dans le Benelux comme « le monde de » ou « tout ce qui concerne ». Il a en ce sens un caractère descriptif général qui ne possède ni n’ajoute aucun caractère distinctif.

La combinaison ne s’écarte pas de manière perceptible de la somme des éléments TURNKEY et WORLD. Il n’est pas question non plus d’un néologisme ni d’une tournure inhabituelle. La combinaison a été formée de manière habituelle. La cour estime que le signe sera perçu par le public pertinent comme « le monde de » ou « tout ce qui concerne » turnkey. Neuteboom affirme certes que le public pertinent percevra le signe autrement que de la manière indiquée ci-avant, à savoir comme l’ouverture d’une porte en tournant/donnant la clé vers un nouvel environnement, mais part aussi de l’idée qu’il sera compris comme une évocation du service qu’il doit prester. Ainsi perçu, ce serait également un signe non distinctif.
Le signe TURNKEYWORLD est donc dépourvu de caractère distinctif pour les produits et services pour lesquels il est déposé au sens de l’article 2.11, alinéa 1er, sous b et c CBPI.

7. La décision de l’Office implique que l’enregistrement est refusé (parce que le signe en cause est descriptif) pour tous les produits et services indiqués lors du dépôt. Neuteboom demande à titre subsidiaire dans sa requête d’enregistrer le signe pour une ou plusieurs des classes indiquées. Lors de la procédure orale, il a exposé que l’Office a motivé insuffisamment la raison pour laquelle le signe est descriptif pour tous les produits et services pour lesquels il est déposé. Dans son arrêt du 15 février 2007, C-239/05 (en cause THE KITCHEN COMPANY), la CJCE a considéré que l’autorité compétente, lorsqu’elle refuse l’enregistrement d’une marque, est tenue d’indiquer dans sa décision la conclusion à laquelle elle aboutit pour chacun des produits et des services visés dans la demande d’enregistrement, indépendamment de la manière dont cette demande a été formulée. Toutefois, lorsque le même motif de refus est opposé pour une catégorie ou un groupe de produits ou de services, l’autorité compétente peut se limiter à une motivation globale pour tous les produits ou services concernés. A la suite du grief précité, l’Office a déclaré que le signe est descriptif pour tous les produits et services pour lesquels le dépôt a été effectué.

8. Si la motivation donnée par l’Office est suffisante à l’égard de tous les produits et services peut être laissé de côté, dès lors que la compétence de la cour consiste à contrôler le bien-fondé de la décision de l’Office de refuser l’enregistrement du dépôt, tel qu’il a été soumis à l’Office et qu’il a été éventuellement adapté par le déposant après une notification par l’Office de son intention de refuser l’enregistrement en tout ou en partie. Ceci implique que la cour ne peut pas apporter une modification, soit à la demande du déposant, soit d’office, à la liste des produits et services introduite par le déposant en supprimant certains produits et services de cette liste et qu’elle n’est pas non plus compétente pour donner un ordre d’enregistrement qui comporterait d’autres limitations au regard du dépôt apprécié et ensuite refusé par l’Office (voire CJBen 29 juin 2006, NJ 2006, 596 en cause Europolis). Dans son arrêt du 15 février 2007, C-239/05 (en cause THE KITCHEN COMPANY), la Cour de justice CE a autorisé en principe cette approche (Benelux) de la procédure. En phase de réclamation, Neuteboom n’a pas introduit de demande de limitation des produits et services pour lesquels la marque est déposée, ni limité son dépôt. On ne peut pas non plus déduire cette demande des lettres du mandataire visées sous 1c ci-dessus. La cour considère au surplus qu’elle est d’accord avec l’Office pour dire que le signe est dépourvu de caractère distinctif pour tous les produits et services pour lesquels il est déposé, dès lors qu’ils se rapportent tous à l’aménagement d’entreprises.

9. La demande de Neuteboom sera dès lors rejetée.
Etant partie succombante, Neuteboom sera condamné aux frais de procédure exposés par l’Office. La cour fixera ces frais raisonnablement, en prenant en considération le fait que l’Office s’est fait représenter dans cette instance conformément à l’article 2.11, alinéa 2 CBPI.

3. Décision

La cour d’appel:

- rejette la requête de Neuteboom;

- condamne Neuteboom aux frais de la procédure et fixe ceux-ci jusqu’à ce jour à € 1.341,- d’honoraires de mandataire pour l’Office, et à € 313,- à titre provisionnel;


La présente ordonnance a été rendue par les conseillers A.D. Kiers-Becking M.Y. Bonneur et G.J. Heevel ; elle a été prononcée à l’audience publique du 9 février 2010 en présence du greffier.

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