Date
Instance
REC BE Marque
NI OUI NI NON Numéro de dépôt
Déposant
ESNOL, Pascal Texte
No. de la requête 2003/AR/2421
La cour d’appel de Bruxelles, 9ème chambre,
après en avoir délibéré, prononce l’arrêt suivant:
Prononcé : 9 mars 2007
R.G.: 2003/AR/2421
EN CAUSE DE:
ESNOL Pascal, domicilié à 78540 Vernouillet (France), avenue Montaigne, 10,
Requérant,
représenté par Maîtres Emmanuelle de Barnier-Bernier et Michel Magnien, avocats à 75015 Paris (France) rue Franquet, 12 et Maître Paul Struyven, avocat à 1050 Bruxelles, rue Souveraine, 95,
plaideur: Maître M. Magnien,
contre
LE BUREAU BENELUX DES MARQUES,
en abrégé BBM, dont le siège est établi à 2591 XR La Haye (Pays-Bas), Bordewijklaan, 15,
Partie adverse,
représenté par Maître Ludovic De Gryse, avocat à la Cour de cassation et Maître Brigitte Dauwe, avocat, dont le cabinet est établi à 1060 Bruxelles, rue Henri Wafelaerts, 47-51,
plaideurs: Maîtres L. De Gryse et C. Eyers.
I. DECISION ATTAQUEE
Le recours est dirigé contre la décision du Bureau Benelux des Marques (en abrégé BBM) du 15 août 2003 refusant l’enregistrement de la marque verbale ni oui ni non.
II. PROCEDURE DEVANT LA COUR
Le recours est formé par requête, déposée par M. Esnol au greffe de la cour, le 14 octobre 2003.
L’affaire a été fixée sur la base d’une ordonnance du 13 novembre 2003 en application de l’article 747§2 du Code judiciaire.
La procédure est contradictoire.
Il est fait application de l’article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l’emploi des langues en matière judiciaire.
III. FAITS ET ANTECEDENTS DE LA PROCEDURE
1. M. Esnol procède le 8 mai 2002 à l’enregistrement international de la marque verbale ni oui ni non à l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, sous le n° 783823, pour désigner des produits et services des classes suivantes :
· Classe 9 : Appareils pour l’enregistrement, la transmission ou la reproduction du son ou des images ; supports d’enregistrement magnétiques ; disques acoustiques ; distributeurs automatiques et mécanismes pour appareils à prépaiement ; machines à calculer ; appareils pour le traitement de l’information ; ordinateurs ; logiciels périphériques d’ordinateurs ; programmes d’ordinateurs.
· Classe 16 : Papier et carton (brut, mi-ouvré ou pour la papeterie ou l‘imprimerie) ; produits de l’imprimerie ; articles pour reliures ; photographies ; papeterie ; adhésifs (matières collantes pour la papeterie ou le ménage) ; matériel pour les artistes ; pinceaux ; machines à écrire et articles de bureau (à l’exception des meubles) ; matériel d’instruction et d’enseignement (à l’exception des appareils).
· Classe 28 : Jeux, jouets, articles de gymnastique et de sport (à l’exception des vêtements, chaussures et tapis) ; décoration pour arbres de Noël ; cartes à jouer.
· Classe 35 : Publicité; conseils, informations ou renseignements d’affaires.
· Classe 41 : Education ; formation ; divertissement ; activités sportives et culturelles ; édition de livres, de revues ; production de spectacles, de films ; location de films ; organisation de concours en matière d’éducation ou de divertissement.
Cet enregistrement international, basé sur un dépôt français n° 013130486 du 9 novembre 2001, désigne la Suisse et le Benelux comme pays auxquels la protection réclamée s’étend.
2. Par courrier du 11 novembre 2002, le BBM informe l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) du refus provisoire d’enregistrement de la marque ni oui ni non au motif que :
<<Le signe “ni oui ni non” se compose uniquement de l’expression usuelle “ni oui ni non” et est dépourvu de tout caractère distinctif pour les produits et services mentionnés en classes 9, 16, 28, 35 et 41 pour autant qu’ils aient trait au jeu dit du “ni oui ni non” (voir article 6 bis, par.1er, sous a. de la Loi Uniforme Benelux sur les marques en annexe)>>.
Par courrier du 28 avril 2003, M. Esnol conteste la position prise par le BBM, soulignant que le jeu de société qu’il compte commercialiser sous cette marque se distingue du jeu populaire du Ni oui ni non, en ce qu’il comporte un plateau, des cartes et une sonnette.
Le 4 juin 2003, le BBM fait valoir ses arguments justifiant le maintien du refus d’enregistrement et notifie le 15 août 2003 un refus définitif.
3. M. Esnol introduit un recours contre cette décision.
Il demande à la cour d’ordonner au BBM de procéder à l’enregistrement de la marque ni oui ni non, déposée sous le n° 783823, pour les produits et services des classes 9, 16, 28, 35 et 41.
A supposer que la cour décide que l’expression en cause puisse éventuellement renvoyer le consommateur à la pratique orale du jeu du Ni oui ni non, il demande qu’à tout le moins son recours soit déclaré fondé pour les produits relevant des classes 9, 16 et 28.
Il introduit également une demande incidente visant à obtenir la condamnation du BBM au paiement de 1.000 € au titre de frais d’avocat.
IV. DISCUSSION
1. Sur la demande d’écartement des conclusions
4. Le calendrier d’échange de conclusions arrêté par la cour dans son ordonnance du 13 novembre 2003 prévoyait que M. Esnol devait communiquer et déposer ses conclusions principales pour le 9 février 2004 au plus tard. Il lui était réservé la faculté de déposer des conclusions additionnelles pour le 5 avril 2004. Quant au BBM, il disposait d’un droit de répliquer à ces conclusions additionnelles, par d’ultimes conclusions à déposer pour le 19 avril 2004.
M. Esnol n’a déposé ses conclusions principales que le 16 février 2004, soit tardivement. Il a déposé le 16 mars 2004 des conclusions récapitulatives qui reprennent le texte de ses premières conclusions. Le BBM a répondu à ces dernières conclusions par des conclusions additionnelles et de synthèse, déposées le 14 avril 2004.
Le BBM sollicite l’écartement de toutes les conclusions déposées par M. Esnol.
5. Il convient d’écarter les conclusions du 16 février 2004 qui sont tardives.
6. L’économie de l’article 747 § 2 du Code judiciaire n’est pas de priver nécessairrement la partie qui néglige de déposer des conclusions dans le délai fixé du droit de déposer des conclusions dans un délai ultérieur. Toutefois, à la demande d’une partie adverse, le juge peut sanctionner un comportement procédural déloyal et, par ce motif, écarter des conclusions des débats (Cass., 27 novembre 2003, J.T., 2005, p. 419).
En l’espèce, il convient de constater que le BBM a pu disposer d’un délai de 29 jours pour répondre aux conclusions récapitulatives de M. Esnol et qu’il a fait usage de cette faculté, en ce compris pour répondre à la demande subsidiaire formulée dans ces conclusions (cf. page 23, point IV).
Il ne peut donc être soutenu que le BBM a subi un préjudice à l’occasion de la mise en état de la présente cause et qu’il a été la victime d’un comportement déloyal du requérant.
Il n’y a dès lors pas lieu d’écarter les dernières conclusions de M. Esnol, déposées dans le délai imparti par la cour.
2. Sur le caractère distinctif
7. Lors de l’examen d’une demande d’enregistrement, il appartient à l’autorité compétente de prendre en considération les caractéristiques propres de la marque et, s’il s’agit d’une marque verbale, sa signification. Le caractère distinctif d’une marque, au sens de l’ article 3, par. 1, sous b) de la directive doit être apprécié, d’une part, par rapport aux dits produits ou services et, d’autre part, par rapport à la perception qu’en a le public pertinent qui est constitué par le consommateur moyen desdits produits ou services, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (CJCE, 12 février 2004, C-363/99, Postkantoor, points 32 et 34).
Les marques dépourvues de caractère distinctif sont, notamment, celles qui, du point de vue du public pertinent, sont communément utilisées, dans le commerce, pour la présentation des produits ou des services concernés ou à l’égard desquelles il existe, à tout le moins, des indices concrets permettant de conclure qu’elles sont susceptibles d’être utilisées de cette manière. Par ailleurs, de telles marques ne permettent pas au public pertinent de répéter une expérience d’achat, si elle s’avère positive, ou de l’éviter, si elle s’avère négative, lors d’une acquisition ultérieure (TPI, 20 novembre 2002, T-79/01 et T-86/01, Kit Pro et Kit Super Pro, point 19).
Une marque verbale qui est descriptive des caractéristiques de produits ou de services au sens de l’article 3, par. 1, sous c) de la directive, est, de ce fait, nécessairement dépourvue de caractère distinctif au regard de ces mêmes produits ou services au sens de la même disposition sous b) de la directive (CJCE, arrêt Postkantoor déjà cité, n° 86).
Pour être considéré comme un marque au sens de l’article 1er de la loi uniforme Benelux sur les marques, un signe doit posséder ou avoir acquis une individualité telle qu’il est propre à distinguer ce produit de produits similaires et à l’identifier à suffisance comme provenant d’une entreprise déterminée (C.J. Benelux, 16 décembre 1991, Burberrys II, n° 17, Jur. 1991, p.22).
8. En l’espèce, M. Esnol ne conteste pas que le jeu du Ni oui ni non, qui consiste pour un participant à ne pas prononcer les mots oui ou non à l‘occasion d’une série de questions et de réponses, est un jeu bien connu qui fait partie de la tradition populaire. M. Esnol déclare ne pas chercher à s’approprier ce jeu, mais considère qu’il faut prendre en considération le produit qu’il commercialise sous le signe ni oui ni non qui est un jeu de société différent du jeu oral, puisqu’il comporte un plateau, des cartes à jouer et une sonnette et, qu’à tout le moins, le signe est simplemement évocateur du jeu populaire.
9. Contrairement à ce que M. Esnol soutient, il n’y pas lieu de prendre en considération les produits et services qui sont ou seront effectivement commercialisés sous la marque, mais les produits et services pour lesquels la protection est demandée.
Or, dans sa demande M. Esnol inclut les jeux (classe 28) et les divertissements (classe 41).
Le signe ni oui ni non est purement descriptif d’un jeu ou d’un divertissement bien connu du public. L’utilisation de ce vocable, pris dans son ensemble permet au public concerné d’établir directement et immédiatement un lien avec les caractéristiques du produit ou du service.
Le signe est dès lors dépourvu de tout caractère distinctif puisqu’il n’est pas apte à permettre au consommateur, lorsqu’il sera appelé à arrêter son choix, de distinguer le produit qu’il compte acheter comme provenant de l’entreprise de M. Esnol.
Par ailleurs, il convient de tenir compte de l’intérêt général qui exige que les signes ou indications descriptifs des caractéristiques des produits ou services pour lesquels l’enregistrement est demandé puissent être librement utilisés par tous. Ils ne peuvent donc être réservés à une seule entreprise (CJCE 4 mai 1999, C-108/97 Windsurfing Chiemse).
Enfin, contrairement à ce que M. Esnol soutient, la marque n’est pas simplement évocatrice dudit jeu populaire. Elle le présente directement. En tout état de cause, même si tel n’était pas le cas, le signe doit se voir opposer un refus d’enregistrement si en au moins une de ses significations potentielles il désigne une caractéristique des produits ou services concernés (CJCE 23 octobre 2003, C-191/01 P, Doublement), ce qui est les cas en l’espèce.
Le recours n’est donc pas fondé.
3. Sur la demande d’enregistrement subsidiaire
10. M. Esnol a sollicité l’enregistrement du signe pour tous les produits et services repris dans sa demande.
Aucun débat ne s’est noué devant le BBM sur le caractère éventuellement distinctif du signe en regard des autres produits et services que les jeux et les divertissements et M. Esnol n’a introduit aucune demande d’enregistrement partiel.
11. Dans son arrêt du 15 décembre 2003 (affaire BBM / Vlaamse Toeristenbond, n° A/2002/2), la Cour de Justice Benelux a dit pour droit que :
les articles 6 bis et 6 ter de la LUBM doivent être interprétés en ce sens que la cour d’appel de Bruxelles, le Gerechtshof de La Haye ou la cour d’appel de Luxembourg sont autorisés à donner l’ordre d’enregistrer un dépôt pour les produits ou services déterminés d’une classe uniquement dans la mesure où le BBM, après l’examen visé à l’article 6 bis, a statué également sur lesdits produits ou services et qu’ il ne s’est pas borné à rendre une décision sur l’ensemble de cette classe.
Il est constant que le BBM n’a pas procédé à une vérification du caractère distinctif de la marque, produits par produits et services par services, et s’est contenté de refuser globalement l’enregistrement pour tous les produits et services demandés.
Dans son arrêt du 15 février 2007, la Cour de Justice vient de dire pour droit que la première directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui empêche la juridiction saisie d’un recours contre une décision de l’autorité compétente de se prononcer sur le caractère distinctif de la marque séparément pour chacun des produits et des services visés dans la demande d’enregistrement dès lors que ni cette décision ni cette demande ne portait sur des catégories de produits ou de services ou sur des produits ou services considérés séparément (affaire C-239/05 BVBA Management, Training en Consultancy).
Il s’en déduit que le recours subsidiaire n’est pas recevable.
V. DISPOSITIF
Pour ces motifs, la cour,
Après avoir écarté des débats les conclusions déposées par M. Esnol le 16 février 2004,
1. Dit le recours principal non fondé et le recours subsidiaire non recevable et en déboute M. Esnol.
2. Met les dépens à charge de M. Esnol.
Ces dépens s’élèvent à 186 + 57,02 + 242,94 € pour lui et à 242,94 € pour le BBM.
Ainsi jugé et prononcé en audience civile publique de la neuvième chambre de la cour d’appel de Bruxelles, le 09-03-2007
où étaient présents :
Martine REGOUT, Conseiller, ff. Président,
Henry MACKELBERT, Conseiller,
Els HERREGODTS, Conseiller,
Patricia DELGUSTE, Greffier.