Numéro de requête 2009/AR/2440

Date
Instance
REC BE
Marque
à la carte
Numéro de dépôt
Déposant
INTRES BELGIUM N.V.
Texte

La COUR D’APPEL DE BRUXELLES,
18e CHAMBRE

Après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :


R.G. N° 2009/AR/2440


DANS LA CAUSE DE :

INTRES BELGIUM S.A., dont le siège social est à 1020 BRUXELLES, square de l’Atomium 1/481, enregistrée sous le numéro BCE 0451.216.482,
Demanderesse,
représentée par Me MAEYAERT Paul, avocat à 1000 BRUXELLES, avenue du Port 86C B.414;

CONTRE :

L’ORGANISATION BENELUX DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE, (marques et dessins ou modèles), administration commune des pays du Benelux, instituée en vertu de la convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (marques et dessins ou modèles), dotée de la personnalité juridique internationale en vertu de l’article 1.4 de la convention Benelux en matière de propriété intellectuelle, représentée par le Directeur général de l’Office Benelux de la Propriété intellectuelle (OBPI), dont le siège est établi à 2591 XR LA HAYE (PAYS-BAS), Bordewijklaan 15 ;

Défenderesse,

Représentée par Me DAUWE Brigitte, avocat à 1000 BRUXELLES, rue de Loxum 25,

La procédure devant la cour

01. Par une requête déposée au greffe le 07 septembre 2009, la cour est saisie en application de l’article 2.12. de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (CBPI) du 25 février 2005.

02. Le recours en annulation est dirigé contre la décision de l’Office Benelux de la Propriété intellectuelle du 07 juillet 2009, notifiant le refus définitif de l’enregistrement de la marque ‘à la carte’.

03. Les parties ont déposé des conclusions de synthèse et ont été entendues à l’audience publique du 11 mai 2010.

04. Le ministère public a donné son avis le 20 mai 2010.

La demanderesse a introduit une réplique à l’avis le 1er juin 2010, après quoi l’affaire a été mise en délibéré le 3 juin 2010.

Les faits et l’objet de la demande

05. La société liée à la demanderesse Intres B.V. a déposé le 28 octobre 2008 la marque verbale « à la carte » sous le numéro 1169547 pour les produits et services des classes administratives 20, 24 et 35, comme suit :

Classe 20 : matelas, coussins, sommiers, boxsprings, literie, coussins et oreillers, lits, meubles de chambre à coucher.
Classe 24: tissus et produits textiles non compris dans d’autre classes, sacs de couchage (sacs de couchage en toile à drap), couettes en duvet, housses, protège-matelas, couvertures, housses d’oreiller, literie, draps-housses.
Classe 35: intermédiation commerciale en vue de la commercialisation de matelas et articles de chambre à coucher, promotion de vente pour des entreprises commerciales qui s’occupent de la vente de lits et articles apparentés, services de commerce de gros et de détail en matelas et articles de chambre à coucher.

Le dépôt a été enregistré le 30 octobre 2008 sous le numéro 0852700 en application de la procédure accélérée visée à l’article 2.8 CBPI.

06. Par lettre du 28 novembre 2008, l’OBPI a notifié au mandataire de Intres B.V. que l’enregistrement du signe était radié en application des articles 2.8 alinéa 2 et 2.11 de la CBPI pour le motifs suivant :

« Le signe ‘A LA CARTE’ (pour composer/choisir sur mesure) est une indication usuelle dans le langage courant. Il est en outre descriptif (de ce fait) pour les produits et services mentionnés dans les classes 20, 24 et 35 et est en outre dépourvu de caractère distinctif. Nous nous référons à l’article 2.11, alinéa 1er, sous b et c, CBPI. »

Le renvoi aux dispositions conventionnelles citées concerne les cas où une marque déposée ne peut pas générer des droits de marque : le défaut de caractère distinctif (2.11.1.b) et la circonstance que la marque est composée exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l'époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d'autres caractéristiques de ceux-ci (2.11.1.c).

07. Par une lettre du 26 mai 2009, le mandataire du déposant introduit une réclamation circonstanciée contre la radiation provisoire.

En premier lieu, le mandataire a objecté que la décision n’indique pas pour chacun des produits et services pourquoi le signe refusé peut servir, dans le commerce, pour désigner l'espèce, la qualité ou la destination des produits et services concernés et qu’il ne fait aucune distinction entre les différents produits et services.

Elle déclare ne pas voir en quoi ‘à la carte’ pourrait être une caractéristique essentielle de produits tels que des matelas, coussins, lits et literie, de même que de services d’intermédiation commerciale en rapport avec ces produits.
Elle relève encore que le signe ne présente aucun lien direct et concret avec la nature et la destination des produits et services.
Elle a souligné en particulier que l’article 2.11.1 c CBPI exige qu’une qualité soit décrite de manière spécifique, non vague et objective avant qu’elle puisse constituer un obstacle. Ainsi, ‘à la carte’ resterait, dans la signification indiquée par l’OBPI (composer, choisir sur mesure) très vague et tout sauf spécifique et objective.

En ce qui concerne le défaut de caractère distinctif, elle fait valoir que la décision n’indique aucun autre motif que le caractère descriptif.

Enfin, elle a contesté que le signe déposé soit une ‘indication usuelle’ dans le langage courant au sens de l’article 2.11.1 d de la CBPI. Elle a relevé dans ce contexte les nombreux enregistrements du signe ‘à la carte’ comme marque tant pour les produits que pour les services.

08. Par une lettre du 07 juillet 2009, l’OBPI a répondu aux objections formulées par le mandataire et a maintenu au demeurant la décision de radiation.

Il a d’abord abordé en profondeur le caractère descriptif de la marque en se référant à l’arrêt Postkantoor (CJCE 12 février 2004, C-363/99) et a déclaré que l’intérêt général exige que les signes ou indications pouvant servir pour désigner les caractéristiques des produits ou services pour lesquels l’enregistrement est demandé puissent être librement utilisés par tous.
Se référant au caractère courant de l’indication ‘à la carte’, laquelle veut dire que quelque chose peut être accompli ou composé sur mesure ou à la discrétion de chacun et aux produits et services pour lesquels le signe a été déposé, l’OBPI indique que le public concerné, qui est très large, percevra le signe comme l’indication que les produits peuvent être adaptés totalement au goût de chacun. Dans ce contexte, elle renvoie aussi à l’information sur le site du déposant.

Il s’est penché ensuite sur le défaut de caractère distinctif qui est entièrement lié au caractère descriptif. Il déduit de ce dernier que le consommateur ne comprendra pas que le syntagme fasse office de marque. Il ne serait pas en mesure d’identifier le signe alors qu’en cas d’achat réitéré, il s’agit de renouveler une expérience positive ou d’en éviter une mauvaise.

Enfin, il a rappelé que tout signe doit être apprécié selon ses mérites propres de sorte qu’un enregistrement antérieur par l’OBPI de signes analogues est jugé non pertinent.

09. Par une deuxième lettre de la même date fut notifiée la radiation de l’enregistrement.
La décision contenue dans cette lettre est à présent contestée.

10. D’après la mention dans le registre des marques et l’écrit délivré le 11 septembre 2009 par l’OBPI, le déposant a cédé le 2 septembre 2009 ses droits de marque à la demanderesse actuelle Intres Belgium SA.

Les points de vue des parties et la demande de la demanderesse

11. La défenderesse objecte d’abord que la cour n’a pas de pouvoir de juridiction ou est à tout le moins territorialement incompétente en vertu de l’article 2.12, alinéas 1 et 3 de la CBPI.
Elle relève qu’en vertu de ces dispositions, la Cour territorialement compétente est déterminée par l’adresse du déposant ou de son mandataire mentionnée lors du dépôt ou l’adresse postale indiquée lors du dépôt.

Selon elle, l’adresse lors du dépôt est déterminante pour fixer la compétence et l’adresse du titulaire actuel de la marque n’est pas pertinente.
Dans le cas d’espèce, le dépôt mentionnait une adresse aux Pays-Bas. Ce faisant, seule la cour de La Haye serait compétente.

Elle rejette l’argumentation de la demanderesse selon laquelle l’exception serait invoquée tardivement et qu’il y a lieu de saisir la Cour constitutionnelle pour cause de violation du principe d’égalité par l’article 2.12 alinéa 3 de la CBPI. Selon elle, la distinction incriminée par la demanderesse ne vise pas des cas analogues et la distinction est en tout cas raisonnablement justifiée étant qu’elle poursuit un but légitime.
Elle estime encore, à titre subsidiaire, que si une question préjudicielle était requise au sujet de l’exception de juridiction, la Cour de Justice Benelux doit être saisie.
Le défaut de juridiction ou de compétence territoriale implique aussi aux yeux de la défenderesse que la cour ne peut pas renvoyer la cause à un juge étranger, ne serait-ce que parce que la CBPI ne le prévoit pas.

12. S’agissant du fond de l’affaire, la défenderesse souligne d’abord que le public visé est formé par le consommateur moyen, jugé raisonnablement informé, attentif et avisé.

S’appuyant sur une série impressionnante d’exemples, puisés dans tous les secteurs d’activité, elle indique ensuite que ‘à la carte’ est devenue une expression usuelle pour indiquer que quelque chose peut être composé sur mesure et au choix personnel et qu’il n’en va pas autrement pour les produits qui sont l’objet de la protection au titre de marque revendiquée par la demanderesse.

Elle déduit de ce constat que l’expression ‘à la carte’ peut servir, dans le langage courant, à désigner l’espèce, la qualité et/ou une caractéristique des produits et services pour lesquels l’enregistrement est demandé. Une mention sur le site internet de la demanderesse confirme selon elle le sens descriptif du signe.

Le défaut de caractère distinctif résulte ensuite du caractère descriptif.
Ce caractère exige selon elle que le signe demande au moins un certain caractère artificiel au regard des produits pour lesquels il doit servir de moyen d’identification.
Elle maintient que le signe est devenu usuelle dans le langage courant ou dans les usages honnêtes en matière commerciale.

Enfin, elle conteste aussi que l’OBPI aurait manqué à son obligation d’examen et de motivation en prenant la décision de refus.

13. Sur le fond, la demanderesse demande d’annuler la décision définitive de refus de l’OBPI et d’ordonner l’enregistrement de la marque ‘à la carte’, déposée sous le numéro 1169547 pour tous les produits et services concernés.
Elle demande aussi la condamnation de la défenderesse aux dépens, y compris l’indemnité de procédure de 1.200 euros.

Son exposé quant au fond correspond à l’argumentation qu’elle a développée dans sa réclamation contre la décision provisoire qu’elle avait adressée à l’OBPI.
En ce qui concerne le motif de refus tiré de l’article 2.11.1d, elle se réserve de prendre des conclusions additionnelles au sujet de l’application erronée de ce motif de droit, si la défenderesse devait s’en prévaloir.

14. S’agissant de l’exception tirée du défaut de pouvoir de juridiction ou de compétence territoriale, elle estime qu’elle a été soulevée trop tard, dès lors qu’elle ne l’a pas été ‘in limine litis’. Ce faisant, la cour n’aurait pas à la traiter.

Si la cour devait être d’un autre avis, il reste selon la demanderesse que l’exception n’est pas fondée.
Elle le déduit du fait que les cours désignées comme compétentes par la CBPI doivent appliquer leurs règles de procédure nationales et qu’en droit judiciaire belge, la juridiction et la compétence sont déterminés au moment de l’introduction de l’instance. Elle relève aussi que l’article 2.12 1° fait uniquement état du déposant, mais ne prévoit rien au cas où une cession de la marque intervient au cours de la procédure d’enregistrement.

Elle estime encore dans ce contexte qu’il se pose un problème avec la contrariété de l’article 2.12, 3° de la CBPI avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que la disposition visée introduit une distinction entre le cas où le déposant ou son mandataire ont une adresse ou une adresse postale dans le Benelux et le cas où il n’en est rien. Dans ce dernier cas, le déposant a une entière liberté de choix concernant la cour compétente. Si la partie demanderesse a une adresse ou une adresse postale en Belgique, il serait
discriminatoire qu’elle ne puisse pas la cour d’appel de Bruxelles, selon son raisonnement.
Le cas échéant, elle y voit un motif de saisir la Cour constitutionnelle de la question suivante :

« L’article 2.13, alinéa 3, de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (marques et dessins ou modèles), signée à La Haye le 25 février 2008 et approuvée par la loi du 22 mars 2006 (M.B. 26 avril 2006) viole-t-il le principe constitutionnel d’égalité et de non-discrimination inscrit aux articles 10 et11 de la Constitution en tant que cette disposition offre au déposant d’une marque ou son mandataire ayant un domicile ou une adresse postale en dehors du Benelux le libre choix entre les trois cours respectivement mentionnées à l’article, alors que le déposant ou son mandataire ayant un domicile ou une adresse de référence dans le Benelux peut uniquement s’adresser à la cour de ce domicile ou de cette adresse postale ? »

Appréciation

Sur la compétence territoriale de la cour.

15. L’article 2.12 1° CBPI prescrit qu’après la notification de la décision définitive de refus, le déposant introduire devant la Cour d’appel de Bruxelles, le Gerechtshof de La Haye ou la Cour d’appel de Luxembourg une requête tendant à obtenir un ordre d’enregistrement de la marque.

S’agissant de l’attribution de compétence territoriale à ces trois cours, l’article 2.12 3° dispose : ‘La cour territorialement compétente se détermine par l'adresse du déposant, l'adresse du mandataire ou l'adresse postale, mentionnée lors du dépôt. Si ni le déposant ni son mandataire n'ont une adresse ou une adresse postale sur le territoire Benelux, la cour compétente est celle choisie par le déposant.’

Cette disposition conventionnelle fait apparaître que l’exception soulevée par la défenderesse concerne bien la compétence territoriale de la cour.

16. La demanderesse a indiqué dans sa requête introductive que la marque a été déposée ‘au nom de la société belge Intres Belgium SA’ et en déduit que la cour d’appel de Bruxelles est compétente.

Elle estime que l’on ne peut pas examiner l’exception soulevée par la défenderesse qui conteste cette compétence, étant donné qu’elle n’a pas été soulevée avant toute autre défense dans les premières conclusions.

17. Il ressort cependant des premières conclusions introduites par la défenderesse le 4 décembre 2009 qu’elle a allégué l’incompétence territoriale de la cour.
Le moyen en question de la demanderesse est donc sans fondement.

Il faut admettre au surplus que la cour devrait, le cas échéant, constater d’office son incompétence, s’il y avait lieu et que l’exception n’est pas soulevée par la défenderesse.
En effet, l’article 4.6 CBPI qui détermine la compétence territoriale en cas de litige entre parties concernant les marques, dessins ou modèles, prescrit à l’alinéa 3 que les tribunaux appliqueront d'office les règles définies dans cet article et constateront expressément leur compétence.

Il faut admettre qu’en cas de litige visant à s’opposer à une décision administrative en matière d’enregistrement ou d’opposition, le principe de la constatation d’office de la compétence territoriale ne doit pas être appliqué autrement.

18. La règle tirée de l’article 2.12 1° peut en principe se formuler en ce sens que la compétence territoriale est attribuée sur la base d’une adresse dans un des trois pays du Benelux qui est mentionnée dans le dépôt et qu’à défaut de pareille adresse, le déposant a le libre choix entre les trois instances judiciaires.

La règle laisse ouverte la question de savoir comment la compétence doit être déterminée si les adresses mentionnées du déposant et du mandataire se trouvent dans des pays du Benelux différents.

En ce qui concerne une adresse postale éventuelle, il ressort du formulaire de dépôt présenté par l’OBPI qu’une telle adresse est uniquement admise si le déposant est établi en dehors de la CE ou de l’EEE et n’a pas de mandataire.

19. Dans le cas présent, le formulaire de dépôt mentionne deux adresses aux Pays-Bas : l’une pour le déposant (Intres B.V.) et l’autre pour le mandataire (Novagraaf Nederland B.V.).

L’instance n’est toutefois pas introduite par le déposant, mais par sa filiale à laquelle les droits de marque ont été cédés en cours de procédure d’enregistrement, le 2 septembre 2009, si ce n’est après la clôture de la phase administrative de celle-ci avec la radiation de l’enregistrement accéléré.

20. Il n’est pas contesté que l’ayant cause du déposant a intérêt à mener la procédure visée à l’article 2.12 CBPI, tout comme ce dernier y avait intérêt.

La question se pose dès lors de savoir si l’ayant cause qui a une adresse dans un autre pays que le déposant reste néanmoins lié, par la mention de l’adresse du dernier cité, en vue de la détermination de la cour qu’il doit saisir.
En d’autres termes, le point 3 de l’article 12.2 CBPI se rattache-t-il à l’adresse parce que celle-ci est associée à l’ayant droit, qui est habituellement le déposant, ou l’identité de l’ayant droit ou de son mandataire fournit-elle le facteur de rattachement déterminant, l’adresse ne constituant que le représentant, de sorte que l’attribution de compétence suit l’adresse d’un de ces derniers ?

21. Si la situation présente était transposée à la règle de compétence en matière d’opposition, telle que fixée à l’article 2.17 de la CBPI, on devrait conclure que ce n’est pas l’adresse mentionnée dans le formulaire de dépôt qui est déterminante, mais bien l’adresse de l’ayant droit.

En effet, l’article 2.17, 2° CBPI prévoit que la cour territorialement compétente se détermine par ‘l'adresse du défendeur originel’, ce qui s’entend de la partie qui est défendeur pendant la procédure d’opposition. D’habitude, ‘le défendeur originel’ est aussi le déposant. Cette formulation abandonne cependant le renvoi à l’adresse mentionnée dans le dépôt et elle se rattache à l’adresse de l’intéressé.

Selon cette disposition, la cession de droits de marques à un ayant cause en cours de procédure d’opposition a pour résultat que la cour compétente n’est pas désignée sur la base de l’adresse mentionnée dans le formulaire de dépôt, mais sur la base de l’adresse de l’ayant cause. Ce dernier devient en effet défendeur dans la procédure d’opposition au cas où les droits de marque lui sont cédés. Si l’adresse de l’ayant cause est établie dans un autre pays du Benelux que celle du déposant, la compétence territoriale glisse.

22. La question se pose donc de savoir si les articles 2.12 1° et 3°, première phrase, CBPI doivent être interprétés ensemble en ce sens que la cour territorialement compétente se détermine exclusivement par l’adresse du déposant ou de son mandataire s’ils ont mentionné une adresse dans le Benelux dans le dépôt, peu importe que le déposant ait cédé en cours de procédure d’enregistrement les droits de marque à un tiers avec une adresse dans un autre pays du Benelux, ou que cette détermination s’opère sur la base de l’adresse du titulaire des droits de marque ou de son mandataire au moment où le recours contre le refus est introduit.

23. Il a déjà été indiqué ci-dessus que l’article 2.12 3° CBPI n’institue pas non plus un ordre de préférence au cas où le dépôt mentionne deux adresses situées dans des pays différents du Benelux pour le déposant ou son mandataire.
Un même problème se pose lorsque l’adresse du titulaire des droits de marque change en cours de procédure d’enregistrement vers un autre pays du Benelux et que ce changement est jugé pertinent pour l’interprétation de l’alinéa 3.

La question se pose alors de savoir si, dans ce cas, une préférence entre l’une de ces adresses vaut pour la détermination de la compétence territoriale ou si les deux adresses peuvent fournir un facteur de rattachement au libre choix de l’ayant droit.

24. Enfin, la question se pose du règlement de la procédure si la cour saisie arrive à la conclusion qu’elle est territorialement incompétente.

Si l’interprétation de l’article 2.12 3° énonce que la compétence est déterminée exclusivement par l’adresse mentionnée dans le dépôt et que la cour doit constater qu’elle n’est pas compétente territorialement, la cour est-elle tenue, après avoir constaté l’incompétence, de renvoyer la cause au juge territorialement compétent ou la décision en matière d’incompétence vaut-elle décision définitive sur l’appel ?

Indépendamment de la question de l’éventualité d’une application de la technique de renvoi instituée à l’article 4.6 5° CBPI, l’incidence de la réponse présente une importance de principe en ce que, sans possibilité de renvoi, la saisine du juge territorialement incompétent a des conséquences irréparables, dès lors que le recours contre une décision de refus ne peut introduire, selon l’article 2.12 CBPI, que dans un délai de deux mois après la notification visée à l’article 2.11 4° CBPI.
Si la décision en matière d’incompétence constitue la décision définitive, la perte du recours ne peut être évitée que si l’on admettait que la saisine du juge territorialement incompétent a un effet interruptif.

25. Il y a lieu d’interroger la Cour de Justice Benelux au sujet de l’interprétation de l’article 2.12, 1° en 3° de la CBPI.

La procédure est suspendue en attendant la réponse de la Cour de Justice Benelux.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Eu égard aux prescriptions de la loi du 15 juin 1935 sur l’emploi des langues en matière judiciaire,

Statuant contradictoirement,

Saisit la Cour de Justice Benelux en vue d’obtenir une réponse aux questions suivantes relatives à l’interprétation des articles 2.12, 1° et 3° CBPI :

1° Les règles tirées des dispositions conventionnelles visées doivent-elles être comprises ensemble en ce sens que la compétence territoriale se détermine exclusivement par l’adresse du déposant ou de son mandataire lorsqu’ils ont mentionné une adresse dans le Benelux dans le dépôt, peu importe que le déposant a cédé, pendant la procédure d’enregistrement, les droits de marque à un tiers ayant une adresse dans un autre pays du Benelux, ou bien en ce sens que la détermination de la compétence intervient sur la base de l’adresse du titulaire des droits de marque ou de son mandataire au moment où le recours contre le refus est introduit ?

2° Si un changement dans l’adresse du titulaire de la marque vers un autre pays du Benelux est pertinent pour la détermination de la compétence et qu’à cause de ce changement, les adresses du titulaire de la marque et de son mandataire se trouvent dans des pays différents du Benelux, existe-t-il un ordre de succession préférentiel entre l’une des adresses pour la détermination de la compétence territoriale ou les deux adresses fournissent-elles un facteur de rattachement au libre choix de l’ayant droit ?

3° Si la cour doit constater sur la base de la mention des adresses dans le dépôt qu’elle n’est pas territorialement compétente, la cour est-elle tenue, après avoir constaté l’incompétence, de renvoyer la cause devant le juge territorialement compétent ou la décision en matière d’incompétence vaut-elle décision définitive sur l’appel ?

Suspend la procédure.

Réserve les dépens.

****************

Ainsi jugé et prononcé à l’audience civile publique de la dix-huitième chambre de la cour d’appel de Bruxelles, le 05 octobre 2010

Où étaient présents :

M. Paul BLONDEEL,                                                                                      Président de chambre,
Mme S. GADEYNE,                                                                                        Conseiller,
M. E. BODSON,                                                                                               Conseiller,
Mme D. VAN IMPE,                                                                                         Greffier.

VAN IMPE                                                                                                         BODSON


GADEYNE                                                                                                        BLONDEEL

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