Numéro de requête 97/267

Date
Instance
REC NL
Marque
BIO-CLAIRE
Numéro de dépôt
Déposant
Bio-Claire International Ltd.
Texte

Prononcé : 3 juillet 1997
No de la requête.: 97/267

LA COUR D’APPEL DE LA HAYE, chambre IVA,

a rendu l'ordonnance suivante à la requête de :

Bio-Claire International Ltd.,
dont le siège est à Castle Hill, Windsor, Berkshire, Grande Bretagne,

requérante,
avoué : Me G.L. Kooy

dirigée contre

Le BUREAU BENELUX DES MARQUES,
dont le siège est à La Haye,

avoué : Me C.J.J.C. van Nispen

La procédure

Par requête (avec annexes) reçue au greffe de la cour le 26 mars 1997, la requérante a demandé à la cour d'ordonner au Bureau Benelux des Marques I'enregistrement du dépôt de la marque BIO-CLAIRE, tel qu'il avait été effectué le 4 avril 1996 sous le numéro 870305, et de condamner le Bureau Benelux des Marques aux dépens de la procédure.

Par mémoire en défense (avec annexes) reçu au greffe de la cour le 20 mai, I'intimée a demandé à la cour de rejeter la requête, "éventuellement les dépens comme de droit".

La procédure orale est intervenue le 16 juin 1997. Les avoués des parties ont exposé les points de vue des parties à l'aide de notes de plaidoirie.

Examen de la requête

1. Les pièces jointes à la requête font apparaître ce qui suit :

a. Le 4 avril 1996, la requérante a déposé auprès du Bureau Benelux des Marques, dénommé ci-après le Bureau, la marque BIO-CLAIRE pour des produits de nettoyage et d'èpuration, granules, poudres, liquides et autres agents, substances et matériaux et produits contenant à l’état naturel des minéraux et agents chimiques, tous pour I'élimination des algues dans les éangs et le nettoyage et l’épuration des étangs dans la classe 1, pour les additifs à la nourriture pour poissons dans la classe 31, et pour le traitement de I'eau dans la classe 40.

b. Par lettre du 17 juillet 1996, le Bureau a notifié au mandataire de la requérante refus provisoire de I'enregistrement. Le Bureau a indiqué les motifs suivants :

Le signe BIO-CLAIRE est composé de l'abréviation usuelle bio (pour biologique) et de la qualité claire (mot français pour "helder") et désigne de manière très évidente les produits et services mentionnés dans les classes 1, 31 et 40, en ce qui concerne la préservatlon de la limpidité de l'eau et son épuration de manière biologique. C 'est pourquoi le signe est exclusivement descriptif et est dépourvu de tout caractère distinctif au sens de l'article 6bis, alinéa premier, sous a., de la loi uniforme Benelux sur les marques.

c. La requérante a fait opposition à ce refus provisoire. Le Bureau n'y a pas vu motif à revoir la décision de refus provisoire. Par lettre du 27 janvier 1997, le Bureau a notifié le refus définitif de I'enregistrement.

2. La requérante demande à la cour d'ordonner au Bureau I'enregistrement de la marque BIO-CLAIRE. La requérante estime que la décision de refus prise par le Bureau viole l'article ler de la loi uniforme Benelux sur les marques (LBM).

3. Le Bureau demande à la cour de rejeter la requête.

4. Le débat entre les parties oblige la cour à trancher les questions suivantes :

(i) Est-il permis à la cour de soumettre la décision attaquée du Bureau à une censure uniquement marginale ?

(ii) Ouel est le critère à appliquer ?

(iii) La rnarque BIO-CLAIRE doit-elle être considérée comme une marque en vertu de l'article ler LBM ?

5. ad (i) : censure marginale ?

5.1. Le Bureau estime que sa décision de refus définitif ne peut être soumise qu'à une censure marginale par la cour. Ceci résulterait des termes de I'article 6bis LBM "lorsqu'il considère que" (naar zijn oordeel) et est confirmé par le Commentaire commun des Gouvernements qui fait état d'une politique de contrôle du BBM "qui devra être une politique de circonspection et de retenue, tenant compte de tous les intérêts de la vie économique et visant uniquement à faire régulariser ou à refuser les dépôts manifestement inadmissibles". II faudrait considérer à ce sujet, poursuit le Bureau, que le Bureau doit contrôler annuellernent quelque 35.000 dépôts. Selon le Bureau, la cour devrait se livrer à un contrôle intégral des "directives concernant les critères de refus des marques pour motifs de nullité absolus" et à un contrôle marginal des décisions du Bureau. Dans l'optique du Bureau, la cour serait appelée dès lors à déterminer si le Bureau, compte tenu du cadre légal et des directives, a pu raisonnablement parvenir à sa décision de refus total ou partiel.

5.2. La cour ne peut pas partager le point de vue du Bureau.

5.2.1. Tant avant qu'après I'entrée en vigueur au 1 er janvier 1996 du Protocole du 2 décembre 1992 portant modification de la loi uniforme Benelux sur les marques, la règle de base est que le droit exclusif à la marque s'acquiert par le premier dépôt (article 3, alinéa 1er, LBM).

5.2.2. Avant I'entrée en vigueur du Protocole, tout intéressé pouvait invoquer la nullité du dépôt d'un signe qui, en vertu de l'article ler LBM, n'est pas considéré comme marque ne répondant pas à la définition de la marque qui est donnée à l'article ler LBM (article 14 sous A, début et sous 1.a, LBM). Saisi de l'action en nullité, le juge statuait évidemment au contentieux de pleine juridiction sur le point de savoir si le dépôt attaqué était conforme à l'article ler LBM.

5.2.3. Il ressort du Commentaire commun des Gouvernements relatif au Protocole qu'il a été jugé souhaitable d'accroître la fiabilité du registre et de favoriser la sécurité juridique pour les déposants et les tiers et qu’à cet effet le Bureau a été investi du pouvoir de contrôler la conformité des dépôts, notamment à l'article ler LBM. Il ressort de l'article 6ter LBM que le déposant peut, après le refus du Bureau d'enregistrer le dépôt, demander au juge désigné dans cet article de faire enregistrer malgré tout le dépôt. L'article 14 sous A, début et sous 1.a, LBM, n'a pas changé.

5.2.4. Depuis l'entrée en vigueur du Protocole, la question de la conformité d'un dépôt à l'article ler LBM peut dès lors être portée devant le juge par deux voies différentes. D'une part, il y a l'action en nullité introduite sur le pied de l'article 14 sous A, début et sous 1.a, LBM après l’enregistrement du dépôt. Et d'autre part, il y a la requête par laquelle le déposant demande au juge d'ordonner l'enregistrement du dépôt après le refus du Bureau.

5.2.5. Si le Bureau ne refuse pas l'enregistrement du dépôt - et enregistre donc le dépôt - et qu'un intéressé invoque par la suite la nullité du dépôt sur le pied de l'article 14 sous A, début et sous 1.a, LBM, il faut considérer, vu le point 5.2.2. des motifs et le nonchangement de cette disposition, que le juge aura à examiner de la même manière qu'auparavant si le dépôt attaqué est conforme à l'article ler LBM.

5.2.6. Si le Bureau refuse l'enregistrernent du dépôt, l'article 6ter LBM offre au déposant la faculté de demander au juge d'ordonner l'enregistrement. Etant donné qu'il s'agit en l'espèce, tout comme dans la situation évoquée au § 5.2.5., de se prononcer sur l'existence d'un droit exclusif et que les intérêts du déposant et des tiers sont d'importance analogue, il ne se justifie pas d'accorder en l'espèce au juge un pouvoir d'appréciation moins étendu que dans la situation visée au § 5.2.5. Le principe doit être dès lors que le juge appelé à décider s'il y a lieu d'ordonner l'enregistrement d'un dépôt sur le pied des dispositions de l'article 6ter LBM statue souverainement sur la conformité d'un dépôt à l'article ler LBM.

5.2.7. La LBM et le Commentaire commun peuvent naturellement contraindre à l'abandon de ce principe. La cour observe cependant que la question de savoir si le juge est autorisé à exercer un contrôle uniquement marginal revêt une importance telle pour les déposants et les tiers que l'option de ce contrôle marginal devrait se déduire clairement et sans ambiguïté de la LBM et du Commentaire commun.

5.2.8. Or il n'en est rien. La cour ne saurait déduire des termes de l'article 6bis LBM cités par le Bureau que pour se prononcer sur une requête fondée sur l'article 6ter LBM, le juge ne pourrait exercer qu'un contrôle marginal. Les mots en question indiquent simplement que le Bureau doit émettre une considération, non que le Bureau se verrait accorder une certaine liberté d'appréciation dont l'exercice ne pourrait faire l'objet que d'une simple censure marginale par le juge dans une procédure ex article 6ter LBM. Le Commentaire commun n'apporte pas non plus une quelconque indication en ce sens. Le fait que le Bureau a arrêté les modalités d'exercice de sa compétence dans des directives publiques n'implique pas nécessairement que le Bureau se serait vu accorder une liberté d'action dont le juge ne pourrait contrôler que le caractère raisonnable.

5.2.9. Enfin, la cour estime que le nombre de dépôts à examiner est dénué d'intérêt pour l'examen de la question litigieuse. Ce nombre élevé exige certes du Bureau une politique claire et rendue publique mais ne doit pas nécessairement limiter le contrôle à exercer par le juge sur l'existence de droits exclusifs, d'autant moins que cette censure limitée dérogerait au pouvoir d'appréciation plus large reconnu au juge lorsqu'il est saisi de la même question dans un contexte différent (cfr. 5.2.5.). 5.2.10. Vu ce qui précède, la cour n'a pas à examiner la thèse de la requérante pour qui la censure marginale n'est pas compatible avec l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. ad (ii) : quel critère ?

6.1. Les articles 6bis et 14, sous A, début et sous 1.a, LBM mentionnent le défaut "de tout caractère distinctif, comme prévu par l'article 6quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris". Cette disposition est libellée comme suit :

Les marques de fabrique ou de commerce, visées par le présent article, ne pourront être refusées à l'enregistrement ou invalidées que dans les cas suivants :
(...)
2. lorsqu'elles sont dépourvues de tout caractère distinctif, ou bien composées exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, le lieu d'origine des produits ou l'époque de production, ou devenus usuels dans le langage courant ou les habitudes loyales et constantes du commerce du pays où la protection est réclamée;

La cour part du principe que le renvoi que font les articles 6bis et 14 sous A, début et sous 1.a, LBM à l'article 6quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris n'est pas limité à la première catégorie citée ("dépourvues de tout caractère distinctif") mais concerne les trois catégories énumérées dans cet article.

6.2. Le Protocole susmentionné a adapté la LBM à la Première Directive du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, 89/104 (J.O.C.E. 1989, L 40). L'article 3 de cette directive énonce entre autres :

1.Sont refusés à l'enregistrement ou susceptibles d'être déclarés nuls s'ils sont enregistrés :
(...)
b. les marques qui sont dépourvues de tout caractère distinctif;
c. les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l'époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d'autres caractéristiques de ceux-ci;
d. les margues qui sont composées exclusivement de signes ou d'indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce.

II y a quelques différences textuelles entre l'article 3 précité de la Directive et l'article 6quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris. Dès lors que l'article 6bis et l'article 14 sous A, début et sous 1.a, LBM n'ont pas été modifiés, il faut présumer que les gouvernements des pays du Benelux ont établi le Protocole déjà cité en considérant qu'il n'y avait pas de différences matérielles entre l'article 3 de la directive et l'article 6quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris.

6.3. La cour ne partage pas le point de vue du Bureau en ce qu'il soutient que la directive fixerait des exigences plus sévères que la Convention de Paris pour le caractère distinctif. II ressort en effet du préambule de la directive que le Conseil a voulu que les dispositions de la directive soient en harmonie complète avec celles de la Convention de Paris. On peut concéder au Bureau qu`il aurait été sans doute souhaitable de faire apparaïtre dans le Protocole que la notion de marque est devenue une notion européenne.

6.4.Il suit de ce qui précède que l'article 6quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris peut servir de critère pour statuer dans la présente affaire.

7. ad (iii) : BIO-CLAIRE a-t-il un caractère distinctif ?

7.1. La cour partage la conception du Bureau selon laquelle le signe BIO-CLAIRE est dépourvu de tout caractère distinctif pour les produits et services pour lesquels il est enregistré.
Le signe est composé des éléments BIO et CLAIRE.
II ressort des pièces que BIO figure dans quelques milliers d'enregistrements de marques Benelux. La requérante ne conteste pas que BIO soit I'abréviation usuelle du mot biologique. Dans ces conditions et considérant aussi le fait que les produits et services de la requérante portent su le nettoyage et l'épuration de l'eau avec l'aide de "minéraux et agents chimiques préscnts à l'état naturel", la cour est d'avis que l'élément BIO est dépourvu de tout caractère distinctif pour lesdits produits et services.
CLAIRE est le mot français pour "helder". Les produits - y compris les additifs à la nourriture pour poissons qui servent à annihiler I'effet polluant de la nourriture pour poissons - et les services de la requérante sont destinés à clarifier l'eau. C'est pourquoi cet élément est lui aussi dépourvu de tout caractère distinctif.
La combinaison de ces deux éléments, chacun dépourvu de tout caractère distinctif, n'a pas davantage de caractère distinctif. Une telle combinaison ne risque pas d'ailleurs d'acquérir un caractère distinctif. Il faudrait que la combinaison soit accompagnée de quelque chose qui en fasse plus que la somme des éléments séparés. Contrairement à la requérante, la cour ne peut rien découvrir d'"extraordinaire" dans la combinaison. De toute manière, ce ne saurait être une combinaison de mots ou une appellation de fantaisie originale dans l'esprit des francophones dans le Benelux, pas plus que ne le serait la combinaison BIO-HELDER dans l'esprit des néerlandophones. Le public ne percevra pas BIO-CLAIRE comme un signe distinctif mais plutôt comme l'indication des caractéristiques des produits et services concernés. Accepter BIO-CLAIRE comme marque empêcherait des tiers de désigner des produits et services identiques ou similaires avec cette combinaison de mots. Bref, BIO-CLAIRE ne possède pas un caractère individualisé qui le rend apte à distinguer les produits et services revêtus de ce signe de produits et services similaires et à attester suffisamment l'origine d'une entreprise déterminée.

7.2. La requérante avance encore que la marque BIO-CLAIRE a été consacrée par l'usage. On ne saurait déduire des circonstances jugées pertinentes par la requérante, à savoir que le signe est déjà employé comme marque depuis longtemps, que les produits revêtus de ce signe se vendent bien et que nombreux sont ceux qui ont visité le salon Tuinidee 1996 à Bois-le-Duc et le stand de la requérante, que le signe a acquis l'individualité précitée.

Dépens

8. La LBM ne contient pas des prescriptions relatives à la procédure. II apparaït correct à la cour d'appliquer par analogie les dispositions de la procédure sur requête. L'article 429k du code de procédure civile donne au juge la faculté de prononcer une condamnation aux dépens. La présente procédure présente des analogies telles avec une procédure contentieuse qu'il y a lieu de condamner la partie succombante aux dépens.

Décision

La cour rejette la requête et condamne la requérante aux dépens de la présente procédure, taxés à f 4.640,- jusqu'à ce prononcé pour ce qui concerne le Bureau. La présente ordonnance a été rendue par messieurs Brinkhof, Fasseur-van Santen et Van Sandick, et prononcée à l'audience publique du 3 juillet 1997 en présence du greffier.

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