Prononcé : 4 septembre 1997
No de la requête.: 97/349
LA COUR D’APPEL DE LA HAYE, chambre IVA,
a rendu l'ordonnance suivante à la requête de :
Unilever N.V.,
dont le siège est à Rotterdam,
requérante,
avoué : Me H.J.A. Knijff
avocat : Me J.A. van Arkel
contre
Le BUREAU BENELUX DES MARQUES,
dont le siège est à La Haye,
avoué : Me D.M. Wille
avocat : Me J.H. Spoor
La procédure
Par requête (avec annexes) parvenue au greffe de la cour le 24 avril 1997, la requérante, dénommée ci-après Unilever, a demandé à la cour d’ordonner l’enregistrement des dépôts 867.427, 867.428 et 867.429 également pour les produits refusés et de condamner le défendeur, dénommé ci-après le Bureau, aux dépens.
Par mémoire en défense parvenu au greffe de la cour le 20 mai 1997, le Bureau a demandé de rejeter la requête d’Unilever et d’ordonner que l’enregistrement du dépôt 867.427 doit être limité au produit « sauce pour gratin au goût d’épices et d’ail », l’enregistrement du dépôt 867.428 à « sauce pour gratin au goût de bacon et d’oignons » et l’enregistrement du dépôt 867.427 (on doit lire en fait 867.429) au produit « sauce pour gratin au goût de fromage ».
La procédure orale a eu lieu le 26 août 1997; après production de documents, les parties ont fait exposer chacune leur point de vue à l’aide de notes de plaidoirie, Unilever par Me J.A. van Arkel, avocat à Rotterdam, et le Bureau par Me J.H. Spoor, avocat à Amsterdam. A cette occasion, Unilever n’a pas maintenu sa requête en ce qui concerne les produits café, thé, cacao, glace de consommation et glace à rafraîchir dans la classe 30.
Examen de la requête
1. La requête a été introduite dans le délai.
2. La requête et les documents qui lui sont joints font apparaître ce qui suit :
a. Le 15 mars 1996, Unilever a déposé, sous les numéros 867.427, 867.428 et 867.429, trois marques figuratives, chacune constituée de la reproduction d’une étiquette (en différentes couleurs) sur laquelle on lit entre autres le mot « Calvé », au centre les mots « Aardappel Anders » ainsi que dans le coin inférieur gauche le mot « sauce pour gratin », déposées pour la classe 29 : viande, poisson, volaille et gibier; extraits de viande; fruits et légumes conservés, séchés et cuits; gelées, confitures, compotes; oeufs, lait et produits laitiers; huiles et graisses comestibles, et la classe 30 : café, thé, cacao, sucre, riz, tapioca, sagou, succédanés du café; farine et préparations faites de céréales, pain, pâtisserie et confiserie, glaces comestibles; miel, sirop de mélasse; levure, poudre pour faire lever; sel, moutarde; vinaigre, sauces (condiments); épices; glace à rafraîchir.
b. Par lettres du 7 août 1996, le Bureau a fait savoir à Unilever qu’il refusait provisoirement (en partie) l’enregistrement des dépôts 867.427, 867.428 et 867.429. Le Bureau a indiqué chaque fois le(s) motif(s) suivant(s) : « Etant donné que la reproduction du signe AARDAPPEL ANDERS (fig.) porte manifestement sur une sauce, le signe est de nature à tromper le public pour tous les produits autres que la sauce mentionnés dans les classes 29 et 30 (article 6bis, alinéa premier sous b de la loi uniforme Benelux sur les marques (...)); veuillez adapter la liste des produits. »
c. Unilever a déposé réclamation contre ce refus provisoire (partiel). Par ses lettres du 3 mars 1997, le Bureau a informé Unilever de sa décision portant refus définitif de l’enregistrement des dépôts pour les produits y mentionnés (en substance : les produits autres que les sauces dans les classes 29 et 30).
d. Unilever a demandé d’ordonner l’enregistrement des dépôts 867.427, 867.428 et 867.429 pour les produits refusés, étant entendu qu’elle ne maintient plus sa demande en ce qui concerne les produits café, thé, cacao, glace comestible et glace à rafraîchir. Unilever soutient que les indications « sauce pour gratin épices-ail », « sauce pour gratin bacon-oignons » et « sauce pour gratin fromage » figurant sur les étiquettes à côté du titre accrocheur « Aardappel Anders » sont trop insignifiantes pour pouvoir tromper le public. La cour croit comprendre qu’en invoquant au surplus l’article 5C, alinéa 2, de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle (CU), Unilever fait valoir qu’elle est autorisée à apporter des modifications à ces indications étant donné que ces indications sont des éléments qui ne modifient pas le caractère distinctif des marques. L’élément de la marque « Aardappel Anders » entend indiquer que l’on s’écarte des produits connus; il peut s’agir d’un complément pour préparer autrement un mets à base de pommes de terre, d’une sauce ou bien d’un complément à base d’épices, d’oeufs etc. Si les marques sont utilisées pour d’autres produits que les sauces, Unilever déclare que les indications « sauce pour gratin » seront adaptées.
3. Le Bureau a basé ses décisions de refus sur l’article 6bis, sous b, de la loi uniforme Benelux sur les marques (LBM) (en substance : tromperie) et a allégué à cet égard que dans la mesure où les dépôts sont effectués pour d’autres produits que les « sauces » dans les classes 29 et 30, ils se rapportent chaque fois à une marque telle que visée à l’article 4, sous 2, de la LBM.
4. La cour examinera s’il y a bien un motif de refus au sens de l’article 6bis, sous b, de la LBM. L’appréciation se fondera sur la marque telle qu’elle a été déposée. Il convient dès lors d’écarter les modifications qui ont été ou seront apportées ultérieurement à l’usage.
5. L’article 5C, alinéa 2, de la Convention de Paris est libellé comme suit : L’emploi d’une marque de fabrique ou de commerce, par le propriétaire, sous une forme qui diffère, par des éléments n'altérant pas le caractère distinctif de la marque dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée dans l'un des pays de l’Union, n’entraînera pas l’invalidation de l’enregistrement et ne diminuera pas la protection accordée à la marque. De l’avis de la cour, l’article concerne exclusivement les effets de l’usage d’une marque sous une forme légèrement différente de la marque enregistrée. Cette disposition ne se prête pas à une application analogique pour se prononcer sur l’existence du motif de refus de la tromperie. La cour fait remarquer dans ce contexte que ni l’article 6quinquies B, sous 3, de la Convention de Paris, qui reprend la tromperie comme motif de refus, ni les articles 4 sous 2 et 6bis de la LBM et l’article 3 paragraphe 1 point g) de la Première Directive du Conseil rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, 89/104/CEE, ne font une différence entre les éléments distinctifs et non distinctifs d’une marque.
6. Le cour juge sans intérêt le fait que les indications « sauce pour gratin épices-ail », « sauce pour gratin bacon-oignons » et « sauce pour gratin fromage » soient moins voyantes que les mots imprimés en caractères plus grands « Aardappel Anders ». Du fait que la mention des mots « Aardappel Anders » est combinée sur les étiquettes aux indications citées, le (la partie concernée du) public s’attendra à ce que les marques se rapportent à des sauces pour gratin. Cette impression se trouve encore confortée par la reproduction d’un plat à gratin sur les étiquettes. Ces mentions et reproductions se trouvant sur les étiquettes, l’usage des marques pourra cependant être de nature à tromper le public, si les marques devaient se rapporter à d’autres produits que les sauces (pour gratin). Dès lors que les dépôts ont été effectués notamment pour de tels autres produits, il y a dans cette mesure tromperie éventuelle au sens de l’article 4 sous 2 de la LBM. Dans ces conditions, il convient de rejeter la requête d’Unilever, en tant qu’elle est maintenue.
7. Le Bureau a demandé à la cour - manifestement à titre de demande reconventionnelle - d’ordonner que les enregistrements des dépôts 867.427, 867.428 et 867.429 soient limités respectivement aux produits « sauce pour gratin au goût d’épices et d’ail », sauce pour gratin au goût de bacon et d’oignons » et « sauce pour gratin au goût de fromage ».
8. La cour déclarera non recevable ladite demande du Bureau et ce pour le motif suivant. L’article 6ter de la LBM est la clef de voûte de la procédure prévue à l’article 6bis LBM qui accorde au Bureau le pouvoir de soumettre les marques ou signes déposés à un examen quant au fond et de refuser leur enregistrement. L’article 6ter LBM ne prévoit pas la faculté pour le Bureau de déposer une requête auprès d’une des cours mentionnées dans cette disposition. Il ne serait pas non plus compatible avec le texte et la portée de ces dispositions, telle que cette dernière se dégage du Commentaire commun des Gouvernements, que le Bureau forme dans une procédure sur pied de l’article 6ter une demande reconventionnelle tendant à modifier un dépôt déjà enregistré (dans cette mesure) et tente ainsi de réparer des omissions.
9. La LBM ne contient pas de prescriptions quant à la manière de procéder. Il paraît indiqué à la cour d’appliquer par analogie les dispositions de la procédure par requête. La LBM ne s’y opposant pas, la cour prononcera une condamnation aux dépens par application de l’article 429k du Code de procédure civile.
Décision
Rejette la requête d’Unilever, en tant qu’elle est maintenue; Déclare non recevable la demande du Bureau; Condamne Unilever aux dépens de la présente procédure et fixe ceux-ci à f 4.640,- pour le Bureau jusqu’à ce prononcé.
La présente ordonnance a été rendue par messieurs Brinkhof, Fasseur-van Santen et Van den Ende-Wiefkers et prononcée à l’audience publique du 4 septembre 1997 en présence du greffier.