Numéro de requête A-2005/1

Date
Instance
CJB
Marque
EUROPOLIS
Numéro de dépôt
Déposant
BOVEMIJ VERZEKERINGEN N.V.
Texte
Numéro d’arrêt: A 2005/1
 
BOVEMIJ VERZEKERINGEN N.V. contre BUREAU BENELUX DES MARQUES
 
Prononcé: 29 juin 2006
Numéro d’arrêt: A 2005/1
 
COUR DE JUSTICE
 
En cause de:
 
BOVEMIJ VERZEKERINGEN N.V.
 
contre
 
BUREAU BENELUX DES MARQUES
 
La COUR DE JUSTICE BENELUX a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire A 2005/1.
 
1.         Dans son ordonnance du 27 janvier 2005 dans l’affaire R98/474 de la société anonyme BOVEMIJ VERZEKERINGEN N.V., dont le siège est à Nimègue (ci-après : Bovemij), contre le BUREAU BENELUX DES MARQUES, dont le siège est à La Haye (ci-après : le BBM), la Cour d’appel de La Haye a posé des questions d’interprétation à la Cour de justice des Communautés européennes (ci-après: la CJCE) et à la Cour de Justice Benelux (ci-après : la Cour). Des quatre questions, la première et la dernière qui sont relatives à l’interprétation de la loi uniforme Benelux sur les marques (ci-après : la LBM) ont été posées à la Cour conformément à l’article 6 du Traité relatif à l’institution et au statut d’une Cour de Justice Benelux (ci-après : le Traité). La première question d’interprétation est posée exclusivement à la Cour et concerne la procédure instituée à l’article 6ter de la LBM. La quatrième question d’interprétation est posée tant à la CJCE qu’à la Cour et concerne l’interprétation de l’article 3, § 3, de la première directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, JOCE 1989, L40, p. 1 (ci-après : la Directive).
 
Quant aux faits
 
2.            L’ordonnance du 27 janvier 2005 de la Cour d’appel de La Haye énonce comme suit les faits de la cause :
 
(a) Le 28 mai 1997, Bovemij a déposé auprès du BBM, sous le numéro 894315, le signe EUROPOLIS comme marque verbale pour les classes suivantes de services :
 
CI. 36 Assurances; affaires financières; affaires monétaires; affaires immobilières.
Cl. 39 Transport; emballage et entreposage de marchandises; organisation de voyages.
 
(b) Par lettre du 31 octobre 1997, le BBM a notifié à Bovemij son refus provisoire d'enregistrer le dépôt. Comme motif, le BBM a indiqué :
 
"Le signe EUROPOLIS est composé du préfixe courant EURO (pour Europe) et du terme générique POLIS [police d’assurance] et est exclusivement descriptif pour les services mentionnés dans les classes 36 et 39 en ce qui concerne une police d’assurance dans un cadre euro(péen). C'est pourquoi le signe est dépourvu de tout caractère distinctif au sens de l'article 6bis, alinéa 1er, sous a, de la loi uniforme Benelux sur les marques (…)."
 
(c) Par lettre du 14 avril 1998, Bovemij a contesté le refus provisoire du BBM d’enregistrer le dépôt. La lettre expose que le signe fait l’objet de la part d’Europolis B.V., filiale de l’actuelle Bovemij, d’un usage licite comme marque dans la vie des affaires depuis 1988. A l’appui de ses affirmations, Bovemij a produit trois brochures d'Europolis B.V. concernant des assurances pour vélos tout en offrant de communiquer si nécessaire des preuves complémentaires.
 
(d) Par lettre du 5 mai 1998, le BBM a fait savoir qu'il ne voyait dans les réclamations de Bovemij aucun motif à revenir sur le refus provisoire. Le BBM a ajouté à ses développements antérieurs qu’il ne pouvait être question de consécration par l'usage, la durée de celui-ci étant insuffisante et les pièces communiquées faisant uniquement état d’un usage du signe comme nom commercial.
 
(e) Le BBM a notifié à Bovemij, par lettre du 28 mai 1998, sa décision portant ‘refus définitif' d'enregistrer le dépôt.
 
(f) Conformément à l’article 6ter de la LBM, Bovemij a introduit, le 28 juillet 1998, devant la Cour d’appel de La Haye une requête tendant à faire ordonner au BBM l’enregistrement du signe déposé dans le registre des marques. Bovemij a fondé sa requête, en ordre principal, sur le fait qu'EUROPOLIS possède à l’évidence un caractère distinctif suffisant et, en ordre subsidiaire, sur le fait que le signe a acquis un caractère distinctif en raison de sa consécration par l'usage avant la date du dépôt. En rapport avec le fondement subsidiaire de sa requête, Bovemij a joint à sa requête – outre les pièces déjà produites dans la procédure d’enregistrement – 15 productions dans la procédure devant la Cour d’appel de La Haye et elle a versé au dossier 85 productions supplémentaires à l’occasion de la procédure orale. Le BBM a contesté les allégations de Bovemij et a demandé à la Cour d’appel de La Haye de rejeter la requête de Bovemij.
 
(g) En ce qui concerne le fondement principal de la requête de Bovemij, la Cour d’appel de La Haye a décidé que le signe EUROPOLIS est composé exclusivement de signes et indications pouvant servir, dans le commerce, à désigner des caractéristiques du produit et qu’il est dépourvu par lui-même de tout caractère distinctif. En ce qui concerne le fondement subsidiaire selon lequel le signe aurait acquis un caractère distinctif en raison de sa consécration par l’usage avant la date du dépôt, la Cour d’appel de La Haye a jugé nécessaire de poser des questions préjudicielles.
 
3.         La première question de la Cour d’appel de La Haye, qui est posée à la Cour, et la quatrième, qu’elle adresse aussi à la CJCE, sont libellées comme suit :
 
“(1) L'arrêt précité de la Cour de Justice Benelux du 15 décembre 2003 (affaire A 2002/2, BBM contre Vlaams Toeristenbond, Jur. 2003, p. 30) doit-il être interprété en ce sens que le terme "éléments" dans l'attendu n° 11 comprend aussi les preuves (additionnelles) relatives à un fondement présenté dans la procédure d’enregistrement (comme la consécration par l'usage) qui ont été produites dans la procédure par requête visée à l’article 6ter de la LBM et cela signifie-t-il dire que la Cour d’appel de Bruxelles, le Gerechtshof de La Haye ou la Cour d’appel de Luxembourg sont tenus d’écarter de telles preuves additionnelles?
 
(4) Pour apprécier le caractère distinctif acquis par l’usage, au sens de l’article 3, paragraphe 3, de la Directive, d’un signe composé d’un ou de plusieurs mots appartenant à une langue officielle sur le territoire d’un état membre (ou, comme en l’espèce, sur le territoire Benelux), faut-il tenir compte des aires linguistiques sur ce territoire ?
Lorsque les autres conditions d’enregistrement sont remplies, suffit-il ou est-il requis pour l’enregistrement comme marque que le signe soit perçu comme une marque par le public concerné dans une fraction significative de l’aire linguistique de l’état membre (ou, comme en l’espèce, du territoire Benelux) où cette langue est parlée officiellement ?”
 
Quant à la procédure
 
4.            Conformément à l’article 6, alinéa 5, du Traité, la Cour a fait parvenir aux parties et aux ministres de la Justice de Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg une copie certifiée conforme de l’ordonnance de la Cour d’appel de La Haye.
 
5.         Les parties ont eu l’occasion de présenter par écrit des observations sur les questions posées à la Cour. Me C.J.J.C. van Nispen, avocat à La Haye, a déposé un mémoire pour le BBM et Me E.M. Matser, avocat à Nimègue, a déposé un mémoire pour Bovemij. Les deux avocats ont plaidé l’affaire le 19 décembre 2005 sur la base de notes de plaidoirie remises par la suite.
 
6.            Monsieur l’avocat général L. Strikwerda a donné des conclusions écrites le 17 février 2006 qui n'ont donné lieu à aucune note d'observations des parties.
 
Quant au droit
 
Sur la première question
 
7.         Par la première question, la Cour d’appel de La Haye souhaite savoir en substance dans quelle mesure le pouvoir de contrôle de la décision du BBM refusant l’enregistrement du dépôt est sujet à des restrictions et en particulier si ces restrictions impliquent que dans la procédure en vertu de l’article 6ter de la LBM, le déposant n’est pas recevable à invoquer devant le juge des faits et circonstances qui n’avaient pas été présentés dans la procédure d’enregistrement auprès du BBM.
 
8.         La réponse à cette question est donnée selon le texte de la LBM, tel qu’il était en vigueur au moment du dépôt litigieux le 28 mai 1997, et dès lors avant l’entrée en vigueur au 1er janvier 2004 du Protocole portant modification de la loi uniforme Benelux sur les marques, signé à Bruxelles le 11 décembre 2001.
 
9.         Ainsi que la Cour l’a considéré dans l’arrêt du 15 décembre 2003 visé dans la première question (affaire A 2002/2, BBM contre Vlaams Toeristenbond, Jur. 2003, p. 30), les procédures instituées par les articles 6bis et 6ter de la LBM visent un examen quant au fond du signe déposé au regard des critères mentionnés à l’article 6bis, alinéa 1er, de la LBM. Selon cet arrêt de la Cour, il ressort des articles 6bis et 6ter de la LBM, pris conjointement, que la Cour d’appel de Bruxelles, le Gerechtshof de La Haye ou la Cour d’appel de Luxembourg sont compétents pour connaître du litige qui résulte du refus du BBM d’enregistrer un dépôt et que ces juridictions exercent leur compétence en cette matière en connaissant de la requête introduite contre la décision du BBM relative au refus d’enregistrer un dépôt. La Cour en a déduit que la Cour d’appel de Bruxelles, le Gerechtshof de La Haye ou la Cour d’appel de Luxembourg peuvent statuer uniquement sur le bien-fondé du refus du BBM d’enregistrer le dépôt. Ce qui implique, selon l’arrêt visé, que la Cour d’appel de Bruxelles, le Gerechtshof de La Haye ou la Cour d’appel de Luxembourg ne peuvent prendre en considération que les éléments sur lesquels le BBM a fondé ou aurait dû fonder sa décision. Il s’ensuit, selon cet arrêt, que la Cour d’appel de Bruxelles, le Gerechtshof de La Haye ou la Cour d’appel de Luxembourg ne peuvent pas connaître de prétentions qui sortent du cadre de la décision du BBM ou qui ne lui ont pas été soumises.
 
10.       Le pouvoir des juridictions visées à l’article 6ter de la LBM est dès lors limité au contrôle du bien-fondé de la décision du BBM de refuser l’enregistrement du dépôt, tel qu’il a été soumis au BBM et tel qu’il a été éventuellement adapté par le déposant après que le BBM a notifié son intention de refuser l’enregistrement en tout ou en partie. Cette limitation implique que ces juridictions ne peuvent, ni à la demande du déposant, ni d’office, apporter aucune modification à la liste des produits ou services introduite par le déposant en y supprimant certains produits ou services et qu’elles ne sont pas davantage autorisées à donner un ordre d’enregistrement qui comporterait d’autres restrictions par rapport au dépôt examiné et puis refusé par le BBM. Leur pouvoir étant ainsi limité, ces juridictions ne peuvent avoir égard aux éléments qui sont avancés à l’appui de prétentions sortant du cadre de la décision du BBM ou qui ne lui ont pas été soumises. C’est cette dernière situation qui se présentait dans l’affaire qui a conduit à l’arrêt de la Cour du 15 décembre 2003 visé au point 9 ci-dessus, et les motifs qui y sont énoncés à propos de la question posée doivent être examinés dans cette optique.
 
11.       Ce qui précède ne permet pas de résoudre le point de savoir si dans la procédure visée à l’article 6ter de la LBM, le déposant peut invoquer des éléments additionnels à l’appui de la requête tendant à faire ordonner l’enregistrement du dépôt, tel qu’il a été examiné et refusé par le BBM, lesquels entrent dès lors dans le cadre des prétentions soumises au BBM.
 
12.       Ainsi que la Cour l’a décidé dans son arrêt du 1er décembre 2004 (affaire A 1999/1, KPN contre BBM, Jur. 2004, p. 12), qui fait référence à l’arrêt du 29 novembre 2001 dans la même affaire, le juge ne peut ordonner l’enregistrement du dépôt dans la procédure sur requête prévue à l’article 6ter de la LBM que s’il conclut à l’absence des motifs de refus prévus à l’article 6bis de la LBM. Cette procédure comporte l’examen de la compatibilité du signe déposé avec les critères énoncés au premier alinéa de ce dernier article. Le juge doit dès lors apprécier si le BBM a refusé à bon droit d’enregistrer le dépôt et il doit tenir compte dans son appréciation d’un motif de refus nouveau invoqué pour la première fois dans la procédure judiciaire ; à défaut, il pourrait être amené à ordonner l’enregistrement d’un signe ne répondant pas aux critères énoncés à l'article 6bis, alinéa premier, de la LBM.
Par ailleurs, le juge devant qui le déposant soutient que l’enregistrement a été refusé à tort, doit, dans le cadre des prétentions soumises au BBM, tenir compte de tous les faits et circonstances que le déposant allègue pour démontrer que le signe répond bien aux critères mentionnés à l’article 6bis, alinéa 1er, de la LBM. La LBM ne comporte pas de dispositions particulières qui limiteraient la possibilité pour le BBM ou le déposant de convaincre le juge, au moyen d’éléments de fait additionnels, du bien-fondé ou du malfondé de la décision du BBM et pareille limitation ne peut pas se déduire non plus de la nature de la voie de recours offerte au déposant à l’article 6ter contre la décision du BBM. Lorsqu’il exerce le contrôle de fond qui lui appartient en vertu de l’article 6ter de la LBM, le juge devra donc tenir compte également des faits et circonstances qui lui sont soumis concernant un fondement présenté dans la procédure d’enregistrement, même s’ils n’ont pas été invoqués antérieurement dans la procédure d’enregistrement devant le BBM.
 
13.       Il convient dès lors de répondre à la première question que dans la procédure sur requête prévue à l’article 6ter de la LBM, de nouveaux éléments de fait peuvent être invoqués en ce qui concerne un fondement présenté dans la procédure d’enregistrement (comme la consécration par l’usage) et que la Cour d’appel de Bruxelles, le Gerechtshof de La Haye ou la Cour d’appel de Luxembourg peuvent prendre de telles preuves additionnelles en considération pour décider du bien-fondé ou du mal-fondé du refus du BBM d’enregistrer le dépôt ; cette procédure ne permet cependant pas d’apporter de nouvelles allégations de fait dans une tentative d’obtenir un ordre d’enregistrement partiel ou un ordre d’enregistrement sous des conditions restrictives, lesquels s’écartent de la demande d’enregistrement, telle que le BBM l’avait examinée.
 
Sur la quatrième question
 
14.       La quatrième question, qui est posée simultanément à la CJCE, concerne l’interprétation de l’article 3, paragraphe 3, de la Directive. Dans la mesure où cette question renferme également une question relative à l’interprétation de la LBM, il est souhaitable de surseoir à statuer sur ce point dans l’attente de la réponse de la CJCE.
 
Quant aux dépens
 
15.       En vertu de l’article 13 du Traité, la Cour doit fixer le montant des frais exposés devant elle, frais qui comprennent les honoraires des conseils des parties, pour autant que cela soit conforme à la législation du pays où le procès est pendant.
 
16.       Selon la législation néerlandaise, les honoraires des conseils des parties sont inclus dans les frais qui sont mis à charge de la partie succombante.
 
17.       Vu ce qui précède, les frais exposés devant la Cour doivent être fixés à € 1.500,- pour chacune des parties.
 
Dispositif
 
Sur la première question
 
18.       Dans la procédure sur requête prévue à l’article 6ter de la LBM, de nouveaux éléments de fait peuvent être invoqués en ce qui concerne un fondement présenté dans la procédure d’enregistrement (comme la consécration par l’usage) et la Cour d’appel de Bruxelles, le Gerechtshof de La Haye ou la Cour d’appel de Luxembourg peuvent prendre de telles preuves additionnelles en considération pour décider du bien-fondé ou du mal-fondé du refus du BBM d’enregistrer le dépôt. Cette procédure ne permet cependant pas d’apporter de nouvelles allégations de fait dans une tentative d’obtenir un ordre d’enregistrement partiel ou un ordre d’enregistrement sous des conditions restrictives.
 
Autre décision
 
Sur la quatrième question
 
19.       Sursoit à statuer jusqu’à ce que la Cour de justice des Communautés européennes se soit prononcée.
 
Ainsi jugé par I. Verougstraete, président, W.J.M. Davids, premier vice-président, J. Jentgen, second vice-président, G.G. van Erp Taalman Kip-Nieuwenkamp, R. Schmit, D.H. Beukenhorst, juges, E. Waûters, Ph. Echement, A. Wantz, juges suppléants, et prononcé en audience publique à La Haye, le 29 juin 2006, par monsieur D.H. Beukenhorst, préqualifié, en présence de messieurs F.F. Langemeijer, avocat général suppléant, et C. Dejonge, greffier en chef suppléant.
 
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