Numéro de requête A 99/1

Date
Instance
CJB
Marque
POSTKANTOOR
Numéro de dépôt
Déposant
KPN
Texte
Affaire A 99/1
 
KPN contre BUREAU BENELUX DES MARQUES
 
COUR DE JUSTICE BENELUX
 
Prononcé: 1 décembre 2004
Affaire: A 99/1
 
COUR DE JUSTICE BENELUX
 
KPN
 
contre
 
BUREAU BENELUX DES MARQUES
 
La COUR DE JUSTICE BENELUX a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire A 99/1 – KPN / BBM
 
1.         Dans son arrêt du 29 novembre 2001 (Jur. 2001, p. 2), la Cour, saisie de questions d’interprétation de la Loi uniforme Benelux sur les marques (LBM) par l'ordonnance du 3 juin 1999 de la Cour d’appel de La Haye, prise dans la cause n° 98/210 de KONINKLIJKE PTT NEDERLAND NV, à La Haye (KPN) contre le BUREAU BENELUX DES MARQUES, à La Haye (BBM), conformément à l’article 6 du Traité relatif à l’institution et au statut d’une Cour de Justice Benelux (ci-après: le Traité), a répondu aux questions I à III et a sursis à statuer sur les autres questions jusqu’à ce que la Cour de justice des Communautés européennes (ci-après: la CJCE) se soit prononcée sur les questions d’interprétation de la première directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques (JO 1989, L40, p. 1, ci-après: la directive) qui lui étaient posées par la Cour d’appel de La Haye dans son ordonnance du 3 juin 1999. Il est renvoyé à cet arrêt pour le libellé des questions d’interprétation respectivement de la LBM et de la directive que la Cour d’appel de La Haye a posées respectivement à la Cour et à la CJCE ainsi que pour le déroulement de la procédure jusqu’à l’arrêt de la Cour du 29 novembre 2001.
 
Quant à la suite de la procédure
 
2.         La CJCE a statué par arrêt du 12 février 2004, n° C-363/99, et a répondu aux questions préjudicielles qui lui étaient posées.
 
3.         La Cour ne pouvant plus rendre son arrêt dans la même composition que lors de l'audition des plaidoiries, elle a examiné l’affaire dans une composition modifiée, au vu des pièces échangées au cours de la procédure, y compris les notes d'audience déjà produites.
 
4.            Monsieur l’avocat général L. Strikwerda a donné par écrit des conclusions additionnelles, le 9 juillet 2004, après quoi KPN a fait déposer une réponse à ces conclusions.
 
Quant au droit
 
Sur les questions IV.b, V et VI
 
5.         Par ses questions IV.b, V et VI posées à la Cour, la Cour d’appel de La Haye souhaite savoir si l’interprétation de la directive que la CJCE a donnée en réponse aux questions IV.a, V et VI est permise par les articles 6bis et 6ter de la LBM.
 
6.         Il ressort de l'arrêt prémentionné du 12 février 2004 que la CJCE (point 19) a procédé à un examen d'ensemble de ces questions et qu'elle y a répondu comme suit (dans le dispositif sous 1):
 
“L'article 3 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens qu'une autorité compétente en matière d'enregistrement des marques doit prendre en considération, outre la marque telle qu'elle est déposée, tous les faits et circonstances pertinents.
Une telle autorité doit prendre en considération tous les faits et circonstances pertinents avant d'adopter une décision définitive sur une demande d'enregistrement d'une marque. S'agissant d'une juridiction saisie d'un recours contre une décision prise sur une demande d'enregistrement d'une marque, elle doit également prendre en considération tous les faits et circonstances pertinents dans les limites de l'exercice de ses compétences, telles que définies par la réglementation nationale applicable.”
 
7.         Cette réponse concorde avec le dispositif (point 39) de l’arrêt de la Cour du 26 juin 2000 dans l’affaire A 98/2, CAMPINA/BBM, (Jur. 2000, p. 25) aux termes duquel le BBM, dans les décisions visées à l'article 6bis, alinéa 1er, de la LBM, et ensuite le juge appelé à apprécier, dans le cadre d’une procédure en vertu de l'article 6ter de la LBM, le bien-fondé de la décision prise par le BBM ne doivent pas se baser uniquement sur le signe tel qu'il a été déposé et sur les produits mentionnés à cette occasion, mais doivent aussi prendre en considération tous les faits et circonstances pertinents qui ont été dûment portés à leur connaissance.
 
8.         Il suit de ce qui précède que les questions IV.b, V et VI appellent une réponse affirmative, telle qu’elle est donnée ci-après.
 
Sur la question VII
 
9.         Par sa question VII, la Cour d’appel de La Haye souhaite savoir, en liaison avec les questions IV à VI, si le BBM et le juge doivent prendre uniquement en considération les faits et circonstances pertinents qui se sont présentés au moment du dépôt au plus tard ou s’ils sont autorisés à fonder leur décision également sur des faits et circonstances postérieurs.
 
10.       La Cour a déjà répondu à une question d’une portée similaire dans l’arrêt prémentionné du 26 juin 2000 dans l’affaire A 98/2, CAMPINA/BBM. En se référant aux attendus 22 à 25 de cet arrêt, il convient de répondre dès lors à la question VII que dans une procédure fondée sur l'article 6ter de la LBM, le juge ne peut prendre en considération que l'usage qui a été fait du signe déposé jusqu'au moment de la demande d'enregistrement.
 
Sur la question VIII
 
11.       Par sa question VIII, la Cour d’appel de La Haye souhaite savoir si un motif de refus nouveau que le BBM invoque pour la première fois dans la procédure judiciaire peut ou doit intervenir dans l’appréciation de la requête visée à l’article 6ter de la LBM.
 
12.       Dans son arrêt du 29 novembre 2001 (attendus 14-15), la Cour a déjà considéré qu'en vertu des dispositions de l'article 6bis, alinéa premier, de la LBM, le BBM doit, lorsqu'il considère que le signe déposé est dépourvu de tout caractère distinctif ou que le dépôt se rapporte à une marque visée à l'article 4, sous 1 et 2, de la LBM, refuser l'enregistrement du dépôt et que dans la procédure sur requête prévue à l'article 6ter de la LBM, le juge ne peut ordonner l'enregistrement du dépôt que s'il conclut à l'absence des motifs de refus prévus à l'article 6bis de la LBM. Ces procédures comportent l'examen de la compatibilité du signe déposé avec les critères énoncés à l'article 6bis, alinéa premier, de la LBM.
 
13.       Dans la procédure visée à l’article 6ter de la LBM, le juge doit dès lors apprécier si le BBM a refusé à bon droit d’enregistrer le dépôt. Si le BBM invoque un motif de refus nouveau pour la première fois dans cette procédure judiciaire, le juge doit tenir compte de ce motif dans l’appréciation du bien-fondé du refus de l’enregistrement; à défaut, le juge pourrait être amené à ordonner l’enregistrement d’un signe ne répondant pas aux critères énoncés à l'article 6bis, alinéa premier, de la LBM. La question VIII appelle donc une réponse affirmative.
 
Sur les questions IX.b et X.c
 
14.       Par les questions IX.b et X.c qu'elle pose à la Cour, la Cour d’appel de La Haye souhaite savoir si l’interprétation de la directive que la CJCE a donnée en réponse aux questions IX.a, X.a et X.b. est permise par l’article 6bis, alinéa 1er, de la LBM.
 
15.       La CJCE a répondu aux questions IX.a et X.a et b (ces deux dernières questions étant envisagées par la CJCE comme des questions d’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, de la directive) aux points 3 et 5 du dispositif de son arrêt dans les termes suivants:
 
“3) L'article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104 s'oppose à l'enregistrement d'une marque qui est composée exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner des caractéristiques des produits ou des services pour lesquels l'enregistrement est demandé, et ce même s'il existe des signes ou des indications plus usuels pour désigner les mêmes caractéristiques et quel que soit le nombre de concurrents pouvant avoir intérêt à utiliser les signes ou les indications dont la marque est composée.
(…)
 
5) L'article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens qu'une marque constituée d'un mot composé d'éléments dont chacun est descriptif de caractéristiques des produits ou services pour lesquels l'enregistrement est demandé est elle-même descriptive des caractéristiques de ces produits ou services, au sens de ladite disposition, sauf s'il existe un écart perceptible entre le mot et la simple somme des éléments qui le composent, ce qui suppose soit que, en raison du caractère inhabituel de la combinaison par rapport auxdits produits ou services, le mot crée une impression suffisamment éloignée de celle produite par la simple réunion des indications apportées par les éléments qui le composent, en sorte qu'il prime la somme desdits éléments, soit que le mot est entré dans le langage courant et y a acquis une signification qui lui est propre, en sorte qu'il est désormais autonome par rapport aux éléments qui le composent. Dans ce dernier cas, il y a alors lieu de vérifier si le mot qui a acquis une signification propre n'est pas lui-même descriptif au sens de la même disposition.
Aux fins d'apprécier si une telle marque relève du motif de refus d'enregistrement énoncé à l'article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104, il est indifférent qu'il existe ou non des synonymes permettant de désigner les mêmes caractéristiques des produits ou services mentionnés dans la demande d'enregistrement ou que les caractéristiques des produits ou services qui sont susceptibles d'être décrites soient essentielles sur le plan commercial ou accessoires.”
 
16.       Dès lors que le Protocole entre le Royaume de Belgique, le Grand-Duché de Luxembourg et le Royaume des Pays-Bas portant modification de la loi uniforme Benelux sur les marques, signé à Bruxelles le 2 décembre 1992 et entré en vigueur le 1er janvier 1996, a pour objet d’adapter la LBM à la directive, en ce qui concerne également l’appréciation des motifs de refus de l’enregistrement d’un signe déposé, il n’y a pas lieu d’examiner séparément les questions IX.b et X.c et il suffit de répondre que l’article 6bis, alinéa 1er, de la LBM, doit être interprété en conformité avec l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive, comme il est dit ci-après.
 
17.       Il convient de relever que la présente réponse porte sur le texte de la LBM que la Cour d’appel de La Haye avait appliqué, c'est-à-dire tel que ce texte était libellé avant l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2004, du Protocole portant modification de la loi uniforme Benelux sur les marques, signé à Bruxelles le 11 décembre 2001.
 
Sur la question XII.b
 
18.       La question XII.b n’a pas de signification autonome et ne nécessite donc pas de réponse.
 
Sur les questions XIII.b et XIV
 
19.       Par sa question XIII.b, la Cour d’appel de La Haye souhaite savoir, à la suite de la réponse donnée par la CJCE à la question XIII.a, s’il est compatible avec le système de la LBM et du Règlement d’exécution qu’un signe fasse l’objet, pour des produits ou des services déterminés, d’un enregistrement assorti de la restriction selon laquelle il ne vaut que dans la mesure où lesdits produits ou services ne possèdent pas une ou plusieurs qualités déterminées. Dans la même ligne, la question XIV tend à savoir si le BBM est autorisé à limiter le refus de l’enregistrement à un ou à plusieurs des produits mentionnés dans le dépôt dans la mesure où ils concernent une ou plusieurs qualités déterminées.
 
20.       Au point 6 du dispositif de son arrêt, la CJCE a répondu à la question XIII.a que la directive 89/104 s'oppose à ce qu'une autorité compétente en matière d'enregistrement des marques enregistre une marque pour certains produits ou certains services à condition qu'ils ne présentent pas une caractéristique déterminée.
 
21.       Vu cette réponse, qui, d’après le point 115 de l’arrêt de la CJCE, est motivée par l’insécurité juridique qu'une telle pratique serait de nature à entraîner quant à l’étendue de la protection de la marque, il convient de répondre par la négative à la question XIII.b. Un refus limité tel que visé dans la question XIV revenant essentiellement à admettre que le BBM enregistre la marque pour des produits ou services déterminés à condition qu’ils ne présentent pas une caractéristique déterminée, la réponse de la CJCE à la question XIII.a implique également une réponse négative à la question XIV.
 
Sur la question XV
 
22.       Par sa question XV, la Cour d’appel de La Haye souhaite savoir si, compte tenu de la réponse de la Cour à la question XIII.b, le juge peut ou doit prendre en considération la requête – faite pour la première fois dans la procédure visée à l’article 6ter de la LBM – d’enregistrer le dépôt avec la restriction visée dans cette question et s’il est permis au juge de procéder d’office de cette façon.
 
23.            L'enregistrement assorti d’une restriction telle que visée dans la question XIII.b n’étant pas autorisé selon les considérations qui precèdent, il n’est pas nécessaire de répondre à la question XV.
 
Quant aux dépens
 
24.       En vertu de l’article 13 du Traité, la Cour doit fixer le montant des frais exposés devant elle, frais qui comprennent les honoraires des conseils des parties, pour autant que cela soit conforme à la législation du pays où le procès est pendant.
 
25.       Selon la législation néerlandaise, les honoraires des conseils des parties sont inclus dans les frais qui sont mis à charge de la partie succombante.
 
26.       Vu ce qui précède, les frais exposés devant la Cour doivent être fixés à € 1.000,- pour chacune des parties.
 
Dispositif
 
Sur les questions IV.b, V et VI
 
27.       Le BBM, dans les décisions visées à l'article 6bis, alinéa 1er, de la LBM, et ensuite le juge appelé à apprécier, dans le cadre d’une procédure en vertu de l'article 6ter de la LBM, le bien-fondé de la décision prise par le BBM ne doivent pas se baser uniquement sur le signe tel qu'il a été déposé et sur les produits mentionnés à cette occasion, mais doivent aussi prendre en considération tous les faits et circonstances pertinents qui ont été dûment portés à leur connaissance.
 
Sur la question VII
 
28.       Dans une procédure fondée sur l'article 6ter de la LBM, le juge ne peut prendre en considération que l'usage qui a été fait du signe déposé jusqu'au moment de la demande d'enregistrement.
 
Sur la question VIII
 
29.       Dans la procédure visée à l’article 6ter de la LBM, le juge doit, dans l’appréciation du bien-fondé du refus par le BBM de l’enregistrement d’un dépôt, tenir compte d’un motif de refus nouveau que le BBM invoque pour la première fois dans cette procédure judiciaire.
 
Sur les questions IX.b et X.c
 
30.       L’article 6bis, alinéa 1er, de la LBM doit, en conformité avec l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la première directive (89/104/CEE) du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, être interprété en ce sens que cette disposition s'oppose à l'enregistrement d'une marque qui est composée exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner des caractéristiques des produits ou des services pour lesquels l'enregistrement est demandé, et ce même s'il existe des signes ou des indications plus usuels pour désigner les mêmes caractéristiques et quel que soit le nombre de concurrents pouvant avoir intérêt à utiliser les signes ou les indications dont la marque est composée.
L’article 6bis, alinéa 1er, de la LBM doit, en conformité avec l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive et selon les termes de l’arrêt de la CJCE du 12 février 2004, être interprété en ce sens qu'une marque constituée d'un mot composé d'éléments dont chacun est descriptif de caractéristiques des produits ou services pour lesquels l'enregistrement est demandé est elle-même descriptive des caractéristiques de ces produits ou services, au sens de ladite disposition, sauf s'il existe un écart perceptible entre le mot et la simple somme des éléments qui le composent, ce qui suppose soit que, en raison du caractère inhabituel de la combinaison par rapport auxdits produits ou services, le mot crée une impression suffisamment éloignée de celle produite par la simple réunion des indications apportées par les éléments qui le composent, en sorte qu'il prime la somme desdits éléments, soit que le mot est entré dans le langage courant et y a acquis une signification qui lui est propre, en sorte qu'il est désormais autonome par rapport aux éléments qui le composent. Dans ce dernier cas, il y a alors lieu de vérifier si le mot qui a acquis une signification propre n'est pas lui-même descriptif au sens de la même disposition.
Aux fins d'apprécier si une telle marque relève du motif de refus d'enregistrement, visé en l'espèce, il est indifférent qu'il existe ou non des synonymes permettant de désigner les mêmes caractéristiques des produits ou services mentionnés dans la demande d'enregistrement ou que les caractéristiques des produits ou services qui sont susceptibles d'être décrites soient essentielles sur le plan commercial ou accessoires.
 
Sur les questions XIII.b et XIV
 
31.       Il n’est pas compatible avec le système de la LBM et du Règlement d’exécution qu’un signe fasse l’objet, pour des produits ou des services déterminés, d’un enregistrement assorti de la restriction selon laquelle il ne vaut que dans la mesure où lesdits produits ou services ne possèdent pas une ou plusieurs qualités déterminées. Il n’est pas non plus compatible avec ce système que le BBM soit autorisé à limiter le refus de l’enregistrement à un ou à plusieurs des produits mentionnés dans le dépôt dans la mesure où ils concernent une ou plusieurs qualités déterminées.
 
Ainsi jugé par messieurs I. Verougstraete, président, W.J.M. Davids, premier vice-président, R. Gretsch, second vice-président, J. Jentgen, M. Lahousse, madame G.G. van Erp Taalman Kip-Nieuwenkamp et monsieur R. Schmit, juges, monsieur D.H. Beukenhorst et madame G. Bourgeois, juges suppléants,
 
et prononcé en audience publique à La Haye, le 1er décembre 2004 par monsieur W.J.M. Davids, préqualifié, en présence de messieurs L. Strikwerda, avocat général, et C. Dejonge, greffier en chef suppléant.
 
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