Date
Instance
CJUE Marque
EUROPOLIS Numéro de dépôt
Déposant
BOVEMIJ VERZEKERINGEN N.V. Texte
Affaire: C-108/05
ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
Prononcé: 7 septembre 2006 (*)
Affaire C-108/05,
«Marques – Directive 89/104/CEE – Article 3, paragraphe 3 – Caractère distinctif – Acquisition par l’usage – Prise en compte de tout ou d’une partie substantielle du territoire Benelux – Prise en compte des zones linguistiques du Benelux – Marque verbale EUROPOLIS»
Dans l’affaire C-108/05,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Gerechtshof te ’s‑Gravenhage (Pays‑Bas), par décision du 27 janvier 2005, parvenue à la Cour le 4 mars suivant, dans la procédure
Bovemij Verzekeringen NV
contre
Benelux-Merkenbureau,
LA COUR (première chambre),
composée de M. P. Jann, président de chambre, M. K. Schiemann, Mme N. Colneric, MM. J. N. Cunha Rodrigues (rapporteur) et E. Levits, juges,
avocat général: Mme E. Sharpston,
greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 2 février 2006,
considérant les observations présentées:
– pour Bovemij Verzekeringen NV, par Me E. M. Matser, advocaat,
– pour le Benelux-Merkenbureau, par Mes C. van Nispen et E. D. Huisman, advocaten,
– pour le gouvernement néerlandais, par Mme H. G. Sevenster et M. M. de Grave, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. S. Malynicz, barrister,
– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. W. Wils et N. B. Rasmussen, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 mars 2006,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 3, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1, ci-après la «directive»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Bovemij Verzekeringen NV (ci-après «Bovemij») au Benelux-Merkenbureau (Bureau Benelux des Marques, ci-après le «BBM») au sujet du refus de ce dernier d’enregistrer comme marque le signe EUROPOLIS.
Le cadre juridique
3 L’article 1er de la directive dispose:
«La présente directive s’applique aux marques de produits ou de services individuelles, collectives, de garantie ou de certification, qui ont fait l’objet d’un enregistrement ou d’une demande d’enregistrement dans un État membre ou auprès de l’Office des marques du Benelux ou qui ont fait l’objet d’un enregistrement international produisant ses effets dans un État membre.»
4 L’article 3, paragraphe 1, de la directive prévoit:
«Sont refusés à l’enregistrement ou susceptibles d’être déclarés nuls s’ils sont enregistrés:
a) […]
b) les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif;
c) les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci;
d) les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce;
[…]»
5 Aux termes de l’article 3, paragraphe 3, de la directive:
«Une marque n’est pas refusée à l’enregistrement ou, si elle est enregistrée, n’est pas susceptible d’être déclarée nulle en application du paragraphe 1 points b), c) ou d) si, avant la date de la demande d’enregistrement et après l’usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif. En outre, les États membres peuvent prévoir que la présente disposition s’applique également lorsque le caractère distinctif a été acquis après la demande d’enregistrement ou après l’enregistrement.»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
6 Le 28 mai 1997, Bovemij a déposé auprès du BBM le signe EUROPOLIS comme marque verbale pour les classes suivantes de services au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié:
classe 36: Assurances; affaires financières; affaires monétaires; courtage et transactions immobilières;
classe 39: Transport; emballage et entreposage de marchandises; organisation de voyages.
7 Par lettre du 31 octobre 1997, le BBM a notifié à Bovemij son refus provisoire d’enregistrer le dépôt. Il en a donné les raisons suivantes:
«Le signe EUROPOLIS est composé du préfixe courant EURO (pour Europe) et du terme générique POLIS, et est exclusivement descriptif pour les services désignés dans les classes 36 et 39 en rapport avec une police s’étendant à l’Europe. Le signe est dès lors dépourvu de tout caractère distinctif […]»
8 Par lettre du 14 avril 1998, Bovemij a introduit une réclamation contre ce refus provisoire d’enregistrer le dépôt, faisant valoir que le signe concerné était régulièrement utilisé comme marque dans le circuit économique depuis 1988 par Europolis BV, une filiale de Bovemij. À l’appui de cette allégation, Bovemij a produit trois brochures d’Europolis BV concernant des assurances de vélo et a offert de fournir au besoin des preuves complémentaires.
9 Par lettre du 5 mai 1998, le BBM a indiqué ne pas voir dans la réclamation de Bovemij matière à revenir sur son refus provisoire, précisant qu’il n’y avait pas de consécration du signe par l’usage dès lors que la durée de l’usage allégué à cet effet était insuffisante et que les preuves produites n’attestaient que d’un usage du signe comme nom commercial.
10 Par lettre du 28 mai 1998, le BBM a notifié à Bovemij sa décision portant «refus définitif» d’enregistrer le dépôt.
11 Bovemij a introduit, devant le Gerechtshof te ’s‑Gravenhage (cour d’appel de La Haye), un recours tendant à ce qu’il soit ordonné au BBM d’inscrire le signe déposé au registre des marques. À l’appui de ce recours, Bovemij a invoqué, à titre principal, que le signe EUROPOLIS a un caractère distinctif en lui-même et, à titre subsidiaire, que ce signe a été consacré par l’usage avant la date du dépôt. Le BBM a contesté ces arguments.
12 En ce qui concerne l’argument invoqué par Bovemij à titre principal, le Gerechtshof a constaté que le signe déposé consiste dans la combinaison du mot «POLIS» et du préfixe «EURO». Le terme néerlandais «polis» désigne habituellement un contrat d’assurance. Il s’agit d’un terme générique qui recouvre de nombreux types différents d’assurances. «EURO» est le nom (déjà connu au moment du dépôt) de l’unité monétaire qui a actuellement cours dans les pays du Benelux et constitue également une abréviation courante des termes «Europe» ou «européen». Selon le Gerechtshof, il s’agit d’un terme dont l’usage est à ce point fréquent qu’on doit lui dénier tout caractère distinctif autonome. De l’avis de cette juridiction, «EURO» peut, au surplus, désigner, dans le langage courant, une caractéristique essentielle de services, à savoir la qualité, la provenance ou la destination européenne de ces services. Ainsi, le préfixe «EURO» donne au signe en cause au principal la signification d’une assurance présentant une dimension européenne.
13 Le Gerechtshof a dès lors estimé que le signe EUROPOLIS consiste exclusivement en signes et indications pouvant servir dans le commerce à désigner des caractéristiques du produit, et que ce signe est dépourvu en lui-même de tout caractère distinctif.
14 En ce qui concerne l’argument invoqué à titre subsidiaire, selon lequel le signe EUROPOLIS a acquis un caractère distinctif par l’usage, Bovemij a fait valoir que, pour qu’un signe soit consacré par l’usage, il suffit – pourvu que les autres conditions soient remplies – que ce signe soit perçu comme une marque dans une partie considérable du territoire Benelux, laquelle peut être les Pays-Bas uniquement.
15 Le BBM a soutenu à cet égard que la consécration par l’usage requiert que, du fait de son usage, le signe soit perçu comme une marque dans l’ensemble du territoire Benelux, à savoir le Royaume de Belgique, le Royaume des Pays-Bas et le Grand‑Duché de Luxembourg.
16 Le Gerechtshof a constaté que les parties étaient en désaccord sur le territoire qu’il convient de prendre en considération aux fins d’établir la consécration par l’usage.
17 Il a précisé que, pour les pays du Benelux, cette question doit être examinée en se plaçant à la date du dépôt, de sorte que l’on ne peut tenir compte que de l’usage qui a été fait du signe EUROPOLIS jusqu’au 28 mai 1997.
18 Dans ce contexte, le Gerechtshof a sursis à statuer et a déféré à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Faut-il interpréter l’article 3, paragraphe 3, de la directive en ce sens que l’acquisition d’un caractère distinctif (en l’espèce par une marque Benelux) par l’usage, visée dans ce paragraphe, requiert que le signe soit perçu avant la date du dépôt par le public pertinent comme une marque dans l’ensemble du territoire Benelux, et donc en Belgique, au Luxembourg et aux Pays-Bas?
Au cas où la première question appelle une réponse négative:
2) La condition posée par l’article 3, paragraphe 3, de la directive pour l’enregistrement visé dans ce paragraphe est-elle remplie si, du fait de son usage, le signe est perçu par le public pertinent comme une marque dans une partie considérable du territoire Benelux et cette partie considérable peut-elle se limiter, par exemple, aux Pays-Bas?
3) a) Pour apprécier le caractère distinctif né de l’usage, tel que visé à l’article 3, paragraphe 3, de la directive, d’un signe – consistant en un ou plusieurs mots d’une langue officielle du territoire d’un État membre (ou, comme en l’espèce, du territoire Benelux) – faut-il tenir compte des zones linguistiques existant dans ce territoire?
b) Pour l’enregistrer comme marque, au cas où les autres conditions d’enregistrement sont remplies, suffit-il d’exiger que le signe soit perçu par le public pertinent comme une marque dans une partie considérable de la zone linguistique de l’État membre (ou, comme en l’espèce, du territoire Benelux) dans laquelle cette langue est officiellement parlée?»
Sur les questions préjudicielles
Sur les première et deuxième questions
19 Par les deux premières questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, quel territoire doit être pris en compte pour apprécier si un signe a acquis un caractère distinctif par l’usage, au sens de l’article 3, paragraphe 3, de la directive, dans un État membre ou dans un groupe d’États membres possédant une législation commune sur les marques, tel que le Benelux.
20 Il y a tout d’abord lieu de rappeler que, en ce qui concerne les marques enregistrées auprès du BBM, le territoire Benelux doit être assimilé au territoire d’un État membre, l’article 1er de la directive assimilant ces marques à celles enregistrées dans un État membre (arrêt du 14 septembre 1999, General Motors, C‑375/97, Rec. p. I‑5421, point 29).
21 L’article 3, paragraphe 3, de la directive ne prévoit pas un droit autonome à l’enregistrement d’une marque. Il comporte une exception aux motifs de refus édictés à l’article 3, paragraphe 1, sous b) à d), de cette directive. Sa portée doit dès lors être interprétée en fonction de ces motifs de refus.
22 Pour apprécier si lesdits motifs de refus doivent être écartés en raison de l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage, en vertu de l’article 3, paragraphe 3, de la directive, seule est pertinente la situation prévalant dans la partie du territoire de l’État membre concerné (ou, le cas échéant, dans la partie du territoire Benelux) où les motifs de refus ont été constatés [voir, en ce sens, à propos de l’article 7, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), disposition qui est identique, en substance, à l’article 3, paragraphe 3, de la directive, arrêt du 22 juin 2006, Storck/OHMI, C‑25/05 P, non encore publié au Recueil, point 83].
23 Par conséquent, il convient de répondre aux deux premières questions que l’article 3, paragraphe 3, de la directive doit être interprété en ce sens que l’enregistrement d’une marque ne saurait être admis sur le fondement de cette disposition que s’il est démontré que cette marque a acquis par l’usage un caractère distinctif dans toute la partie du territoire de l’État membre ou, dans le cas du Benelux, dans toute la partie du territoire de celui-ci dans laquelle il existe un motif de refus.
Sur la troisième question
24 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, dans quelle mesure il convient de tenir compte des zones linguistiques existant dans un État membre ou, le cas échéant, dans le Benelux pour apprécier l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage dans le cas d’une marque consistant en un ou plusieurs mots d’une langue officielle d’un État membre ou du Benelux.
25 Dans l’affaire au principal, le BBM et la juridiction de renvoi ont estimé que le signe en question est descriptif et dépourvu de caractère distinctif, motifs de refus mentionnés à l’article 3, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive. Ils sont arrivés à cette conclusion notamment au motif que le terme néerlandais «polis» désigne habituellement un contrat d’assurance. Les motifs de refus constatés dans l’affaire au principal existent donc seulement dans la partie du Benelux où est pratiqué le néerlandais.
26 Vu la réponse apportée aux deux premières questions, il s’ensuit que, pour apprécier si une telle marque a acquis un caractère distinctif par l’usage justifiant d’écarter ces motifs de refus en vertu de l’article 3, paragraphe 3, de la directive, il y a lieu de tenir compte de la partie du Benelux où est pratiqué le néerlandais.
27 Dans la zone linguistique ainsi définie, il s’agit, pour l’autorité compétente, d’apprécier si les milieux intéressés, ou à tout le moins une fraction significative de ceux-ci, identifient grâce à la marque le produit ou le service en question comme provenant d’une entreprise déterminée (voir, en ce sens, arrêts du 4 mai 1999, Windsurfing Chiemsee, C‑108/97 et C‑109/97, Rec. p. I‑2779, point 52, et du 18 juin 2002, Philips, C‑299/99, Rec. p. I‑5475, point 61).
28 Par conséquent, il convient de répondre à la troisième question que, s’agissant d’une marque consistant en un ou plusieurs mots d’une langue officielle d’un État membre ou du Benelux, si le motif de refus n’existe que dans l’une des zones linguistiques de l’État membre ou, dans le cas du Benelux, dans l’une des zones linguistiques de celui-ci, il doit être établi que la marque a acquis par l’usage un caractère distinctif dans toute cette zone linguistique. Dans la zone linguistique ainsi définie, il y a lieu d’apprécier si les milieux intéressés, ou à tout le moins une fraction significative de ceux-ci, identifient grâce à la marque le produit ou le service en question comme provenant d’une entreprise déterminée.
Sur les dépens
29 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:
1) L’article 3, paragraphe 3, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens que l’enregistrement d’une marque ne saurait être admis sur le fondement de cette disposition que s’il est démontré que cette marque a acquis par l’usage un caractère distinctif dans toute la partie du territoire de l’État membre ou, dans le cas du Benelux, dans toute la partie du territoire de celui-ci dans laquelle il existe un motif de refus.
2) S’agissant d’une marque consistant en un ou plusieurs mots d’une langue officielle d’un État membre ou du Benelux, si le motif de refus n’existe que dans l’une des zones linguistiques de l’État membre ou, dans le cas du Benelux, dans l’une des zones linguistiques de celui-ci, il doit être établi que la marque a acquis par l’usage un caractère distinctif dans toute cette zone linguistique. Dans la zone linguistique ainsi définie, il y a lieu d’apprécier si les milieux intéressés, ou à tout le moins une fraction significative de ceux-ci, identifient grâce à la marque le produit ou le service en question comme provenant d’une entreprise déterminée.
Signatures
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