Numéro de requête R04/403

Date
Instance
REC NL
Marque
FITLINE
Numéro de dépôt
Déposant
PM-International AG
Texte
Prononcé : 1er septembre 2005
Numéro de requête: R04/403

La cour d’appel de La Haye, chambre MC-5,

a rendu l’ordonnance suivante à la requête de :

La personne morale de droit étranger
PM-INTERNATIONAL AG,
dont le siège est à Luxembourg (Luxembuurg), dont les bureaux sont à Frankenthal (Allemagne),
requérante,
(dénommée ci-après : PM)
avoué: Me P.J.M. von Schmidt auf Altenstadt,
avocats: Me S.A. Klos et Me C.S.M. Morel (tous deux à Amsterdam),

contre

le BUREAU BENELUX DES MARQUES,
dont le siège est à La Haye,
défendeur,
(dénommé ci-après : le Bureau Benelux des Marques)
mandataires: MM. C.J.P. Janssen et P. Veeze.

La procédure

Par requête (avec annexes) parvenue au greffe de la cour le 10 mai 2004, PM a demandé à la cour d’ordonner au Bureau Benelux des Marques de procéder à l’enregistrement du dépôt international portant le numéro 797797 (marque verbale FITLINE) pour tous les produits pour lesquels elle a été déposée, du moins les produits pour lesquels elle satisfait aux conditions légales, et de condamner le Bureau Benelux des Marques aux dépens.

Le Bureau Benelux des Marques a, par mémoire en défense (avec annexes) parvenu au greffe de la cour le 9 juin 2004, demandé de rejeter la requête de PM, dépens comme de droit.

La requête a été instruite à l’audience du 13 septembre 2004. PM a fait exposer son point de vue à cette occasion par Me Klos, préqualifié, et le Bureau Benelux des Marques par M. Janssen, tous deux à l’aide de notes de plaidoirie.

Appréciation de la requête

1.1 La requête a été introduite dans le délai.

1.2 Les pièces de la procédure et les allégations des parties font apparaître ce qui suit :

a. PM a fait enregistrer le signe FITLINE le 6 décembre 2002 sous le numéro 797797 dans le registre tenu par le Bureau international de l’Organisation mondiale de la Propriété intellectuelle (OMPI/WIPO) – ci-après : le Bureau international – sur la base de l’enregistrement de ce signe le 8 juillet 2002 en Allemagne. Elle a demandé d’étendre la protection du signe au territoire Benelux, et ce pour les produits suivants :

CI 25 Vêtements, chaussures, chapellerie (pour l'habillement), pull-overs, tee-shirts, casquettes de base-ball, bonnets de bain.

CI 29 Produits à base de lait destinés aux compléments alimentaires, produits pour compléments alimentaires à base de protéines, matières grasses, acides gras, se composant de ou contenant, de manière combinée ou non, des vitamines, nutriments minéraux et oligoéléments, en poudre ou sous forme liquide, compris dans cette classe, les produits précités n'étant en aucun cas à usage médical.

CI 30 Compléments alimentaires riches en fibres, à base d'hydrates de carbone, se composant de ou contenant, de manière combinée ou non, des vitamines, nutriments minéraux et oligoéléments, en poudre ou sous forme liquide, compris dans cette classe, les produits précités n'étant en aucun cas à usage médical.

b. Par lettre du 18 juin 2003, le Bureau Benelux des Marques a fait savoir au Bureau international qu’il refusait (provisoirement) l’enregistrement du dépôt. Comme motif(s), le Bureau Benelux des Marques a indiqué :

"Le signe FITLINE, composé exclusivement de l'indication FIT (Anglais pour sain) et le nom usuel LINE (Anglais pour: ligne, série), est dépourvu de tout caractère distinctif pour les produits mentionnés en classes 25,29 et 30 qui peuvent avoir trait à une série de produits de santé (..)."

c. Le mandataire (établi aux Pays-Bas) de PM a, par lettres du 26 août et du 18 décembre 2003, déposé une réclamation (avec annexes) contre le refus provisoire de l’enregistrement du dépôt. Dans ses lettres, PM soutient que le signe FITLINE possède un caractère distinctif pour les produits pour lesquels il a été déposé et, de plus, que le signe a été consacré comme marque par l’usage qui en a été fait.

d. D’après sa lettre du 18 décembre 2003, le Bureau Benelux des Marques n’a pas vu, dans les objections avancées par PM, un motif de revoir son refus provisoire.

e. Par lettre du 10 mars 2004 au mandataire de PM, le Bureau Benelux des Marques sa décision portant ‘refus définitif’ de l’enregistrement des dépôts.

2.1 A l’appui de sa demande, PM fait valoir en ordre principal que le signe possède ab initio un caractère distinctif et que FITLINE n’est pas exclusivement descriptif pour les catégories de produits reprises dans le dépôt, du moins pas pour chaque catégorie de produits. Elle affirme à cet effet que ‘fit’ et ‘line’ ne peuvent constituer une indication (des caractéristiques) des produits déposés et que le signe a quelque chose de plus dans sa globalité. Elle relève par ailleurs que le dépôt a été enregistré dans d’autres pays européens, dont le Royaume-Uni et le Danemark, et a été accepté – en partie – comme marque communautaire. Elle fait valoir à titre subsidiaire que FITLINE a acquis un caractère distinctif par l’usage qui en a été fait comme marque. Le Bureau Benelux des Marques a contesté les allégations de PM.

3.1 L’objet de cette affaire est de déterminer si FITLINE est dépourvue de tout caractère distinctif pour les produits pour lesquels elle a été déposée. La cour émet les considérations suivantes à ce sujet.

3.2 Le refus du Bureau Benelux des Marques d’enregistrer le dépôt est fondé sur l’article 6bis, alinéa 1er, de la loi uniforme Benelux sur les marques (ci-après : loi Benelux sur les marques ou LBM) de la LBM. Ladite disposition a été introduite a été introduite afin d’adapter la législation néerlandaise à la directive européenne 89/104/CE (première directive du 21 décembre 1988 du Conseil des CE rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, JOCE 1989, L 40). La disposition a été modifiée par l’entrée en vigueur au 1er janvier 2004 du Protocole portant modification de la LBM du 11 décembre 2001 (Trb. 2002, 37). La modification tendait à reprendre les termes de l’article 3, § 1, sous a à d, de la directive précitée, sans qu’une modification matérielle ait été envisagée. La cour se basera sur le texte actuel de la disposition.

3.3 L’article 6bis, alinéa 1er, de la LBM est libellé comme suit :

« Le Bureau Benelux refuse d’enregistrer une marque lorsqu’il considère que :
(…)
c. la marque est composée exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou d’autres caractéristiques de celui-ci ;
(…) »

3.4 Dans son arrêt du 12 février 2004, affaire C-104/01 (KPN Nederland N.V./BBM) en cause `Postkantoor' (IER 2004, 22), la Cour de justice interprète le prédit article 3, § 1, sous c, de la directive, dont l’art. 6bis, alinéa 1er, sous c LBM est la reproduction. La cour émet entre autres les considérations suivantes (points 97 et 104):

"( ...) Il n'est d'ailleurs pas nécessaire que les signes ou indications composant la marque visés à l'article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive soient effectivement utilisés, au moment de la demande d'enregistrement, à des fins descriptives de produits ou de services tels que ceux pour lesquels la demande est présentée ou des caractéristiques de ces produits ou de ces services. Il suffit, comme l'indique la lettre même de cette disposition, que ces signes et indications puissent être utilisés à de telles fins. Un signe verbal doit ainsi se voir opposer un refus d'enregistrement, en application de ladite disposition si, en au moins une de ses significations potentielles, il désigne une caractéristique des produits ou services concernés t (...)


(...) que l'article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive doit être interprété en ce sens qu'une marque constituée d'un mot composé d'éléments dont chacun est descriptif de caractéristiques des produits ou services pour lesquels l'enregistrement est demandé est ellemême descriptive des caractéristiques de ces produits ou services, au sens de ladite disposition, sauf s'il existe un écart perceptible entre le mot et la simple somme des éléments qui le composent, ce qui suppose soit que, en raison du caractère inhabituel de la combinaison par rapport auxdits produits ou services, le mot crée une impression suffisamment éloignée de celle produite par la simple réunion des indications apportées par les éléments qui le composent, en sorte qu'il prime la somme desdits éléments, soit que le mot est entré dans le langage courant et y a acquis une signification qui lui est propre, en sorte qu'il est désormais autonome par rapport aux éléments qui le composent. Dans ce dernier cas, il y a alors lieu de vérifier si le mot qui a acquis une signification propre n'est pas lui-même descriptif au sens de la même disposition. "

3.5 Le caractère distinctif du signe devra être apprécié, d’une part, en relation avec les produits pour lesquels le signe est déposé et, d’autre part, en relation avec la perception du signe par le public concerné. Le signe a été déposé – brièvement dit – pour des suppléments nutritifs, des additifs alimentaires et des vêtements. Dès lors que le contraire n’a été ni allégué ni avéré, la cour entend par le public concerné le consommateur moyen desdits produits dans les pays Belgique, Pays-Bas et Luxembourg du Benelux, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.

3.6 Le signe FITLINE est composé des mots ‘fit' et ‘line'. L’adjectif `fit' a comme signification(s) : frais, énergique et sain (Van Dale Hedendaags Nederlands 2002). Le mot anglais 'line' veut dire entre autres dans le Benelux: ligne/assortiment de produits.

3.7 La cour estime que le signe ainsi composé est constitué exclusivement d’indications descriptives. Elle ne voit pas pourquoi, comme l’affirme PM, la notion ‘fit(heid)’ ne peut constituer une indication d’une caractéristique des produits ou que 'line' serait à ce point sibyllin qu’il ne sera pas compris, du moins dans la branche concernée du marché, dans le sens d’assortiment de produits. Les pièces du Bureau Benelux des Marques montrent que ‘fit’ est utilisé fréquemment en relation avec les denrées alimentaires, tandis que tant ‘fit’ que 'line' sont entrées dans le langage courant du public Benelux concerné avec les significations indiquées ci-dessus.

3.8 Le signe dans sa globalité ne diffère pas de manière perceptible de la somme de ses éléments. La combinaison de mots ne comporte rien de ‘supplémentaire’ qui donnerait un caractère distinctif. Les mots ‘fit’ et ‘line’ sont accolés suivant les règles lexicales normales et ne forment pas une combinaison inhabituelle pour les produits qui produirait une impression qui dépasse la simple réunion des éléments qui la composent. Il n’a été ni allégué ni prouvé que le signe aurait (acquis) une signification propre qui le distingue des éléments. Le signe forme – au contraire – une indication immédiatement compréhensible pour les produits appartenant à la ligne de production ou à l’assortiment de produits sains ou de produits visant à promouvoir la santé/la condition physique des gens. Le dépôt comporte de tels produits.

3.9 PM a – pour la première fois dans sa requête – demandé d’ordonner l’enregistrement pour une partie quelconque des produits concernés pour lesquels le signe possède un caractère distinctif, sans indiquer de manière motivée quels produits elle vise. La requête se heurte toutefois au fait que PM n’a pas fait une demande de portée identique dans la phase de réclamation, préalablement au refus de l’enregistrement par le Bureau Benelux des Marques (cf. Cour de Justice Benelux 15 décembre 2003, NJ 2004, 347).

3.10 PM relève vainement l’enregistrement du signe comme marque pour les produits concernés entre autres au Royaume-Uni et au Danemark, ainsi que dans le registre des marques communautaires. Le caractère distinctif du signe doit, en effet, s’apprécier suivant ses mérites propres et en relation – entre autres – avec le public concerné dans les pays du Benelux.

3.11 Il suit des considérations qui précèdent que le signe composé est constitué exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, à désigner l’espèce, la qualité ou d’autres caractéristiques du produit au sens de l’article 6bis, alinéa 1er, sous c, de la LBM. La cour considère que le signe est dès lors dépourvu ab initio de tout caractère distinctif pour les produits pour lesquels il est déposé. La demande de PM tendant à l’enregistrement du signe pour ces produits ou une partie de ces produits ne peut donc être accueillie.

Consécration par l’usage

4.1 PM se prévaut à titre subsidiaire de la consécration par l’usage. PM soutient que le signe, par l’usage qui en a été fait sur son marché domestique au Luxembourg, a été consacré comme marque auprès d’une fraction significative du public concerné . A titre de preuve de cette affirmation, elle produit des factures de ventes couvrant la période de février 2002 à août 2003, des reproductions d’emballages et un catalogue de produits. Il s’agit de pièces qu’elle avait envoyées antérieurement au Bureau Benelux des Marques par une lettre du 18 décembre 2003 (annexe 5 de la requête). PM offre en outre de fournir des preuves additionnelles de la consécration par l’usage dans un ou plusieurs pays du Benelux ou des parties pertinentes de ceux-ci, et elle envisage des informations complémentaires sur la part de marché de la marque, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de l’usage de la marque, le montant des dépenses publicitaires consenties pour la marque ou le pourcentage des milieux concernés qui identifie les produits sur base de la marque comme provenant de son entreprise.

4.2 Par ordonnance du 27 janvier 2005 (LJN AS5960 et IER 2005, 38), cette cour a posé à la Cour de Justice Benelux (affaire 2005/1) et à la Cour de justice de la Communauté européenne (affaire C-108/05) les questions préjudicielles suivantes qui peuvent présenter un intérêt pour l’appréciation du moyen que PM prend de la consécration par l’usage :

"(1) L'arrêt cité de la Cour de Justice Benelux du 15 décembre 2003 doit-il être interprété en ce sens que le terme "éléments" dans l'attendu n° 11 comprend aussi les preuves (additionnelles) relatives à un argument avancé dans la procédure d’enregistrement (comme la consécration par l'usage) qui ont été produites dans une procédure par requête visée à l’article 6ter de la LBM et cela veut-il dire que la Cour d’appel de Bruxelles, le Gerechtshof de La Haye ou la Cour d’appel de Luxembourg sont tenus d’écarter de telles preuves additionnelles?

(2) Faut-il interpréter l'article 3, § 3, de la directive en ce sens que pour l'acquisition du caractère distinctif (en l’espèce par une marque Benelux) à la suite d’un usage tel que visé dans ce paragraphe, il est nécessaire que, avant la date du dépôt, le signe ait été perçu par le public concerné comme une marque sur l’ensemble du territoire Benelux, c’est-à-dire en Belgique, aux Pays-Bas et au Luxembourg?

En cas de réponse négative à la question 2:

(3) La condition fixée à l’article 3, paragraphe 3, de la directive pour l’enregistrement, telle que visée dans ce paragraphe, est-elle remplie lorsque le signe, à la suite de son usage, est perçu comme une marque par le public concerné dans un fraction significative du territoire Benelux et cette fraction significative peut-elle être constituée, par exemple, des seuls Pays-Bas ?

(4) Pour apprécier le caractère distinctif par l’usage, au sens de l’article 3, paragraphe 3, de la directive, d’un signe composé d’un ou de plusieurs mots appartenant à une langue officielle sur le territoire d’un état membre (ou, comme en l’espèce, sur le territoire Benelux), faut-il tenir compte des aires linguistiques sur ce territoire ?
Lorsque les autres conditions d’enregistrement sont remplies, suffit-il/est-il requis pour l’enregistrement comme marque que le signe soit perçu comme une marque par le public concerné dans une fraction significative de l’aire linguistique de l’état membre (ou, comme en l’espèce, du territoire Benelux) où cette langue est parlée officiellement ?
(...) "

Dans ces conditions, la cour surseoira à statuer jusqu’à ce qu’une réponse soit obtenue de l’une des juridictions. Si, dans l’intervalle, des éléments devaient se présenter, qui peuvent avoir un intérêt pour l’affaire, la partie la plus diligente peut s’adresser à la cour aux fins de demander de fixer un jour pour l’examen de l’affaire.

Décision

Sursoit à statuer.

La présente ordonnance a été rendue par les conseillers Fasseur-van Santen, Kiers-Becking et Verduyn, et a été prononcée à l’audience publique du 1er septembre 2005, en présence du greffier.

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