Numéro de requête R06/1088

Date
Instance
REC NL
Marque
LE VIN EN DIRECT
Numéro de dépôt
Déposant
Hendrikus Gerrit Jan Jacobus MAAS
Texte
Numéro de requête R0611088
 
Hendrikus Gerrit Jan Jacobus MAAS contre l'OFFICE BENELUX DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE
AU NOM DE LA REINE
 
Prononcé: 9 novembre 2006
Numéro de requête R0611088
 
La cour d'appel de La Haye, chambre MC-5,
 
a rendu l'ordonnance suivante à la requête de:
 
Hendrikus Gerrit Jan Jacobus MAAS, demeurant à Delden (commune de Hof van Twente),
 
requérant,
(dénommé ci-après: Maas)
avoué: Me P.P.J.M. Verhaag,
 
contre
 
l'OFFICE BENELUX DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE (marques et
dessins ou modèles),
dont le siège est à La Haye,
 
défendeur,
(dénommé ci-après: l'Office)
mandataires: C.J.P. Janssen et P. Veeze.
 
La procédure
Par requête (avec 27 annexes) parvenue au greffe de la cour le 11 août 2006, Maas a demandé à la cour d'ordonner à l'Office de procéder à l'enregistrement du signe LE VIN EN DIRECT comme marque verbale pour tous les produits et services pour lesquels la demande d'enregistrement a été présentée, et ce par ordonnance exécutoire par provision, et de condamner l'Office aux dépens de l'instance.
 
Par mémoire en défense (avec 5 annexes) parvenu au greffe de la cour le 14 septembre 2006, l'Office a demandé de rejeter la requête de Maas et de le condamner aux dépens de l'instance.
Par lettre parvenue au greffe de la cour le 4 octobre 2006, le requérant a adressé une pièce complémentaire (portant le numéro 28) à la cour.
 
La procédure orale sur la requête a eu lieu le 9 octobre 2006. A cette occasion, les deux parties ont fait exposer leurs points de vue, Maas par son avoué et l'Office par M. Veeze, tous deux sur la base de notes de plaidoirie qui font partie des pièces de la procédure.
 
Appréciation de la requête
1.    Les pièces de la procédure et les allégations des parties font apparaître ce qui suit:
a.    Maas a déposé le 9 septembre 2005 le signe LE VIN EN DIRECT (portant le numéro de dépôt 1085069) comme marque verbale pour les produits et services suivants:
Cl. 33 Vins et spiritueux.
Cl. 35 Gestion des affaires commerciales; agences d'importation et d'exportation; services au commerce de détail concernant les vins.
Cl. 39 Transport, emballage, distribution et entreposage de vins.
b.    Par lettre du 13 octobre 2005, l'Office a informé (le mandataire de) Maas qu'il refusait provisoirement l'enregistrement du signe. L'Office a indiqué comme motif:
 
"Le signe LE VIN EN DIRECT est composé exclusivement du terme générique LE VIN et de la qualité EN DIRECT et peut servir à désigner l'espèce ou la qualité des produits et services mentionnés dans les classes 33 et 35 qui concernent le vin à acheter directement. Le signe est dès lors dépourvu de tout caractère distinctif (article 6bis, alinéa 1er, sous b. et c., de la loi uniforme Benelux sur les marques".
 
c.     Maas a, par lettres de son mandataire du 19 décembre 2005 et du11 avril 2006 déposé réclamation contre le refus provisoire, soutenant – en résumé – que le refus par l'Office n'est pas dûment motivé et, subsidiairement, que le signe a été consacré comme marque par l'usage qui en a été fait.
d.    Par ses lettres du 1er février 2006 et du 2 mai 2006, l'Office a informé le mandataire de Maas qu'il ne voyait dans les objections avancées aucun motif de revoir son refus provisoire.
e.    Par lettre du 14 juin 2006 au mandataire de Maas, l'Office a notifié sa décision portant refus de l'enregistrement du dépôt.
 
2.       Maas fonde sa requête sur le fait (a) que le refus du signe par l'Office n'est pas dûment motivé, (b) que le signe déposé par lui possède bien un caractère distinctif [dans la branche], et (c) que 'le vin en direct' a acquis un caractère distinctif (plus grand encore) avant la demande notamment à cause de sa consécration par l'usage.
L'Office a contesté de manière motivée les allégations de Maas.
 
3.       La notification du refus provisoire du 13 octobre 2005 mentionne uniquement les produits et services déposés dans les classes 33 et 35 et non les services en classe 39. Les parties reconnaissent que ce dernier point est une omission de l'Office et que le refus du dépôt en totalité est soumis à l'appréciation de la cour, y compris les services en classe 39.
 
4.       Maas échoue dans son argument que l'Office n'a pas dûment motivé le refus du signe dans la mesure où il tend à dire qu'il n'a pas explicité à suffisance le refus. Dans le refus provisoire par lettre du 13 octobre 2005 et dans la correspondance ultérieure, l'Office a indiqué en termes clairs pour quels motifs le signe a été refusé. Maas argumente pour le surplus que le signe a été refusé à tort, de sorte que l'on y reviendra si nécessaire. La cour fait remarquer qu'un manquement éventuel dans la motivation du refus ne peut pas conduire à la décision que le signe doit donc être enregistré, de sorte que ledit argument ne peut pas en soi supporter la requête.
 
Caractère distinctif depuis le début (ab initio)
5.       La décision contestée de l'Office repose sur l'article 6bis, alinéa 1er, sous b et c, de la loi uniforme Benelux sur les marques (ci-après: LBM), remplacé entre-temps par l'article 2.11, alinéa 1er, sous b et c, de la convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (ci-après: CBPI). Les deux dispositions, l'ancienne et la nouvelle, prescrivent que l'Office:
« (…) refuse d’enregistrer une marque lorsqu’il considère que :
(…)
b. la marque est dépourvue de caractère distinctif ;
c. la marque est composée exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou d’autres caractéristiques de celui-ci ;
 
6.       Les dispositions citées sont empruntées à l'article 3, § 1er, sous b et c, de la première directive (89/104/CEE) du 21 décembre 1988 du Conseil des CE rapprochant les législations des Etats membres sur les marques (JOCE 1989, L 40/1) (dénommée ci-après: directive sur les marques). La Cour de justice CE a interprété ces dispositions dans ses arrêts du 12 février 2004, Koninklijke KPN Nederland, C-363/99, Rec. p. I-1619, ('POSTKANTOOR', NJ 2006, 531, BIE 2005, 106 et 1ER 2004, 22) et affaire C-265/00, Campina Melkunie, C-265/00, Rec. p. I-1699 ('BIOMILD', NJ 2006, 528). La Cour de justice a décidé dans ces arrêts qu'une marque verbale dont l'enregistrement – pour des produits ou services déterminés – se heurte à l'article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive, est, de ce fait, nécessairement dépourvue de caractère distinctif au regard de ces mêmes produits ou services, au sens de l'article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive. De plus, la cour a dit pour droit dans son premier arrêt cité (sous 5):
"L'article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens qu'une marque constituée d'un mot composé d'éléments dont chacun est descriptif de caractéristiques des produits ou services pour lesquels l'enregistrement est demandé est elle-même descriptive des caractéristiques de ces produits ou services, au sens de ladite disposition, sauf s'il existe un écart perceptible entre le mot et la simple somme des éléments qui le composent, ce qui suppose soit que, en raison du caractère inhabituel de la combinaison par rapport auxdits produits ou services, le mot crée une impression suffisamment éloignée de celle produite par la simple réunion des indications apportées par les éléments qui le composent, en sorte qu'il prime la somme desdits éléments, soit que le mot est entré dans le langage courant et y a acquis une signification qui lui est propre, en sorte qu'il est désormais autonome par rapport aux éléments qui le composent. Dans ce dernier cas, il y a alors lieu de vérifier si le mot qui a acquis une signification propre n'est pas lui-même descriptif au sens de la même disposition.
Aux fins d'apprécier si une telle marque relève du motif de refus d'enregistrement énoncé à l'article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104, il est indifférent qu'il existe ou non des synonymes permettant de désigner les mêmes caractéristiques des produits ou services mentionnés dans la demande d'enregistrement ou que les caractéristiques des produits ou services qui sont susceptibles d'être décrites soient essentielles sur le plan commercial ou accessoires."
 
7.       Plus généralement, le caractère distinctif du signe doit être apprécié, d'une part, par rapport aux produits ou services pour lesquels il est enregistré et, d'autre part, par rapport à la perception qu'en a le public pertinent, qui est constitué par le consommateur moyen de ces produits ou services, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.
 
8.       Le signe déposé combine 'le vin' et 'en direct'. L'élément 'le vin' est le mot français pour '(de) wijn'. L'expression 'en direct' est l'équivalent français de 'rechtstreeks'. En outre, l'Office a fait valoir, avec des exemples tiré d'Internet, (insuffisamment) contestés par Maas que 'en direct' exprime en français que quelque chose est à acheter directement auprès du producteur, via internet ou non, et que cette expression est en usage dans la branche du vin. Ces exemples montrent aussi qu'il est courant de mettre 'en direct' après une chose qui s'achète directement (comme p.ex. 'vin', 'vin francais', 'poissons et fruits de mer', 'assurance auto' et 'vente en gros et au détail', le tout 'en direct'. Pris globablement, le signe peut être perçu dans le sens de 'vin à acheter directement'.
 
9.       Le dépôt a été effectué pour – en bref – du vin, le commerce de vin au détail et le transport de vin. Les deux éléments du signe peuvent dès lors servir pour désigner l'espèce, la destination, la qualité ou d'autres caractéristiques des produits et services pour lesquels le signe est déposé. Maas affirme qu'il 'existe un élément de fantaisie' dans la combinaison verbale, sans désigner cet élément. La cour n'a pas découvert d'élément de ce genre. Les deux éléments appartiennent au langage courant en français. Ils ont été simplement juxtaposés sans ajouter ainsi quelque chose de particulier sur le plan sémantique ou syntaxique. Il suit de ce qui précède qu'on ne peut pas dire que le signe, à cause d'une combinaison inhabituelle pour ces produits ou services, crée une impression suffisamment éloignée de l'impression produite par la simple réunion des éléments qui le composent. En d'autres termes, le signe combine des éléments d'une manière habituelle, sans primer la somme des éléments séparés sur le plan conceptuel, visuel ou auditif. Pour ce motif, le signe en totalité est à considérer comme exclusivement descriptif pour les produits et services déposés et il est dès lors dépourvu de caractère distinctif dès le départ ('ab initio') pour ces produits et services. Cette conclusion concerne aussi bien le territoire francophone que le territoire néerlandophone du Benelux.
 
10.   Maas invoque vainement son enregistrement antérieur d'un signe similaire en classe 33 'Vins et spiritueux'. L'enregistrement, qui n'a pas été renouvelé par Maas en 2005, ne peut pas remédier au défaut de caractère distinctif de ce signe constaté plus haut. En effet, il doit être apprécié selon ses mérites propres, suivant les règles en vigueur à cette fin. La cour fait remarquer que l'enregistrement antérieur en question date du 4 août 1995 et na pas fait l'objet d'un examen préalable quant à son caractère distinctif.
 
Consécration par l'usage
11.   On doit ainsi examiner l'argument de Maas que le signe LE VIN EN DIRECT a été consacré par l'usage qui en a été fait et la cour considère ce qui suit à cet égard.
 
12.   L'article 3, paragraphe 3, de la directive sur les marques dispose – entre autres – qu'une marque n’est pas refusée à l’enregistrement pour défaut de caractère distinctif si, après l’usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif. Dans ce cas, il convient de faire observer que le simple emploi d'un nom commercial pour offrir des produits et services ne constitue pas au surplus un usage d'une marque ressemblant à ce nom commercial. Il peut en être ainsi si, en fait, le public perçoit en outre l'emploi du nom commercial comme l'usage d'un signe permettant de distinguer les produits et services offerts de ceux d'autrui (cf. Cour de Justice Benelux 20 décembre 1996, IER 1997,18; `Europabank'). Par ailleurs, seul l'usage du signe avant le 9 septembre 2005 est pertinent dans ce contexte, étant donné que l'on peut avoir égard uniquement à l'usage du signe au moment du dépôt (Cour de Justice Benelux 26 juin 2000, BIE 2001, 24).
 
13.   Enfin, pour apprécier la consécration par l'usage, il importe de relever que le signe LE VIN EN DIRECT est également à considérer comme exclusivement descriptif en langue française. En ce qui concerne l'interprétation de l'article 3, paragraphe 3, de la directive sur les marques, la Cour de justice a considéré ce qui suit dans son arrêt du 7 septembre 2006, Bovemij Verzekeringen NV, C-108/05, ('EuROPOLIS'):
1)        L’article 3, paragraphe 3, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens que l’enregistrement d’une marque ne saurait être admis sur le fondement de cette disposition que s’il est démontré que cette marque a acquis par l’usage un caractère distinctif dans toute la partie du territoire de l’État membre ou, dans le cas du Benelux, dans toute la partie du territoire de celui-ci dans laquelle il existe un motif de refus.
 
2)       S’agissant d’une marque consistant en un ou plusieurs mots d’une langue officielle d’un État membre ou du Benelux, si le motif de refus n’existe que dans l’une des zones linguistiques de l’État membre ou, dans le cas du Benelux, dans l’une des zones linguistiques de celui-ci, il doit être établi que la marque a acquis par l’usage un caractère distinctif dans toute cette zone linguistique. Dans la zone linguistique ainsi définie, il y a lieu d’apprécier si les milieux intéressés, ou à tout le moins une fraction significative de ceux-ci, identifient grâce à la marque le produit ou le service en question comme provenant d’une entreprise déterminée.
 
14.   Les considérations précitées de la Cour de justice impliquent dans le cas présent que la consécration par l'usage ne saurait être admise que s'il est établi que, en plus de la zone néerlandophone du Benelux, le signe a acquis un caractère distinctif dans la zone du Benelux où le français est parlé / la langue officielle.
 
15.   Il appartient à Maas de démontrer à l'aide de pièces pertinentes que le signe a acquis un caractère distinctif dans le sens indiqué ci-dessus. Eu égard aux pièces versées au dossier jusqu'ici, Maas ne réussit pas – pour le moment – à en apporter la prevue, compte tenu de ce qui précède.
Lors de la procédure orale sur l'affaire, Maas a offert d'apporter (encore) la preuve pertinente, à la lumière de ce qui est considéré sous les points 11 à 13 ci-dessus. La cour donnera donc à Maas la possibilité de présenter une telle preuve au procès. L'Office peut alors réagir, le cas échéant.
 
Décision
 
La cour:
 
Donne à Maas la possibilité de verser au dossier les pièces visées sous 15 dans les trois semaines suivant le jour du prononcé;
 
Réserve à statuer pour le surplus.
 
La présente ordonnance a été rendue par les conseillers J.C. Fasseur-van Santen, A.D. Kiers-Becking et C.J. Verduyn, et prononcée à l'audience publique du 9 novembre 2006, en présence du greffier.
 
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