Date
Instance
REC NL Marque
GLOBAL INTRANET Numéro de dépôt
Déposant
DEUTSCHE TELEKOM AG Texte
Numéro de requête: R98/826
DEUTSCHE TELEKOM AG contre BBM
AU NOM DE LA REINE
Prononcé : 23 février 2006
Numéro de requête: R98/826
La cour d'appel de La Haye, chambre MC-5,
a rendu l'ordonnance suivante à la requête de:
la société de droit étranger
DEUTSCHE TELEKOM AG,
dont le siège est à Bonn, Allemagne
requérante,
dénommée ci-après: Telekom,
contre
le BUREAU BENELUX DES MARQUES,
dont le siège est à La Haye,
défendeur,
dénommé ci-après: le Bureau
avoué: Me C.J.J.C. van Nispen
La suite de la procédure
La cour se réfère pour le déroulement de la procédure jusqu'ici à son ordonnance du 18 septembre 2003. Par cette ordonnance, l'examen de l'affaire avait été suspendu jusqu'à ce qu'une décision ait été rendue dans l'affaire KPN/BBM par la Cour de Justice Benelux (affaire n° 99/01) et par la Cour de justice des Communautés européennes (affaire C-363/99).
La Cour de justice des Communautés européennes (ci-après: CJCE) a rendu son arrêt le 12 février 2004. A la suite de cet arrêt, Telekom a, par acte du 19 mai 2004, maintenu sa requête principale d'enregistrement du signe GLOBAL INTRANET, mais retiré sa requête subsidiaire tendant à enregistrer le signe avec l'ajout de la phrase "dans la mesure où il ne se rapporte pas à un internet mondial".
Le Bureau a, par une réaction additionnelle du 16 août 2004, persisté dans sa demande de rejet de la requête de Telekom.
La Cour de Justice Benelux a rendu son arrêt final le 1er décembre 2004.
La requérante a demandé ensuite à la cour de prendre une ordonnance.
Examen de la requête
1. La cour maintient ce qu'elle a considéré dans ses ordonnances du 24 mars 1999 et du 18 septembre 2003.
2. Telekom fonde sa requête d'enregistrement du signe sur le fait que GLOBAL INTRANET possède bien un caractère distinctif pour les produits et services pour lesquels l'enregistrement est demandé. Elle avance que les mots 'global' et 'intranet' ne sont pas des vocables habituels et constituent une combinaison inhabituelle, qui n'est pas descriptive pour les produits et services concernés. De plus, elle relève que le signe a été enregistré en Allemagne et que des signes analogues sont enregistrés dans le Benelux.
Le Bureau a contesté les allégations de Telekom de manière motivée.
3. La question à trancher est dès lors celle de savoir si le signe GLOBAL INTRANET est dépourvu de caractère distinctif pour les services pour lesquels il est déposé. L'appréciation du caractère distinctif d'un signe doit s'effectuer, d'une part, par rapport aux produits et services pour lesquels il est déposé et, d'autre part, par rapport à qu'en a le public pertinent, qui est constitué par le consommateur moyen desdits produits ou services, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.
4. Le refus du Bureau Benelux des Marques d'enregistrer le dépôt est fondé sur les dispositions de l'article 6bis, alinéa 1er, sous a (juncto article 39) de la loi uniforme Benelux sur les marques (ci-après: LBM), telle qu'il était libellé jusqu'à sa modification en vertu du Protocole portant modification de la LBM du 11 décembre 2001 (Trb. 2002, 37). Ce paragraphe de l'article disposait que l'enregistrement de la marque est refusé lorsque le signe déposé ne constitue pas une marque au sens de l'article 1er de la LBM, 'notamment pour défaut de tout caractère distinctif comme prévu à l'article 6quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris'.
5. Le texte actuel de l'article 6bis, alinéa 1er, de la LBM comporte une énumération des motifs de refus d'une marque pour défaut de tout caractère distinctif. L'énumération est empruntée à l'article 3, § 1er, sous a à d, de la première directive (89/104/CEE) du 21 décembre 1988 du Conseil des CE rapprochant les législations des Etats membres sur les marques (JOCE 1989, L 40/1). Le libellé de cette disposition est à son tour emprunté à l'article 6quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris. D'après le Commentaire commun des gouvernements joint audit Protocole (sur l'article F), aucune modification quant au fond n'est envisagée avec cette adaptation textuelle. Pour l'appréciation du signe, il est donc indifférent que l'on se base sur le texte ancien ou sur le texte actuellement en vigueur de l'article 6bis, alinéa 1er, de la LBM. Celui-ci s'énonce, entre autres, comme suit:
« Le Bureau Benelux refuse d’enregistrer une marque lorsqu’il considère que :
(…)
b. la marque est dépourvue de caractère distinctif ;
c. la marque est composée exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou d’autres caractéristiques de celui-ci ;
(…) »
6. Par ailleurs, il convient de retenir l'interprétation que la Cour de justice a donnée à l'article 3, § 1er, sous b et c, de la directive dans ses arrêts du 12 février 2004 dans l'affaire C-363/99, en cause POSTKANTOOR (BIE 2005, 106 et IER 2004, 22) et dans l'affaire C-265/00 en cause BIOMILD. La Cour de justice a considéré dans ces arrêts qu'une marque verbale dont l'enregistrement – pour des produits ou services déterminés – se heurte à l'article 3, § 1er, sous c, de la directive, est nécessairement dépourvue de caractère distinctif pour les produits ou services au sens de l'article 3, § 1er, sous b, de la directive. La Cour a dit en outre pour droit (arrêt en cause POSTKANTOOR) ce qui suit:
"L'article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens qu'une marque constituée d'un mot composé d'éléments dont chacun est descriptif de caractéristiques des produits ou services pour lesquels l'enregistrement est demandé est elle-même descriptive des caractéristiques de ces produits ou services, au sens de ladite disposition, sauf s'il existe un écart perceptible entre le mot et la simple somme des éléments qui le composent, ce qui suppose soit que, en raison du caractère inhabituel de la combinaison par rapport auxdits produits ou services, le mot crée une impression suffisamment éloignée de celle produite par la simple réunion des indications apportées par les éléments qui le composent, en sorte qu'il prime la somme desdits éléments, soit que le mot est entré dans le langage courant et y a acquis une signification qui lui est propre, en sorte qu'il est désormais autonome par rapport aux éléments qui le composent. Dans ce dernier cas, il y a alors lieu de vérifier si le mot qui a acquis une signification propre n'est pas lui-même descriptif au sens de la même disposition
Aux fins d'apprécier si une telle marque relève du motif de refus d'enregistrement énoncé à l'article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104, il est indifférent qu'il existe ou non des synonymes permettant de désigner les mêmes caractéristiques des produits ou services mentionnés dans la demande d'enregistrement ou que les caractéristiques des produits ou services qui sont susceptibles d'être décrites soient essentielles sur le plan commercial ou accessoires".
7. Le signe déposé est composé d'une combinaison du mot INTRANET et du mot GLOBAL. La signification séparée de ces mots importe pour apprécier la manière dont le public concerné percevra le signe global.
Le terme Intranet appartient au langage courant et est le terme générique d'un réseau informatique fermé au sein d'une organisation, basé sur les mêmes protocoles qu'internet. Le mot Global signifie 'mondial' en anglais. Ces significations immédiatement compréhensibles pour le public concerné qu'il comprendra l'ensemble du signe comme l'indication d'une espèce déterminée de réseau informatique mondial au sein d'une organisation.
8. L'argument de Telekom ne saurait être admis dans la mesure où il implique que GLOBAL INTRANET possède un caractère distinctif pour des produits ou services qui concernent un intranet mondial. Le signe est composé exclusivement de mots qui peuvent servir d'indication des caractéristiques de produits ou services en rapport avec un intranet mondial. Dans les pays du Benelux, l'emploi de l'anglais ou de termes empruntés à l'anglais pour décrire des notions dans le monde de l'internet ou de l'intranet est plutôt la règle que l'exception. L'opposition conceptuelle alléguée par Telekom entre global (mondial) et le préfixe intra (fermé) n'enlève rien à la signification descriptive du signe. Contrairement à ce que Telekom affirme, le signe ne présente pas non plus quelque chose de spécial en sorte qu'il primerait la somme de ses éléments. On ne peut pas dire que la combinaison verbale prime, sur le plan conceptuel, visuel ou auditif, la somme de ses éléments séparés. Le signe ne crée pas davantage – par une combinaison inhabituelle pour les produits et services concernés – une impression suffisamment éloignée de celle produite par la simple réunion des indications apportées par les éléments qui le composent. Il n'a été ni allégué ni établi ensuite que le signe a (acquis) une signification qui lui est propre – non descriptive – en sorte qu'il est désormais autonome par rapport aux éléments qui le composent.
Bref, le public concerné ne percevra pas le signe comme un signe distinctif, mais plutôt comme une indication de caractéristiques des produits et services en rapport avec un intranet mondial.
9. Telekom soutient vainement que dans la présente procédure, l'appréciation du caractère distinctif dépend de la manière dont le public concerné a perçu le signe au moment du dépôt (le 6 mai 1997). La cour pose en préalable que pour décider si un signe est exclusivement descriptif, il n'est pas nécessaire que ce signe soit effectivement utilisé pour indiquer les caractéristiques des produits et services concernés. Il suffit que le signe puisse servir à cela (cf. CJCE 12 février 2004, point 57, en cause POSTKANTOOR). Tel est le cas en l'espèce, même si l'on n'avait pas égard à la circonstance – non contestée par Telekom – que la notion intranet a connu une extension nettement plus étendue après la date de dépôt. Le Bureau défend la thèse que 'intranet' était déjà un nom générique à l'époque de la demande d'enregistrement. Cette thèse trouve un appui dans les définitions de dictionnaires (spécialisés) citées par le Bureau dans sa lettre du 9 septembre 1998, qui ne sont pas (dûment) contestées par Telekom.
10. Telekom demande l'enregistrement du signe pour un large éventail de produits et services, y compris des ordinateurs et des services en relation avec les ordinateurs et la collecte et fourniture de données, les nouvelles et l'information. Elle demande ainsi – contrairement à ce que suppose Telekom – l'enregistrement du signe pour des produits et services en rapport avec un intranet mondial, pour lesquels le signe est dépourvu de caractère distinctif. La requête de Telekom d'enregistrer pour des produits ou services pour lesquels le signe n'est pas descriptif ne saurait être admise en l'absence de toute explication ou argumentation. Par ailleurs, cette requête se heurte au fait que la cour peut uniquement donner un ordre d'enregistrement d'un dépôt pour des produits ou services déterminés, si une telle requête a été soumise antérieurement – dans la phase de réclamation – au Bureau (cf. Cour de Justice Benelux 15 décembre 2003, en cause 'LANGS VLAAMSE WEGEN', BIE 2004, 33 et NJ 2004, 347).
11. Telekom ne peut pas non plus se prévaloir du fait, comme l'affirme, que le signe déposé a été enregistré comme marque en Allemagne en 1996, ni du fait que des signes contenant l'élément global ont été enregistrés. La cour écarte l'argument selon lequel il ne devrait pas y avoir en fait de différence entre l'appréciation de l'admissibilité du présent signe en Allemagne et dans le Benelux. Le caractère distinctif du présent signe doit être appréciée suivant ses mérites propres. D'autres enregistrements n'enlèvent ni n'ajoutent rien à ce caractère distinctif.
12. Il découle de ce qui précède que l'enregistrement du signe doit être refusé, étant donné qu'il est exclusivement descriptif pour les produits et services concernés et dépourvu de tout caractère distinctif pour ces produits et services au sens de l'article 6bis, aliéna 1er, sous c, de la LBM. Le refus d'enregistrer le signe est également conforme à l'intérêt général qui implique notamment que tous les signes ou indications pouvant servir à désigner des caractéristiques des produits ou services pour lesquels l'enregistrement est demandé soient laissés à la libre disposition de toutes les entreprises afin qu'elles puissent les utiliser en décrivant les mêmes caractéristiques de leurs propres produits (CJCE 12 février 2004, en cause POSTKANTOOR, points 55 et 56, loc.cit.).
13. La cour n'a plus à apprécier la requête – subsidiaire – d'enregistrement du signe avec l'ajout de la phrase 'dans la mesure où il ne se rapporte pas à un internet mondial', dès lors que Telekom a retiré cette requête.
14. En conclusion, la requête de Telekom sera rejetée. Telekom, étant partie succombante, sera condamnée aux frais de procédure, dans la mesure où ils ont été exposés par le Bureau.
Décision
La cour :
Rejette la requête de Telekom ;
Condamne Telekom aux frais de la procédure et fixe ceux-ci jusqu’à ce prononcé à € 1.987,66 (dont un droit fixe de € 199,66) pour le Bureau Benelux des Marques.
La présente ordonnance a été rendue par les conseillers J.C. Fasseur-van Santen, A.D. Kiers-Becking et C.J. Verduyn, et a été prononcée à l’audience publique du 23 février 2006, en présence du greffier.
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