Prononcé : 13 avril 2000
No de la requête.: 99/839
LA COUR D’APPEL DE LA HAYE, chambre M C-5,
a rendu l'ordonnance suivante à la requête de :
la société de droit étranger MECKLERMEDIA CORPORATION,
dont le siège est à Westport, Connecticut,
Etats-Unis d'Amérique,
requérante,
avoué : Me F. Quarles van Ufford,
contre
le BUREAU BENELUX DES MARQUES,
dont le siège est à La Haye,
défendeur,
avoué : Me C.J.J.C. van Nispen
La procédure
Par requête (avec annexes) reçue au greffe de la cour le 7 décembre 1999, Mecklermedia a demandé à la cour d'ordonner au BBM de procéder à l'enregistrement du dépôt n° 918 232 (INTERNET.COM) et de condamner le Bureau aux dépens de la procédure.Par mémoire en défense (avec annexes) reçu au greffe de la cour le 4 janvier 2000, le Bureau a demandé à la cour de déclarer la requête de Mecklermedia irrecevable sinon de rejeter la requête et de condamner Mecklermedia aux dépens de la procédure.
La procédure orale sur la requête est intervenue le 27 mars 2000. Les parties - le BBM remettant une pièce - ont exposé leurs points de vue à l'aide de notes de plaidoirie, Mecklermedia par Me S.U. Ottevangers, avocat à La Haye, et le Bureau par son avoué.
Examen de la requête
1. Il est apparu que la requête a été envoyée sous forme de télécopie datée du 7 décembre 1999 et sous forme de lettre datée du 7 décembre 1999. La télécopie ayant été reçue au greffe de la cour le 7 décembre 1999, la requête a été introduite dans le délai. Le fait que la lettre est seulement arrivée le 9 décembre 1999 au guichet central du Palais de Justice et ensuite greffe de la cour n'y change rien.
2. Les pièces remises au procès font apparaître ce qui suit :
a. Le 22 juin mai 1998, Mecklermedia a déposé auprès du BBM le signe INTERNET.COM sous le numéro 918232 comme marque verbale pour les produits et les services dans les classes suivantes :
classe 16 : imprimés; publications; périodiques, revues; lettres d'information, livres; répertoires d'adresses; programmes d'ordinateur fixés sur papier ou carton; pamphlets; reproductions et représentations graphiques; épreuves graphiques; sacs en papier, carton ou plastique, non compris dans cette classe; calendriers, articles de bureau; posters; photos; stylos à bille; crayons; cartes de vœux; fournitures de bureau; cartes à jouer; bloc-notes; panneaux de publication en papier ou en carton; boîtes en papier ou en carton.
classe 38 : fourniture d'accès à des réseaux de télécommunication nécessaires pour consulter des informations en ligne ou pour obtenir des services en ligne.
classe 42 : conseils dans le domaine de la technologie de l'information, des ordinateurs et de la technologie de la communication; conception de logiciels d'ordinateur; fournir des informations et des conseils sur les technologies de l'information, la qualité, l'utilisation et l'application des ordinateurs et sur les technologies de communication; fournir des temps d'accès à des bases de données informatiques contenant des informations ou à des bases de données pour obtenir des services en ligne.
Mecklermedia a certes remis un accusé de réception concernant un dépôt sous le même numéro pour les classes 16 et 42, mais il ressort des autres pièces de procédure que le dépôt concerne les trois classes mentionnées ci-dessus, de sorte que la cour se base sur ce dépôt.
b. Par lettre du 26 février 1999, le Bureau a notifié au mandataire de Mecklermedia le refus provisoire de l'enregistrement.
Le Bureau a indiqué le motif suivant :
"Le signe INTERNET.COM est uniquement composé de la dénomination générique internet et de l'indication .com usuelle sur internet (indication d'une organisation commerciale) et est dépourvu de tout caractère distinctif au sens de l'article 6bis, alinéa premier, sous a., de la loi uniforme Benelux sur les marques (...) pour les services mentionnés dans les classes 38 et 42 en rapport avec internet et les produits mentionnés en classe 16 s'y rapportant. De plus, comme le signe a manifestement trait à internet, son usage pourrait avoir pour effet de tromper le public pour les produits et services qui ne s'y rapportent pas (voyez l'article 6bis, alinéa premier, sous b, de la loi uniforme Benelux sur les marques (...))."
c. Le mandataire de Mecklermedia a notifié par lettre du 26 août 1998 son opposition au refus provisoire.
d. Le Bureau n'y a pas vu de motif à revoir son refus provisoire (lettre du 24 septembre 1999).
e. Par lettre du 8 octobre 1999, le Bureau a notifié au mandataire de Mecklermedia sa décision portant refus définitif d'enregistrer le dépôt.
3. Sur le pied de l'article 6ter de la loi uniforme Benelux sur les marques (LBM), Mecklermedia a demandé à la cour d'ordonner au Bureau d'enregistrer le dépôt. Mecklermedia défend le point de vue que le signe n'est exclusivement descriptif pour les produits et services pour lesquels le dépôt a été effectué et possède un caractère distinctif suffisant.
4. Le Bureau, qui a fondé ses décisions sur l'article 6bis, alinéa premier sous a, de la LBM et en outre sur l'article 6bis, alinéa premier, sous b, de la LBM a demandé de rejeter la requête.
5. Aux termes de l'article 6bis, alinéa premier, début et sous a, de la LBM, l'enregistrement d'un dépôt doit être refusé si le signe déposé ne constitue pas une marque au sens de l'article 1er, notamment pour défaut de tout caractère distinctif au sens de l'article 6quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris.
6. L'article 6 quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris est libellé comme suit :
"Les marques de fabrique ou de commerce, visées par le présent article, ne pourront être refusées à l'enregistrement ou invalidées que dans les cas suivants :
1. (...)
2. lorsqu'elles sont dépourvues de tout caractère distinctif, ou bien composées exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, le lieu d'origine des produits ou l'époque de production, ou devenus usuels dans le langage courant ou les habitudes loyales et constantes du commerce du pays où la protection est réclamée."
7. Pour apprécier la question de savoir si le signe possède un caractère distinctif, la cour analysera d'abord les éléments constitutifs du signe.
L'élément "internet" est l'indication courante pour un système de communication universel (entre réseaux de communication de données / ordinateurs, les informations pouvant être transmises de manière standardisée).
L'élément ".com" est, notamment pour les utilisateurs d'internet, une abréviation courante du terme anglais "company", ce terme étant aussi connu dans le Benelux et indiquant que le produit ou le service est destiné à une entreprise ou en provient.
La combinaison des éléments n'apporte rien de spécial pour les services dans les classes 38 et 42 pour lesquels elle est déposée et dès lors dépourvue de tout caractère distinctif au sens de la Convention de Paris.
La circonstance que Mecklermedia est "titulaire mondial" du nom de domaine "INTERNET.COM" n'implique pas en soi qu'il sera perçu de ce fait comme marque par le public concerné dans le Benelux ou une fraction de celui-ci.
De plus, la cour prend également en considération dans son appréciation le fait que l'acceptation du terme INTERNET.COM comme marque empêcherait des tiers de désigner des produits identiques ou similaires avec cette combinaison verbale.
8. Mecklermedia se prévaut en outre de la consécration par l'usage et affirme à cet égard que le signe INTERNET.COM a été utilisé intensivement depuis lors et a acquis dès lors un caractère distinctif. Elle affirme en particulier que le signe INTERNET.COM, en même temps son nom de domaine, est montré en permanence et mis en évidence sur son site web et que ce site web est visité par un nombre considérable d'utilisateurs.
9. Dès lors que les pays du Benelux n'ont pas fait usage de la faculté que leur offre l'article 3 § 3, troisième phrase, de la première directive du Conseil des CE, du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, n° 89/104/CEE (JOCE 1989 L 40) de prévoir que la disposition de la première phrase du troisième paragraphe s'applique aussi lorsque le caractère distinctif a été acquis après la demande d'enregistrement ou après l'enregistrement, la cour considère que le caractère distinctif doit avoir été acquis avant la demande d'enregistrement du dépôt (en l'espèce le 22 juin 1998).
Il ressort des documents produits par Mecklermedia, tels qu'ils ont été explicités en son nom à l'audience, que son site web a été consulté durant 18 mois aux Pays-Bas. La cour estime que ni la pièce 5 produite par Mecklermedia ni aucune autre circonstance n'attestent à suffisance que par un usage intensif et de longue durée dans le Benelux (ou une partie de celui-ci) INTERNET.COM a acquis un tel caractère distinctif qu'il peut être considéré comme une marque, de sorte que la consécration par l'usage est vainement invoquée.
En outre, l'utilisation comme nom de domaine n'atteste pas pour autant que INTERNET.COM est perçu par le public comme la désignation d'une marque de Mecklermedia.
10. Mecklermedia a encore soutenu que le signe INTERNET.COM est enregistré comme marque en France et en Allemagne.
Même si l'on admet la justesse de cette affirmation et l'identité des marques, il n'empêche que la cour doit apprécier le caractère distinctif sur ses mérites propres en fonction des règles applicables.
11. Il découle de ce qui précède que la requête de Mecklermedia doit être rejetée en tant qu'elle concerne dans leur ensemble les services prémentionnés dans les classes 38 et 42 et les produits prémentionnés en classe 16 et qu'elle doit être condamnée aux frais de la procédure en tant que partie succombante.
Décision
La cour :
Rejette la requête de Mecklermedia;
Condamne Mecklermedia aux frais de la procédure et taxe ceux-ci jusqu'à ce prononcé à f 3.875,- dans le chef du BBM.
La présente ordonnance a été rendue par les conseillers Fasseur - van Santen, Van Sandick et Kiers-Becking, et prononcée à l'audience publique du 13 avril en présence du greffier.