du 17.01.2002.
Numéro 1839 du registre.
Audience publique du jeudi, dix-sept janvier deux mille deux.
Composition :
Marc THILL, président de la Cour,
Marc SCHLUNGS, conseiller à la Cour de cassation,
Jean JENTGEN, conseiller à la Cour de cassation,
Romain LUDOVICY, premier conseiller à la Cour d'appel,
Joséane SCHROEDER, conseiller à la Cour d'appel,
Jérôme WALLENDORF, avocat général,
Marie-Paule KURT, greffier à la Cour.
Entre :
la société anonyme BANQUE DE LUXEMBOURG, établie et ayant son siège social à L-2449 Luxembourg, 14, boulevard Royal, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonction, immatriculée auprès du registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 5310,
demanderesse en cassation,
comparant par Maître Pit RECKINGER, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, assisté de respectivement Maître Louis VAN BUNNEN, avocat inscrit au barreau de Bruxelles et de Maître Philippe GERARD, avocat à la Cour de cassation de Belgique,
et
le BUREAU BENELUX DES MARQUES, établi à NL-2591 La Haye, 15, Bordewijklaan, représenté par son directeur actuellement en fonction,
défendeur en cassation,
comparant par Maître Nicolas DECKER, avocat à la Cour, en l'étude duquel domicile est élu.
LA COUR DE CASSATION :
0uï Monsieur le conseiller JENTGEN en son rapport et sur les conclusions de Monsieur le premier avocat général EDON;
Vu l'arrêt attaqué, rendu le 31 janvier 2001 par la Cour d'appel, quatrième chambre, siégeant conformément à l'article 6ter de la loi uniforme Benelux sur les marques du 19 mars 1962 telle que modifiée par les Protocoles des 10 novembre 1983 et 2 décembre 1992;
Vu le mémoire en cassation, signifié le 9 mai 2001 par la société anonyme BANQUE DE LUXEMBOURG et déposé au greffe de la Cour le 11 mai 2001;
Vu le mémoire en réponse, signifié le 3 juillet 2001 par le BUREAU BENELUX DES MARQUES et déposé au greffe de la Cour le 9 juillet 2001;
Attendu que, saisi par la société anonyme BANQUE DE LUXEMBOURG, sur base de l'article 6ter de la loi uniforme Benelux sur les marques, d'un recours conte le refus définitif du BUREAU BENELUX DES MARQUES d'enregistrer la marque "Fund-Market" pour les services de la classe 36, à savoir les conseils en investissement, la Cour d'appel l'a, par l'arrêt attaqué rejeté comme non fondé et a dit que le BUREAU BENELUX DES MARQUES a refusé à juste titre l'enregistrement sollicité;
Sur le premier moyen de cassation,
Tiré «du manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué, après avoir constaté que le signe "Fund-Market" est composé de deux mots dont l'ensemble est envisagé pour constituer une marque composée et que selon la demanderesse en cassation le signe proposé peut se traduire par "marchés de fonds" ou "foire de fonds", sans se prononcer autrement sur la traduction française des termes anglais "fund" et "market", a justifié l'ensemble des dispositions attaquées en jugeant que la combinaison "Fund-Market" désigne une caractéristique du conseil en investissement, notamment celle de conseiller utilement le client, d'investir sur le marché de fonds, dans tel fonds plutôt que dans tel autre, retenant ainsi que la combinaison "Fund-Market" serait une combinaison descriptive pour désigner les services de conseil, alors que l'arrêt attaqué aurait dû procéder à une analyse des termes "market" ou "marché" ou "foire" en combinaison avec le terme "fund" ou "fonds" et des activités se déroulant sur un "marché", "market" ou "foire", pareille analyse étant indispensable pour définir le ou les services pouvant être désignés par le signe "Fund-Market" et devant indubitablement amener le juge du fond à admettre que l'activité de conseil ne peut en principe être assimilée aux activités qui se déroulent sur un "market", un marché ou une foire, et à défaut d'avoir procédé à cette analyse indispensable pour justifier sa solution, l'arrêt manque de base légale »;
Mais attendu que sous le couvert du grief non fondé de manque de base légale, le moyen ne tend qu'à remettre en cause devant la Cour de cassation des faits qui ont été souverainement appréciés par les juges du fond;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris dans ses deux branches,
tiré « de la violation des articles 1er, alinéa ler, 6bis sous 1, littera a) et 39 de la loi uniforme Benelux sur les marques, annexée à la Convention Benelux en matière de marques de produits signée à Bruxelles le 19 mars 1962, approuvée par la loi du 7 décembre 1966 (l'article 6bis tel que modifié par le Protocole du 2 décembre 1992, approuvé par la loi du 31 juillet 1995 et l'article 39 tel qu'inséré dans la loi uniforme par le Protocole du 10 novembre 1983, approuvé par la loi du 17 mai 1985), 6 quinquies B, sous 2° de la Convention d'Union de Paris pour la protection de la propriété industrielle du 20 mars 1883, telle que révisée à Stockholm le 14 juillet 1967 et approuvée dans cette dernière révision par la loi du 28 mars 1974, ler, 2 et 3, sous 1, littera c) et d) de la directive du Conseil des communautés européennes n° 89/104 du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, en ce que l'arrêt attaqué, après avoir constaté que le fait qu'une marque est constituée de deux termes usuels ou banals ne l'empêche pas, comme le souligne la banque, d'avoir un caractère distinctif, et que la combinaison de deux termes "Fund" et "Market" est, il est vrai originale de par son agencement inhabituel, a justifié l'ensemble des dispositions attaquées en jugeant que a) la loi uniforme Benelux doit s 'interpréter à la lumière du texte et de la finalité de la directive, b) selon la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes (arrêt du 4 mai 1999 dans l'affaire dite "Chiemsee") l'article 3, 1 sub c de la directive poursuit un but général lequel exige que les signes ou indications descriptives des catégories de produits ou services pour lesquelles l'enregistrement est demandé puissent être librement utilisés par tous. .. Cette disposition empêche, dès lors, que de tels signes ou indications soient réservés à une seule entreprise en raison de leur enregistrement en tant que marque, c) le Bureau Benelux des Marques doit pouvoir apprécier le caractère distinctif du signe déposé conformément à la loi uniforme Benelux revue à la lumière de l'article 3, 1 sub c de la directive, et que d) l'interprète doit avoir une approche plus exigeante en vue d'apprécier le pouvoir distinctif de la marque (…), pour en déduire qu'en l'espèce la marque est composée exclusivement de signes ou d'indications, même agencés d'une façon originale, pouvant servir dans le commerce, pour désigner une caractéristique du produit ou service pour laquelle la Banque entend l'enregistrer et pour refuser ainsi l'enregistrement de la marque proposée, alors que, première branche, l'article 6bis, 1, sous a, de la loi uniforme Benelux sur les marques qui permet au Bureau Benelux des Marques de refuser l'enregistrement d'un dépôt "lorsqu'il considère que: a) le signe déposé ne constitue pas une marque au sens de l'article 1er, notamment pour défaut de tout caractère distinctif comme prévu à l'article 6, quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris" renvoit à une disposition de la Convention de Paris qui a son tour prévoit que les marques qu'elle vise ne pourront être refusées à l'enregistrement que dans les cas quelle détermine et, notamment, "lorsqu'elles sont (...) composées exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, le lieu d 'origine des produits où l'époque de production, ou devenus usuels dans le langage courant ou les habitudes loyales et constantes du commerce du pays où la protection est réclamée", et s'il existe quelques différences de rédaction entre l'article 6, quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris et l'article 3, 1, c) et d), de la directive n° 89/104/CEE gui dispose que sont refusées à l'enregistrement ".., c) les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l'époque de la production du produit ou de la prestation de service, ou d'autres caractéristiques de ceux-ci, d) les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d'indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce", il ressort du préambule de celle-ci que la volonté a été que "les dispositions de la (...) directive soient en harmonie complète avec celles de la Convention de Paris" et lorsqu'ils ont établi le Protocole du 2 décembre 1992 portant modification de la loi uniforme Benelux sur les marques, les gouvernements des pays du Benelux ont considéré qu'il n'y avait pas de différences significatives entre ces deux dispositions puisqu'ils n 'ont pas jugé nécessaire de modifier les articles 6bis et 14, sous A, de la loi qui, tous deux, font référence à l'article 6, quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris, et il se déduit tant du préambule de la directive que de l 'attitude des gouvernements des pays du Benelux lors de l'élaboration du Protocole du 2 décembre 1992 que les articles 6, quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris et 3, 1, c) et d), de la directive ont substantiellement la même portée, de sorte qu'en décidant que le défendeur "doit pouvoir apprécier le caractère distinctif du signe déposé conformément à la loi uniforme Benelux revue à la lumière de l'article 3, 1, sub c), de la directive" et, dans cette appréciation, le défendeur peut ou doit s'écarter des principes énoncés par la jurisprudence de la Cour de justice de Benelux dans les arrêts "Kinder" et "Juicy Fruit", parce que selon l'arrêt sous l'empire de la loi uniforme "revue" à la lumière de la directive " l'interprète doit avoir une approche plus exigeante et vue d'apprécier le pouvoir distinctif de la marque", l'arrêt attaqué attribue à l'article 6bis, sous 1, littera a), de la loi uniforme Benelux une portée qu'il ne peut avoir (en violant ainsi les articles 6bis, sous 1, littera a) de la loi uniforme Benelux sur les marques 6, quinquies B, sous 2° de 1a Convention d'Union de Paris et 3,1, littera c) et d) de la directive n° 89/104/CEE du 21 décembre 1988); seconde branche, en vertu de l'article ler, alinéa ler, de la loi uniforme Benelux sur les marques, la marque est un signe servant à distinguer les produits ou services (en vertu de l'article 39 de la même loi) d'une entreprise et cette loi ne contient pas d'interdiction des signes descriptifs, mais se réfère notamment dans son article 6bis, 1, a) à l'article 6, quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris, qui n'autorise le refus des marques à l'enregistrement que "1°)...2)lorsqu’elles...composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, le lieu d'origine des produits ou l'époque de production...", et ainsi, la loi uniforme a, selon l'interprétation qu'elle reçoit de la Cour de Justice Benelux, notamment dans les arrêts "Kinder" et "Juicy Fruit" entendu disposer que si le signe déposé n'est pas exclusivement descriptif, mais simplement évocateur du produit ou du service, la marque doit être considérée comme licite et son dépôt doit, par conséquent, être enregistré par le défendeur, tandis qu'en l'espèce, après avoir faussement énoncé que, sous l'empire de l'article 3, 1, sub c), de la directive n° 89/104/CEE, "l'interprète doit avoir une approche plus exigeante en vue d'apprécier le pouvoir distinctif de la marque", l'arrêt attaqué qui, a bon droit, admet que "le fait qu'une marque est constituée", comme la marque litigieuse "Fund Market", "de deux termes usuels ou banals ne l'empêche pas (...) d'avoir un caractère distinctif" et reconnaît l'originalité, en raison de son "agencement inhabituel", de la combinaison des termes "Fund" et "Market", considère néanmoins que même si l'on pouvait admettre que "(la combinaison descriptive "Fund Market") est évocatrice plutôt que nécessaire pour décrire cette caractéristique du service, il (resterait) que la marque est composée exclusivement de signes ou d'indications, même agencés d'une façon originale, pouvant servir, dans le commerce, pour désigner une caractéristique du produit ou du service pour laquelle la (demanderesse) entend l'enregistrer", et en statuant de la sorte, les juges du fond ont fait reposer leur décision, suivant laquelle la marque "Fund Market", à supposer même qu'on puisse lui reconnaître un caractère évocateur, serait dépourvue de tout caractère distinctif, sur une interprétation de l'article 6bis, 1, sous a) de la loi uniforme Benelux qui a tort implique que l'article 3, 1, c) et d) de la directive ajouterait une restriction à l'article 6, quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris, et en décidant ainsi que le Bureau Benelux des Marques avait à juste titre refusé l'enregistrement de la marque litigieuse, l'arrêt a violé toutes les dispositions légales visées au moyen »;
Mais attendu que sur la base des faits qu'ils ont constatés et de l'appréciation qu'ils en ont faite, les juges du fond ont pu, sans violer les dispositions légales visées au moyen, statuer comme ils l'ont fait;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli;
Sur le troisième moyen de cassation,
tiré « de la violation des articles ler, alinéa ler, 6bis, sous 1, littera a), 39 de la loi uniforme Benelux sur les marques, annexée à la Convention Benelux en matière de marques de produits signée à Bruxelles le 19 mars 1962, approuvée par la loi du 7 décembre 1966, 1'article 6bis tel que modifié par le Protocole du 2 décembre 1992, approuvé par la loi du 31 juillet 1995 et l'article 39 tel qu'inséré dans la loi uniforme par le Protocole du 10 novembre 1983, approuvé par la loi du 17 mai 1985, l'article 6, quinquies C.1. de la Convention d'Union de Paris pour la protection de la propriété industrielle du 20 mars 1883, telle que révisée à Stockholm le 14 juillet 1967 et approuvée dans cette dernière révision par la loi du 28 mars 1974, ler, 2 et 3.3 de la directive du Conseil des communautés européennes no 89/104 du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, et du manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué, pour justifier l'ensemble des dispositions attaquées, a écarté le moyen tiré par 1a demanderesse de la circonstance que la marque "Fund Market" coïncidait avec la dénomination sociale de l'usager de la marque (en l'occurrence, une filiale de la demanderesse), aux motifs que si "le nom commercial peut (...) constituer une marque", c'est "à la condition de remplir les conditions de validité d'une marque" et que "si, en l'espèce, la dénomination sociale "Fund Market" peut bénéficier de la protection telle que prévue à 1'article 25 (de la loi de 1915 sur les sociétés commerciales), il en est autrement de la marque "Fund Market" qui, elle, ne bénéficie pas de protection parce qu'elle est purement descriptive", alors que suivant l'article ler, alinéa ler, de la loi uniforme Benelux sur les marques, est considéré comme marque individuelle tout signe servant à distinguer les produits ou, en vertu de l'article 39 de la même loi, les services d'une entreprise; que le caractère distinctif exigé par ces dispositions doit permettre d'identifier à suffisance comme provenant d'une entreprise déterminée le ou les produits ou services pour lesquels le signe doit servir de marque; que, pour apprécier ce caractère distinctif, le Bureau Benelux des Marques, au moment où il statue sur l 'enregistrement du dépôt, doit prendre en considération toutes les circonstances de la cause; qu'il en va de même pour le juge saisi d'un recours contre un refus d'enregistrement; que parmi les circonstances dont tant le Bureau Benelux des Marques que le juge doivent tenir compte dans l'appréciation du caractère distinctif du signe déposé comme marque, il y a le fait que le signe est également la dénomination sociale ou le nom commercial de l'entreprise, autour du dépôt, ou de l'entreprise qui en fait ou en fera usage à titre de marque; d'où il suit que pour écarter le moyen déduit de "la circonstance particulière que la marque "Fund-Market" est également la dénomination sociale de l'usager", l'arrêt attaqué ne pouvait se borner à relever que la marque litigieuse "ne bénéficie pas de protection parce qu'elle est purement descriptive", ce qui s'analyse en une pétition de principe, mais était tenu d'examiner si cette circonstance n'était pas de nature, en l'espèce, à conférer à la marque "Fund Market" le caractère distinctif requis par l'article 1er, alinéa 1er, de la loi uniforme; qu'à défaut d'avoir procédé à cet examen, l'arrêt attaqué a insuffisamment motivé sa solution (manque de base légale) et n'a pas légalement justifié (violation des articles ler 6bis, et 39 de la loi uniforme Benelux sur les marques visés au moyen) sa décision »;
Mais attendu que les juges du fond relèvent que le nom commercial peut constituer une marque, mais à condition de remplir les conditions de validité d'une marque et que si en l'espèce la dénomination sociale "Fund-Market" peut bénéficier de la protection telle que prévue à l'article 25 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales, il en est autrement de la marque "Fund-Market" qui elle ne bénéficie pas de protection parce qu'elle est purement descriptive;
Qu'ainsi, ils ont, sans violer les textes de loi visés au moyen, légalement justifié leur décision;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli;
Par ces motifs :
rejette le pourvoi;
condamne la société anonyme BANQUE DE LUXEMBOURG aux frais de l'instance en cassation, dont distraction au profit de Maître Nicolas DECKER, avocat à la Cour, sur ses affirmations de droit.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Monsieur le président Marc THILL, en présence de Monsieur Jérôme WALLENDORF, avocat général et Madame Marie-Paule KURT, greffier à la Cour.