Numéro de requête 1998/AR/3122

Date
Instance
REC BE
Marque
kleur turkoois
Numéro de dépôt
Déposant
Belgacom n.v.
Texte

La COUR D'APPEL de Bruxelles, huitième chambre, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :

1998/RG/3122

DANS LA CAUSE DE :

La société anonyme de droit public BELGACOM, dont le siège social est à 1030 Bruxelles, Boulevard Emile Jacqmain 177 B, R.C.B. 587.163

Appelante,
Représentée par Me P. Maeyaert, avocat à 1081 Bruxelles, boulevard Léopold II 281

CONTRE :

Le BUREAU BENELUX DES MARQUES, administration commune aux pays du Benelux, institué en vertu de la Convention en matière de marques de produits, doté de la personnalité juridique, dont le siège est à 2591 XR La Haye, Pays-Bas, Bordewijklaan 15

Intimé,
Représenté par Me Chr. De Keersmaeker, avocat à 1050 Bruxelles, avenue Louise 200, et Me C. Van Nispen, avocat à 2596 AL La Haye (Pays-Bas), Zuid-Hollandlaan 7

***

Vu la requête, déposée au greffe de la Cour le 2 novembre 1998, par laquelle il est fait appel régulièrement et dans le délai de la décision du BUREAU BENELUX DES MARQUES du 3 septembre 1998, appel tendant à entendre condamner le BUREAU BENELUX DES MARQUES à enregistrer le dépôt n° 898.697;

L'instance préliminaire

Attendu que Belgacom a effectué le 4 août 1997 un dépôt Benelux n° 898.697 d'une marque figurative composée de la couleur turquoise pour une grande série de produits et services indiqués dans les classes 8, 35, 37, 38 et 42, qui se rapportent aux produits et services de télécommunication;

Attendu que le BUREAU BENELUX DES MARQUES, dénommé ci-après BBM, a refusé provisoirement l'enregistrement le 19 janvier 1998 en vertu de l'article 6bis, alinéa 3, de la LBM;

Que, par lettre du 17 juillet 1998, Belgacom a déposé réclamation à temps contre ce refus provisoire de l'enregistrement et s'est déclarée disposée, en ordre subsidiaire, à limiter son dépôt aux produits et services indiqués dans les classes 9 et 38;

Attendu que, par lettre du 13 août 1998, le BBM a explicité son point de vue et a constaté au surplus que le délai pour introduire des arguments contre le refus provisoire était expiré entre-temps;

Que, par décision du 3 septembre 1998, le BBM a refusé définitivement l'enregistrement après avoir considéré que ses objections n'avaient pas été levées;

La décision entreprise du BBM portant refus du dépôt n° 898.697.

Le refus provisoire:

Attendu que le BBM a refusé provisoirement l'enregistrement le 19 janvier 1998 pour les motifs suivants : "Etant donné qu'il est composé uniquement de la couleur turquoise, le signe est dépourvu de tout caractère distinctif au sens de l'article 6bis, alinéa premier, sous a, de la loi uniforme Benelux sur les marques, à moins que la consécration par l'uage puisse être démontrée par un usage intensif et de longue durée";

Attendu qu'il ressort de cette formulation que le BBM était initialement d'avis qu'une couleur, en soi, est dépourvue au départ de tout caractère distinctif et ne peut dès lors bénéficier d'une quelconque protection en droit des marques, à moins d'apporter la preuve que la couleur a déjà acquis un caractère distinctif au moment du dépôt pour les produits et services pour lesquels la couleur est déposée comme marque;

Qu'ainsi, selon le BBM, la preuve de la consécration par l'usage est une condition sine qua non pour obtenir l'enregistrement d'une marque composée d'une couleur simple, sans être assortie d'une forme;

Le refus définitif de l'enregistrement:

Attendu que, dans sa lettre du 13 août 1998, le BBM reconnaît qu'une couleur simple peut bénéficier de la protection du droit des marques en dehors du cas de la consécration par l'usage et revoit par conséquent son point de vue antérieur;

Attendu qu'il résulte de cette lettre que le BBM, s'agissant de la question de savoir si une couleur simple peut prétendre à la protection comme marque hormis le cas de la consécration par l'usage, adopte en général les points de vue suivants:

- pour qu'une couleur soit une marque, il est requis "que la couleur soit réellement perçue et identifiée comme marque par le public";

- une couleur simple n'aura pas souvent un caractère distinctif parce qu'une couleur sera généralement considérée comme un élément décoratif des produits ou services ou que la couleur sert de couleur de fond pour du matériel publicitaire";

- une couleur peut posséder au départ un caractère distinctif s'il s'agit d'une couleur socialement inhabituelle déposée pour un type spécifique de produit";

- la circonstance qu'une couleur n'est pas encore utilisée par les concurrents du déposant ne rend pas la couleur socialement inhabituelle pour autant;

- il n'y a une couleur socialement inhabituelle que "si un produit déterminé a normalement une couleur déterminée (par exemple: le fromage est jaune (ou blanc) et le déposant dépose une couleur différente pour ce produit (par exemple: violet)";

Attendu que le BBM constate à propos du dépôt litigieux n° 898.697 que "il n'y pas de couleur socialement inhabituelle qui est déposée pour un type de produit spécifique";

Que, de l'avis du BBM:

- il n'y pas de couleur socialement inhabituelle au motif que "Belgacom n'a nullement démontré, et l'on ne voit pas non plus en quoi la couleur turquoise est socialement inhabituelle en rapport avec les appareils et services de télécommunication et que, d'autre part, l'usage de couleurs (comme "eye catcher") n'est pas inhabituel en rapport avec la promotion des produits et services dans le domaine des télécommunications";

- il n'y a pas non plus de type de produit spécifique car le dépôt, même après la limitation proposée par Belgacom aux classes 9 et 38, "comporte toujours un grand nombre de produits et services dans le large domaine des télécommunications";

Attendu qu'il ressort de la lettre précitée du 13 août 1998 que le refus de l'enregistrement repose aussi sur la considération que Belgacom ne peut invoquer la consécration par l'usage de la couleur turquoise, d'une part, parce que, de l'avis du BBM, le public perçoit l'appellation BELGACOM ou le logo toujours utilisé dans les annonces et pour toutes sortes de produits (auxiliaires) comme étant une marque plutôt que la couleur, d'autre part, parce que l'usage de la couleur turquoise par BELGACOM a eu lieu exclusivement en Belgique;

En droit.

1. Attendu que l'on ne peut plus contester qu'une couleur simple puisse, dans certaines circonstances, être apte à remplir la fonction essentielle de la marque;

Attendu que l'article 1er, alinéa 1er, de la LBM n'énumère pas limitativement les signes pouvant servir de marque et n'exclut pas dès lors que même une couleur simple bénéficie, en soi, c'est-à-dire sans délimitation spatiale ou figurée, de la protection comme marque à titre de signe susceptible de représentation graphique; (Cour de Justice Benelux, 9 février 1977, Centrafarm/Beecham, Jur., 1975-1979, 27; Cour de Justice Benelux 9 mars 1977, ADG/Leeferink, Jur. 1975-1979, 48);

Attendu que la question de savoir si une couleur peut servir de marque a également reçu une réponse affirmative du Conseil CE et de la Commission CE au moment de l'adoption de la directive 89/104/CE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques (déclarations JO OHMI n° 5/96, p. 607, sous 2 (a)) et lors de l'adoption du règlement 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire (déclarations JO OHMI n° 5/96, p. 613);

Qu'il est constant que l'article 4 dudit règlement n'exclut pas la possibilité d'enregistrer une combinaison de couleurs ou une couleur distincte comme marque communautaire, ainsi qu'il a été décidé récemment par la troisième chambre de recours de l'OHMI à Alicante; (troisième chambre de recours de l'OHMI 12 février 1998 en cause R 7/97-3 Orange Personal Communications Services Ltd; 18 décembre 1998 en cause R 122/98-3 Wrigley JR Company; 22 janvier 1999 en cause R 169/1998-3, WM Wrigley JR Company);

Attendu que le BBM a dès lors eu tort d'induire du seul constat que le signe déposé par BELGACOM "est composé uniquement de la couleur turquoise" un argument pour sa thèse que "le signe est dépourvu de tout caractère distinctif", ainsi qu'il ressort de sa décision de refus provisoire du dépôt;

2. Attendu que dans le cadre de la question de savoir si un signe peut être enregistré comme marque, il importe uniquement d'examiner si le signe peut servir à distinguer les produits pour lesquels le signe est déposé comme signe distinctif, c'est-à-dire si, toutes les circonstances de la cause étant prises en considération, il possède un caractère tel qu'il est apte distinguer ces produits de produits similaires et à démontrer suffisamment leur provenance de l'entreprise;

Qu'il n'est pas permis de poser des exigences plus sévères ; (Cour de Justice Benelux, 16 décembre 1991, Burberrys/Bossi cs, Jur. 1991, p. 16);

Attendu que, ainsi qu'il ressort de l'article 1er , alinéa 1er, de la LBM, telle que cette

disposition a été interprétée par la Cour de Justice Benelux, il ne peut être requis que le public concerné soit réellement conscient que le signe a été expressément voulu par l'entreprise comme signe destiné à distinguer les produits pour lesquels le signe est utilisé et à indiquer leur provenance; (Cour de Justice Benelux 23 décembre 1985, Adidas/De Laet, Jur., 1985, 38; 16 décembre 1991, Burberrys/Bossi, Jur. 1991, 16);

Attendu que la circonstance, évoquée par le BBM dans sa lettre du 13 août 1998, que la couleur sera généralement considérée comme un élément décoratif des produits ou services ne fait pas encore obstacle en soi à ce que la couleur soit susceptible de protection comme marque;

Que, dans le cas d'espèce, il y a lieu d'examiner si le public percevra la couleur, malgré la protection qui lui serait accordée comme marque, comme un élément purement décoratif, dépourvu dès lors de caractère distinctif, ou bien si le public pourra identifier les produits, en raison de leur couleur, comme provenant d'une entreprise, en sorte que la couleur, encore que plutôt perçue comme un élément décoratif, possède un caractère distinctif suffisant pour pouvoir être considérée comme une marque;

Que, en effet, un signe peut servir de marque lorsqu'il évoque, dans l'esprit du public concerné, l'origine des produits ou services;

Attendu qu'il convient de rappeler en l'occurrence qu'est sans pertinence en l'espèce la circonstance qu'une couleur simple ne fasse pas connaître, par elle-même, l'entreprise concernée dont proviennent les produits ou services;

Que, en effet, le prescrit du caractère distinctif ne signifie pas que le public doit être mis en mesure d'identifier l'entreprise dont proviennent les produits et services;

Qu'il suffit que le signe permette au public d'identifier les produits comme provenant d'une seule entreprise et non de plusieurs entreprises;

4. Attendu que, comme l'estime le BBM dans sa lettre du 13 août 1998, "une couleur est généralement dépourvue de caractère distinctif";

Attendu que BELGACOM attaque à bon droit cette conception du BBM, qui est retenue comme principe à la base de la décision entreprise, comme étant un parti pris sur l'incapacité d'une couleur à servir de marque qui n'est guère conciliable avec la retenue et la circonspection dont le Bureau doit s'entourer dans sa politique de contrôle, conformément à l'exposé des motifs

des gouvernements auquel il est fait référence au point 8 des "Directives concernant les critères de refus des marques pour motifs de nullité absolus":

"... la politique de contrôle du BBM (...) devra être une politique de circonspection et de retenue, tenant compte de tous les intérêts de la vie économique et visant uniquement à faire régulariser ou à refuser les dépôts manifestement inadmissibles. Il va sans dire que l'examen restera dans les limites tracées par la jurisprudence établie dans le Benelux, spécialement celle de la Cour de Justice Benelux";

Attendu que la conception selon laquelle une couleur est généralement dépourvue de tout caractère distinctif ne trouve aucun appui dans la jurisprudence de la Cour de Justice Benelux qui "rejette tout a priori concernant la capacité de protection des signes"; (Prof. Eeckman, Kleur, Kleurcombinatie of tint als merk, R.W. 1977-1978, p. 1168);

Que la Cour a bien affirmé qu'il résulte de l'ensemble des règles contenues dans l'article 1er de la LBM - à savoir l'exigence du caractère distinctif posée à l'alinéa 1er et les exceptions prévues à l'alinéa 2 - qu'une couleur simple ne sera pas souvent susceptible de la protection légale mais qu'elle n'a nullement exprimé par là un quelconque préjugé sur le point de savoir si une couleur possède un caractère distinctif au sens de l'alinéa premier; (Cour de Justice Benelux, 9 février 1977, Centrafarm/Beecham, Jur., 1975-1979, 27 (affaire A 76/1) Cour de Justice Benelux, 9 mars 1977, ADG/Leeferink, Jur., 1975-1979, 48 (affaire A 76/2));

Que dans les deux décisions prémentionnées, relatives à l'exigence du caractère distinctif, la Cour a rappelé au contraire que la satisfaction de cette exigence par une combinaison de couleurs ou une couleur simple dépendra des circonstances et constitue donc une question de fait;

Que, dans l'affaire A 76/1, la Cour a dit que pour une combinaison de couleurs ou une couleur simple, l'aptitude à identifier les produits comme provenant d'une entreprise détpendra des circonstances et, en outre:

- que cette aptitude naîtra d'autant moins facilement que l'utilisation de la combinaison de couleurs est plus usuelle dans la vie courante et que la variété des produits pour lesquels elle doit servir de signe caractéristique est grande;

- qu'une couleur simple se prêtera plus difficilement à l'identification susvisée;

Que, dans l'affaire A 76/2, la Cour a ajouté que la réponse à la question de savoir si, dans un cas concret, une couleur peut remplir les fonctions essentielles d'une marque peut différer selon que la couleur est utilisée pour un groupe spécifique de produits ou que cette couleur est utilisée pour distinguer les produits d'une entreprise dont les activités s'étendent à un grand

nombre de produits de type différent, sans que, au demeurant, le nombre de classes de produits selon la classification internationale des produits soit d'une importance décisive;

Que pour interpréter l'article 1er, alinéa 1er, de la LBM, la Cour ne se base ainsi nullement sur le principe qu'une couleur ne satisfera qu'exceptionnellement à la condition du caractère distinctif, pas plus qu'elle n'a établi en règle générale qu'une couleur n'est susceptible d'être protégée comme marque que s'il s'agit d'une couleur socialement inhabituelle pour une catégorie spécifique de produits;

Que la Cour a donné en termes très nuancés des directives pour l'appréciation du caractère distinctif d'une couleur dans un cas concret, tout en rappelant que le caractère banal d'un signe l'empêche d'être protégé comme marque et que le caractère distinctif d'un signe ne doit pas être examiné en soi, mais en relation avec les produits pour lesquels le signe est utilisé;

Attendu que pour étayer sa thèse qu'une couleur est généralement dépourvue de caractère distinctif, le BBM se réfère par ailleurs aux décisions récentes de la troisième chambre de recours de l'OHMI, en particulier à la considération que "Les consommateurs n'ont pas pour habitude de présumer de l'origine des produits en se basant sur leur couleur ou la couleur de leur emballage, en l'absence d'un élément graphique ou textuel, parce qu'une couleur en soi n'est pas, en principe, utilisée comme moyen d' identification", la troisième chambre de recours en déduisant qu'une couleur ne peut pas normalement remplir les fonctions essentielles d'une marque; (troisième chambre de recours OHMI, en cause R 122/98-3, 18 décembre 1998 et cause R 169/1998-3, 22 janvier 1999 ("Consumers are not accustomed to making an assumption about the origin of goods on the basis of their colour or the colour of their packaging, in the absence of a graphic or textual element, because a colour per se is not normally used as a means of identification in practice"));

Attendu que la capacité d'un signe à servir de marque ne peut cependant pas être appréciée en fonction de la question de savoir si le signe appartient à une catégorie de signes qui sont souvent utilisés en pratique comme signe de provenance, de sorte que la considération suivant laquelle les couleurs, contrairement à d'autres catégories de signes comme les appellations, dessins, lettres, formes ou signes complexes ne sont pas souvent utilisées en pratique comme moyen d'identification n'est pas pertinente en l'espèce et ne dit rien du caractère distinctif d'une couleur en relation avec des produits ou services déterminés d'une entreprise;

Attendu que la capacité d'un signe à servir de marque ne peut pas davantage être

appréciée en fonction de la question de savoir si le public, en général, est déjà habitué à observer comme des signes de provenance des signes appartenant à la même catégorie que le signe concerné, de sorte que la considération suivant laquelle le public n'a pas pour habitude de présumer de l'origine des produits en se basant sur leur couleur ou la couleur de leur emballage n'a pas le moindre intérêt;

Que pour apprécier la capacité d'une couleur à servir de signe de provenance, on ne peut pas imposer des exigences plus sévères que celles qui sont admises pour d'autres signes;

Qu'il ne peut pas être requis en l'espèce de démontrer que l'utilisation de couleurs comme signes de provenance est usuelle dans la pratique ou que le public a déjà eu l'occasion de présumer de l'origine des produits en se basant sur leur couleur en l'absence d'un élément graphique ou textuel;

5. Attendu que pour apprécier le caractère distinctif d'un signe ab initio, il doit être présumé que la couleur sera utilisée comme une marque autonome par le déposant et non comme un élément purement décoratif ou comme un élément non autonome d'une combinaison;

Que la constatation suivant laquelle, dans la pratique, une couleur est généralement utilisée en combinaison avec d'autres signes comme un élément graphique ou textuel, qui réalise l'identification des produits comme provenant d'une entreprise, la conséquence étant que la couleur est rarement perçue comme une marque autonome, n'est dès lors pas pertinente;

Qu'il s'ensuit qu'il convient d'écarter toute conjecture sur le point de savoir si le public reconnaîtra et percevra réellement la couleur comme une marque, qui serait faite en partant de l'hypothèse que la couleur sera utilisée en combinaison avec d'autres signes, de même que toute conclusion concernant l'usage réellement envisagé du signe qui serait tirée de la façon dont il a été utilisé par le déposant à l'époque de la demande;

Qu'en considérant que le public ne perçoit pas souvent une couleur comme une marque mais identifie un produit ou service à partir du nom ou du logo, le BBM fait à tort des suppositions sur la façon dont le signe sera réellement utilisé et donne ainsi à penser qu'il est d'avis qu'une couleur, en soi, n'est nullement apte à remplir la fonction essentielle d'une marque, en l'absence d'autres signes;

6. Attendu que BELGACOM soutient à bon droit qu'il n'y a aucune raison de considérer qu'une couleur ne serait généralement pas apte à faire office d'indication de provenance des

produits et à être perçue et identifiée comme telle par le public;

Attendu que, comme le montre l'expérience générale, les couleurs, au sens le plus large du mot tel qu'il est compris dans le langage courant, c'est-à-dire sans distinction d'ordre scientifique entre les couleurs primaires, secondaires et tertiaires à l'intérieur du groupe des couleurs chromatiques et comprenant toutes les teintes de ces dernières et tout l'éventail par teinte des nuances avec leur intensité différente, de même que les couleurs achromatiques (blanc, noir et gris), procurent des informations très précises à cause de leur nombre incroyablement grand et permettent ainsi à l'homme d'apercevoir très vite la présence de choses et de distinguer et identifier les choses;

Que dans la chaîne de traitement de l'information dans le cerveau, la couleur, captant l'attention, produit même l'effet d'un premier signal, suivie par les symboles et les figures et puis par les mots;

Que, dès lors, la Cour ne peut se rallier à la thèse adoptée par la Cour de La Haye dans son ordonnance du 4 juin 1998 en cause de LIBERTEL (BIE 1998/48) et reprise en l'espèce par le BBM, que les couleurs sont affligées d'un "handicap" pour servir de marque car les couleurs sont dépourvues de caractéristiques d'identification supplémentaires et sont à ce titre "trop générales";

Que le caractère très simple d'un signe, comme une couleur, ne rend pas ce signe impropre comme marque;

Que, vu notamment le caractère ouvert de l'énumération des signes à l'article 1er, alinéa 1er, de la LBM, il faut partir par conséquent du principe que les couleurs sont équivalentes à des signes et que la décision sur l'inadmissibilité du dépôt d'une couleur par défaut de caractère distinctif peut uniquement s'appuyer sur l'analyse des circonstances propres à la cause et ne saurait être motivée par un préjugé quelconque concernant l'incapacité des couleurs à servir de marque;

7. Attendu que la question de l'étendue de la protection de la marque est sans intérêt pour la question de savoir si le signe, ab initio, est de nature à servir de marque;

Que, dès lors, pour l'admissibilité du dépôt d'une couleur en soi, il est sans pertinence d'examiner si la protection de la marque constituée d'une couleur est limitée à la couleur spécifique dont la reproduction est jointe au formulaire du dépôt ou s'étend au contraire aux teintes voisines et serait utilisée pour faire obstacle à une demande pour des reproductions, illustrations ou marques verbales contenant une couleur identique ou comparable, pour des produits ressemblants;

Que pour étayer sa décision, le BBM exprime la crainte que l'octroi de la protection de

la marque à une couleur simple pourrait permettre à quelques concurrents de "monopoliser ensemble le spectre des couleurs";

Que le BBM, ainsi, non seulement préjuge de l'étendue de la protection de la marque qui serait accordée à une couleur simple, mais surtout perd de vue que l'exercice des droits liés à la protection de la marque ne peut conduire à des abus de droit, ainsi qu'il ressort de l'article 13, A, 6, de la LBM, et ne peut en particulier avoir pour effet d'éliminer la concurrence;

Que l'on aperçoit pas, d'autre part, en quoi l'usage d'une couleur bien définie comme marque autonome pourrait éliminer ou limiter la concurrence, à moins que l'on ne ramène le nombre de couleurs disponibles à six à l'instar du BBM et que l'on n'oublie l'existence d'autres signes disponibles;

Qu'en ce qui concerne le nombre de couleurs disponibles, l'estimation doit se faire d'un point de vue optique et pratique et non en fonction d'une conception scientifique de la notion "couleur";

Que, comme le montre l'expérience, le nombre de couleurs que des yeux normaux peuvent percevoir est quasi infini d'un point de vue optique et pratique;

Qu'à titre d'exemple, on peut noter qu'un scanner ordinaire peut lire et reproduire près de 16 millions de couleurs;

Que le caractère infini du nombre de couleurs a d'ailleurs été reconnu par la troisième chambre de recours de l'OHMI, en ce que cette chambre constate que le mot "orange" vise un nombre incalculable de teintes et, pour ce motif, a considéré le dépôt comme irrégulier en l'absence d'une représentation graphique de la couleur; (12 février 1998 en cause R 7/97-3, motif 12: This applies especially to colours since an uncountable number of different colour shades, ranging in the specific case from dark to light and from the yellowish to the reddish tones, are conceivable which would all fall under the wide generic terme "orange");

8. Attendu que dans le formulaire de dépôt, BELGACOM a fourni une représentation graphique de la couleur turquoise qu'elle veut voir protéger comme marque, laquelle permet de distinguer toutes les caractéristiques de la couleur concernée selon sa teinte, son éclat et son intensité;

Que le caractère distinctif du signe est uniquement requis à l'égard de cette couleur bien définie et ne doit pas être examiné en tenant compte de toutes les couleurs ou teintes possibles

qui pourraient tomber sous l'appellation "turquoise";

Attendu que rien ne révèle que la couleur déposée comme marque est devenue usuelle dans les habitudes loyales et constantes du commerce pour les appareils et services de télécommunication et devrait être, à ce titre, considéré comme inadmissible en tant que signe banal dénué de caractère distinctif;

Que le BBM fait état, dans le domaine des produits et services de télécommunication, de l'usage d'une couleur vert clair déposée comme marque Benelux par la NV Koninklijke PTT Nederland, de la couleur orange par Libertel Groep BV, établies aux Pays-Bas, et de la couleur violette par Belgacom Mobile;

Que le BBM ne conteste pas que la couleur turquoise n'a pas encore été utilisée dans le domaine des télécommunications, si ce n'est par BELGACOM elle-même depuis 1993;

Que le BBM exige cependant que la couleur soit "socialement inhabituelle" et prétend qu'il appartient à BELGACOM de démontrer que tel est le cas en l'espèce;

Attendu que le BBM déduit le "caractère inhabituel" d'une couleur uniquement du constat que la couleur concernée diffère de la couleur normale du produit et cite comme exemples:

- le violet pour le fromage qui est jaune ou blanc par nature;

- le rouge pour le sel de cuisine qui est gris par nature et blanc dans le commerce;

Attendu que cette approche qui est valable pour des produits ayant une couleur naturelle en raison de leurs propriétés ou de leur composition peut cependant difficilement s'appliquer à des produits ou services "incolores" dont la couleur est déterminée au choix de l'entreprise;

Que pour des produits ou services "incolores", on peut difficilement exiger, à défaut de couleur naturelle, que le déposant démontre que la couleur déposée comme marque diffère de la couleur naturelle de ces produits ou services;

Attendu qu'il suit de ce qui précède que la décision de refus du dépôt pour défaut de caractère distinctif ne peut nullement s'appuyer sur le constat que "Belgacom n'a nullement démontré, et l'on ne voit pas non plus en quoi la couleur turquoise est socialement inhabituelle en rapport avec les appareils et services de télécommunication";

Attendu que le constat que le dépôt couvre (encore) un grand nombre de produits et

services dans le large domaine des télécommunications (même après la limitation proposée aux classes 9 et 38) ne peut pas davantage justifier un refus;

Qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice Benelux qu'il n'y a pas lieu de tenir compte du nombre de classes de produits suivant la classification internationale des produits;

Que, par ailleurs, la protection comme marque ne peut pas être refusée sur le fondement du seul constat que BELGACOM étend son champ d'activité à un grand nombre de produits de type différent et que la couleur turquoise est utilisée pour ce grand nombre de produits et services;

Que les conditions légales sont identiques aussi bien pour un "groupe spécifique de produits" que pour un plus grand nombre de produits;

Qu'il revenait au BBM d'indiquer pourquoi, dans ce cas spécifique, ce constat était de nature déterminante pour refuser l'enregistrement;

Que la Cour constate que le BBM néglige de le faire même dans le cadre de la présente procédure;

Qu'en l'espèce, les produits et services concernés, avec leurs éléments, pièces et accessoires appartiennent au groupe spécifique des appareils et services de télécommunication et, malgré la longue énumération de produits et services dans les classes indiquées, tirent leur spécificité et leur caractère général de la spécificité de l'activité concernée;

Attendu que vu la nature des produits et services concernés qui ne tirent ou ne tirent guère leur valeur ou leur attrait de leur aspect ou de leur caractère esthétique éventuel mais bien de leur caractère utilitaire, il ne peut pas être affirmé avec une certitude suffisante que le public concerné percevra la couleur turquoise de BELGACOM comme un élément purement décoratif;

Que, au contraire, il est très plausible que le public soit conscient que la couleur n'a pas été apposée aux fins de décorer les produits concernés mais bien comme signe d'identification de la provenance de l'entreprise, d'autant plus que le signe serait utilisé pour nombre de produits et services très variés qui ont en commun d'être en rapport avec les techniques de télécommunication;

Attendu qu'il faut décider dès lors que pour le public concerné, à savoir le public très large qui peut être confronté au signe, la couleur turquoise bien définie objet du dépôt litigieux est

propre à remplir la fonction essentielle de la marque, du moins que le BBM n'a pas de juste motif pour refuser l'enregistrement;

Attendu que la question de savoir si BELGACOM peut invoquer la consécration par l'usage ne se pose dès lors plus;

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 relative à l'emploi des langues en matière judiciaire;

Se déclare compétente en vertu de l'article 6 ter de la LBM;

Déclare la demande recevable et fondée;

Condamne le BBM à l'enregistrement du dépôt n° 898.697 pour les classes 9, 35, 37, 38 et 42;

Condamne le BBM aux dépens, taxés à 7.500 fr + 16.400 fr dans le chef de l'appelante et à 16.400 fr dans le chef de l'intimé;

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique civile ordinaire de la huitième chambre de la Cour d'appel de Bruxelles le 28-09-1999

en présence de

- Mme VAN CAUWELAERT, président,
- M. RAES ET Mme SCHURMANS, conseillers,
- Mme DE ROOCK, greffier.

, statuant contradictoirement,