Numéro de requête 2008/AR/2675

Date
Instance
REC BE
Marque
SERVERSCHECK
Numéro de dépôt
Déposant
BVBA SERVERSCHECK
Texte

No. de la requête 2008/AR/2675

Prononcé 22.09.2009

La COUR D’APPEL DE BRUXELLES,
18e CHAMBRE

Après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant

R.G. N° 2008/AR/2675

DANS LA CAUSE DE :

SPRL SERVERSCHECK, société de droit belge, dont le siège social est à 3001 HERVERLEE, Ter Elslaan 2, enregistrée dans la BCE sous le numéro 0862.898.142 ;
Requérante,
Représentée par Me R. VAN WERDE loco Me Johan DURNEZ, avocat à 3050 OUD-HEVERLEE, Waversebaan 134A ;

CONTRE :

L’ORGANISATION BENELUX DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE, dont le siège est établi à 2591 XR LA HAYE (PAYS-BAS) , Bordewijklaan 15,
Partie défenderesse,
Représentée par Me DAUWE Brigitte, avocat à 1000 BRUXELLES, rue de Loxum 25,

Quant à la procédure

01. Par l’acte introductif, la cour est saisie en application de l’article 2.12.1 de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (CBPI) du 25 février 2005.

Le recours est dirigé contre la décision de radiation de l’enregistrement d’un dépôt de marque, qui a été notifiée par lettre du 29 août 2008 par l’Office Benelux de la Propriété intellectuelle (OBPI).

02. La requête a été déposée le 20 octobre 2008 au greffe de la cour.

03. Les avocats des parties ont été entendus à l’audience publique du 02 juin 2009.

Les faits et l’objet de la demande

04. La demanderesse a déposé le 04 septembre 2007 une marque verbale SERVERSCHECK en vue de son enregistrement comme marque pour des services dans la classe administrative 42.

Les services pour lesquels la protection de la marque est demandée ont été décrits comme suit : ‘services scientifiques et technologiques, ainsi que services de recherche et de création connexes ; services dans le domaine de l’analyse industrielle et de la recherche industrielle, conception et développement d’ordinateurs et de logiciels.’

Le dépôt s’est vu attribuer le numéro 1142364 et a été enregistré le 23 novembre 2007 sous le numéro 0829969 en application de la procédure accélérée visée à l’article 2.8 CBPI.


05. Le signe déposé est un signe verbal sans autre prétention et se présente de la manière suivante :


SERVERSCHECK

06. Par lettre du 20 décembre 2007, l’OBPI a notifié au conseil de la demanderesse que l’enregistrement du signe était refusé provisoirement et qu’il serait radié pour le motif suivant en application des articles 2.8, alinéa 2, et 2.11 de la CBPI :

‘Le signe SERVERSCHECK est descriptif. Il est composé du terme générique server(s) et de la forme verbale check. Ceux-ci peuvent servir à désigner l’espèce, la qualité et/ou la destination des services mentionnés dans la classe 42. Le syntagme formé est également descriptif. Le signe est en outre dépourvu de caractère distinctif. Nous nous référons à l’article 2.11, alinéa 1er, sous b et c, CBPI. Le matériel que vous avez produit a été étudié et a été jugé insuffisant pour démontrer que le signe a été consacré comme marque par un usage long et intensif avant la date de dépôt auprès du public concerné dans le Benelux (voyez entre autres l’arrêt CJCE de Luxembourg du 4 mai 1999 en cause Chiemsee (affaires C-108/97 et C-109/97).’

Le renvoi aux dispositions conventionnelles citées concerne les cas de défaut de caractère distinctif (2.11.1.b) et de la circonstance que la marque est composée exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l'époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d'autres caractéristiques de ceux-ci (2.11.1.c).

07. Par lettre du 08 janvier 2008, le conseil de la demanderesse s’est opposé à ce refus provisoire avec radiation subséquente et a fourni une documentation détaillée concernant la notoriété générale de la marque Serverscheck, qui , selon la demanderesse, a été consacrée par l’usage auprès du public concerné dans le Benelux.

Dans ce contexte, il a été allégué : Serverscheck a été adopté le 29 juillet 2004 comme raison sociale et est utilisé comme nom commercial. Serverscheck est spécialisé dans les logiciels destinés au monitoring, à l’établissement de rapports et à l’avertissement concernant la disponibilité de serveurs et d’appareils de réseau. Son public se compose aussi bien d’utilisateurs professionnels de réseau (principalement les gestionnaires de réseau) que de simples particuliers qui ont un besoin spécifique des produits logiciels tels que ceux offerts par Serverscheck. La notoriété de l’entreprise et des services de Serverscheck ressort très clairement, selon la demanderesse, de : la mention sur wikipedia (…), de 121.000 liens via la recherche Google et le nom de domaine dans 52 pays.

08. Par une lettre du 26 mars 2008, l’OBPI a fourni des explications sur son point de vue qu’il a maintenu au demeurant sans restriction.

Il a d’abord abordé de manière plus approfondie le caractère descriptif de la marque, se référant à l’arrêt Postkantoor (CJCE 12 février 2004, C-363/99) et a soutenu que l’intérêt général commande que les signes ou dénominations pouvant servir à désigner les caractéristiques des produits ou services pour lesquels l’enregistrement est demandé doivent rester librement disponibles. Se référant au commentaire de l’activité de la demanderesse, il a relevé que le signe déposé est descriptif pour ses services.
Il a dit que l’ensemble ne change rien à l’impression des éléments descriptifs et n’est rien de plus que la somme de ces éléments. Les éléments ‘additionnels’ requis font défaut.

Il a abordé ensuite la consécration par l’usage alléguée et le caractère distinctif puisé dans cette consécration par l’usage. L’usage du signe devrait avoir comme conséquence que le public perçoit aussi le signe comme une marque.
Son point de vue est que les pièces justificatives produites par la demanderesse sont insuffisantes. Les pièces justificatives attendues sont selon l’OBPI : la part de marché de la marque, l’intensité, la diffusion géographique et la durée de l’usage, l’étendue des frais de publicité exposés, le pourcentage des milieux concernés qui identifient les produits sur base du signe comme provenant de l’entreprise déterminée de même que des attestations de chambres de commerce ou d’industrie ou d’associations professionnelles.
Il a relevé également, se référant à l’arrêt Europolis (CJCE 7 septembre 2006, C-108/05) que s’agissant d’un signe en langue anglaise, la consécration par l’usage doit être démontrée pour l’ensemble du territoire du Benelux, à savoir tout le territoire régi par le motif de refus.


09. Le conseil de la demanderesse a contesté à son tour l’appréciation par l’OBPI des faits qu’il a allégués par une lettre du 11 juin 2008.

Sa critique concernait principalement l’élément suivant : aucune entreprise ne s’est opposée à l’attribution du nom de domaine au niveau des toplevels ‘eu.’ et ‘asia.’ et de 52 pays. Ceci implique que ‘serverscheck’ est reconnu comme un service exclusif et que le signe a acquis un caractère distinctif avant la date du dépôt.
Il a confirmé encore que le public concerné perçoit bien la combinaison verbale comme une indication exclusive des services et qu’il voit davantage dans la marque que ‘les serveurs sont contrôlés’. Dans ce contexte, il allègue qu’un appel intensif est fait aux services de l’entreprise Serverscheck, que des budgets sont consacrés à la publicité et que, de ce fait, le chiffre d’affaires a augmenté à l’échelle mondiale.
Enfin, il affirme encore que la combinaison des deux mots par la lettre ‘s’ est unique et il a cité dans ce contexte les arrêts SAT.1 (16 septembre 2004), Biomild (15 septembre 2005) et EUROHYPO (08 mai 2008) de la CJCE.


10. Egalement sur ces éléments, l’OBPI a répondu négativement le 13 août 2008 en confirmant que les données en matière de consécration par l’usage sont restés insuffisantes et que la mention que le ‘s’ n’avait rien d’unique, étant donné qu’il produit la forme plurielle de server(s).

La décision définitive de refus a suivi le 29 août 2008, en faisant référence pour la motivation à la correspondance échangée précédemment. La conclusion a été que les objections n’ont pas été levées dans le délai imparti.


Les points de vue des parties

11. Devant la cour, la demanderesse réitère contre la décision de refus les objections qu’elle a formulées pendant la procédure d’enregistrement.

S’agissant du caractère distinctif, elle relève les faits concrets suivants qui démontrent à ses yeux ce caractère : un ordre de recherche avec le moteur Google sur le terme ‘serverscheck’ donne 207.000 résultats et si le résultat est axé sur le Benelux, on obtient 1.190 résultats qui portent tous sur son entreprise ; elle en déduit que la marque verbale a manifestement un caractère distinctif.

Le prétendu caractère descriptif de la marque est, selon elle, contredit par le fait que la lettre ‘s’ entre ‘server’ et ‘check’ produit une combinaison de mots inhabituelle, de sorte que le mot n’est pas ‘grammaticalement correct’. Elle relève aussi que l’OBPI a accepté précédemment des marques similaires à l’enregistrement comme ‘MAIL MONITOR’,’FISCALE MONITOR’, ‘HEALTH SERVER’ et ‘SOUND CHECK’ ; des signes qui seraient sensiblement plus descriptifs que ‘SERVERSCHECK’.

A l’appui de sa thèse que sa marque est consacrée par l’usage, elle allègue ce qui suit : selon des résultats indiqués par Google, le terme ‘serverscheck’ a été recherché près de 15.000 fois sur une période d’un an ; le public cible a élu en mars 2008 ses produits au sixième rang dans la catégorie ‘network monitoring solution’ et en 2009 même le meilleur produit ; cette reconnaissance est le résultat d’un usage intensif et de longue durée du nom de marque et d’efforts de marketing considérables ; la demanderesse dispose du nom de domaine ‘serverscheck’ dans 52 pays et personne ne s’est signalé dans ce contexte pendant la période d’attribution.


12. Ce faisant, la requérante demande de déclarer sa demande recevable et fondée et d’ordonner à l’OBPI de procéder à l’enregistrement du signe déposé sous le numéro 1142364 pour les services indiqués en classe 42.

Elle demande encore de condamner l’OBPI au paiement des frais de procédure, qui sont fixés à 1.386 euros, en ce compris 1.200 euros d’indemnité de procédure.


13. S’agissant du caractère descriptif, l’OBPI objecte que les deux éléments du signe verbal déposé appartiennent à la langue néerlandaise, même s’ils proviennent de l’anglais. Le mot ‘server’ est par définition ‘lié à l’ordinateur’ et connu dans le jargon, tandis que ‘check’ est notoirement connu et courant et représente ‘contrôle, vérification, test, analyse’.
Les deux mots peuvent être utilisés, selon lui, pour indiquer maintenant ou à l’avenir l’espèce, la qualité ou la destination des services concernés.

L’Office conteste que le signe serait plus que la jonction de deux mots ou autrement dit que la jonction produirait un résultat qui donne à l’ensemble un aspect inhabituel au sens sémantique ou syntaxique.
Il ne fait aucun doute à ses yeux que le public concerné ne peut percevoir le signe autrement que comme dans le sens de ‘contrôle de serveurs’.


14. S’agissant de la prétendue consécration par l’usage, l’OBPI relève qu’on ne peut pas tenir compte d’éléments qui sont avancés après la date du dépôt le 4 septembre 2007.
L’Office maintient aussi son point de vue que l’on ne saurait déduire des éléments admissibles qu’un usage intensif et de longue durée du signe lui a conféré le statut de ‘marque’ pour les services offerts par la demanderesse.
Il souligne encore que la demanderesse doit démontrer que la consécration par l’usage a eu lieu sur l’ensemble du territoire Benelux, dès lors que ce dernier constitue le territoire sur lequel existe le motif de refus.

Enfin, il soutient aussi que le fait que d’autres signes, prétendument non distinctifs, ont été enregistrés comme marque ne permet de déduire rien de pertinent à l’égard de la demande d’enregistrement pour le signe ‘serverscheck’. Du reste, il relève que toutes les marques citées par la demanderesse ont été enregistrées avant le 1er janvier 1996, date à laquelle le contrôle préventif des motifs de refus absolus a fait son entrée.


15. L’OBPI conclut dès lors que le recours est non fondé en sorte qu’il convient de rejeter la demande visant l’annulation de la décision contestée et l’injonction à l’OBPI d’enregistrer le dépôt.

Il demande la condamnation de la demanderesse au paiement de 1.200 euros d’indemnité de procédure.


Appréciation

A. Les principes applicables

16. Concernant l’examen de l’enregistrement d’une marque, la Cour de justice CE (arrêts en cause Koninklijke PTT Nederland ‘Postkantoor’ du 12 février 2004, C-363/99, points 31, 35, 36 et 73, et en cause MT & C ‘The Kitchen Company’ du 15 février 2007, C-236/05, points 31 à 36), a décidé que les autorités nationales de marques doivent prendre en considération notamment les principes suivants qui sont pertinents dans le cas présent :

- l’examen du caractère distinctif doit être effectué in concreto, en prenant en considération tous les faits et circonstances pertinents de la demande d’enregistrement et l’appréciation de ces faits et circonstances pertinents doit s’effectuer au moment où une décision définitive est prise sur la demande ;

- la vérification doit se faire pour chacun des produits ou services et l’autorité compétente peut, le cas échéant, aboutir à des conclusions différentes selon les produits ou services considérés ;

- la conclusion doit être mentionnée pour chacun des produits et services indiqués, mais lorsque le même motif de refus est opposé pour une catégorie ou un groupe de produits ou de services, une motivation globale peut suffire.


17. S’agissant de la mission des juridictions saisies d’un recours contre une décision prise par l’OBPI portant refus d’un enregistrement, la Cour de Justice Benelux a décidé que seuls peuvent être pris en considération les éléments sur lesquels l’OBPI a fondé ou aurait dû fonder sa décision en sorte que ces juridictions ne peuvent donc pas statuer sur des prétentions qui sortent du cadre de la décision de l’OBPI ou qui ne lui ont pas été soumises (CJB, arrêt du 15 décembre 2003, BBM/Vlaamse Toeristenbond, www.courbeneluxhof.be).

Dans le cadre des prétentions soumises à l’OBPI, la cour doit tenir compte de tous les faits et circonstances que le déposant allègue pour démontrer que le signe répond bien aux conditions d’enregistrement. Pour l’exercice du contrôle de fond, il est indifférent que les faits et circonstances concernant un fondement présenté dans la procédure d’enregistrement ont été ou non invoqués dans cette procédure d’enregistrement (CJB, 29 juin 2006, en cause Bovemij Verzekeringen / Bureau Benelux des Marques).


18. Le motif de refus visé à l’article 2.11.1b CBPI qui concerne l’absence de caractère distinctif correspond à celui qui est institué par l’article 3.1. b) de la directive CE du 21 décembre 1988 (89/104/CE) rapprochant les législations des états membres sur les marques.
Le motif de refus absolu mentionné à l’article 2.11.1 c CBPI qui concerne les signes ou dénominations descriptifs correspond à celui qui est institué par l’article 3, 1.c) de la directive précitée.

Les deux notions doivent donc être comprises dans le sens qui leur est donné en droit communautaire par la Cour de justice.

19. L’examen du caractère distinctif du signe pour lequel la protection de la marque est demandée doit prendre en considération le signe tel qu’il est déposé et en fonction des produits et services pour lesquels l’enregistrement est demandé.

Ceci implique qu’il doit être apprécié en tant que tel dans son ensemble, ce qui ne veut pas dire que les éléments constitutifs éventuels qui peuvent y être identifiés ne peuvent pas constituer en soi un élément d’appréciation (CJCE 30 juin 2005 en cause Eurocermex, C-286/04, points 22 et 23 ; CJCE 25 octobre 2007, en cause Develey, point 82).
La perception globale de la marque par le public pertinent est déterminante et il n’y a pas de présomption que des éléments dépourvus isolément de caractère distinctif ne peuvent, une fois combinés, présenter un tel caractère (CJCE 08 mai 2008, en cause Eurohypo, C-304/06 P, point 41).

S’il s’agit d’un signe descriptif au sens de l’article 3, 1. C) de la directive, l’examen du signe ou de ses éléments constitutifs doit s’effectuer en outre à la lumière de leur signification dans le langage courant dans l’optique de la désignation même des produits et services ou de leurs caractéristiques essentielles.


20. Selon la jurisprudence constante de la cour, la notion de ‘caractère distinctif’ doit être comprise en ce sens qu’une marque doit être apte à identifier les produits ou services pour lesquels l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et à les distinguer de ceux d’autres entreprises (CJCE 04 mai 1999 en cause de Windsurfing Chiemsee, C-108/97 et C-109/97, point 49 ; CJCE 20 juin 1999 en cause Lloyd Schuhfabrik Meyer, C-42/97, point 22 ; CJCE 18 juin 2002 en cause Philips, C-299/99, point 35 ; CJCE 08 avril 2003 en cause Linde & Winward, C-53/01 & C-55/01, point 40 ; CJCE 25 octobre 2007, en cause Develey, C-238/06, point 79 ; CJCE 08 mai 2008, en cause Eurohypo, C-304/06 P, point 54).

En d’autres termes, lorsqu’un signe, par défaut de fonction d’identification, ne permet pas au public concerné de répéter une expérience d’achat, si elle s’avère positive, ou de l’éviter, si elle s’avère négative, lors de l’acquisition ultérieure des produits ou services, il ne possède aucun caractère distinctif (TPI CE, 12 mars 2008, affaire Compagnie SAS, T-341/06, point 29).


21. Pour déterminer si un signe est susceptible d’être enregistré comme marque, il convient de prendre en considération les produits et services pour lesquels l’enregistrement est demandé et de se baser sur la perception de ce signe par le public pertinent (CJCE 08 mai 2008, en cause Eurohypo, C-304/06 P, points 41 et 67).

Si les produits ou services sont destinés à tous les consommateurs, il faut admettre que le public pertinent est constitué par le consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (CJCE 06 mai 2003 en cause Libertel, C-104/01, point 46 ; CJCE 16 septembre 2004, en cause SAT1 SatellitenFernsehen, point 24).


22. Aux termes de l’article 3, paragraphe 3, de la Première Directive sur les marques (2008/95/CE – auparavant 89/104/CEE), le caractère distinctif peut s’acquérir aussi par l’usage qui précède le dépôt de la marque, ce que l’on désigne par ‘consécration par l’usage’.

Pour déterminer si une marque a acquis un caractère distinctif après l'usage qui en a été fait, l'autorité compétente doit apprécier tous les éléments qui peuvent démontrer que la marque est devenue apte à distinguer les produits de ceux d'autres entreprises. Peuvent être prises en considération la part de marché détenue par la marque, l'intensité, l'étendue géographique et la durée de l'usage de cette marque, l'importance des investissements faits par l'entreprise pour la promouvoir, la proportion des milieux intéressés qui identifie le produit comme provenant d'une entreprise déterminée grâce à la marque ainsi que les déclarations de chambres de commerce et d'industrie ou d'autres associations professionnelles (CJCE 04 mai 1999 en cause Windsurfing Chiemsee, C-108/97 et C-109/97, points 49 et 51 ; CJCE 18 juin 2002 en cause Koninklijke Philips Electronics, C-299/99, point 60 ; CJCE 22 juin 2006 en cause August AG, C-25/05 P, points 75-77).

La Cour de justice CE a encore décidé que l’enregistrement d’une marque ne saurait être admis sur le fondement de l’article 3, paragraphe 3, de la directive que s’il est démontré que cette marque a acquis par l’usage un caractère distinctif dans toute la partie du territoire de l’État membre ou, dans le cas du Benelux, dans toute la partie du territoire de celui-ci dans laquelle il existe un motif de refus (Bovemij Verzekeringen, 7 septembre 2006 C-108/05, point 23).
La Cour a également décidé que le caractère distinctif doit avoir été acquis par l’usage à la date de l’enregistrement de la marque (CJCE, 11 juin 2009 en cause Imagination Technologies Ltd, C-542/07 P, points 44, 48 et 49).


23. Les signes ou indications pouvant servir habituellement, dans le commerce, à désigner les caractéristiques des produits et services pour lesquels l’enregistrement est demandé ne peuvent pas être enregistrés en raison de l’intérêt général. Celui-ci requiert que ces signes ou indications puissent être librement utilisés par tous (CJCE 23 octobre 2003 en cause Wrigley, C-191/01 P, point 31 ; CJCE 12 janvier 2006 en cause Deutsche SiSi-Werke, C-173/04, point 62 ; CJCE 19 avril 2007 en cause Celltech, C-276/05, point 75).

Ainsi, ne sont pas admis à l’enregistrement comme marque les signes ou indications visés à l’article 3.1 c) de la directive marques qui peuvent servir dans l’usage normal, du point de vue du consommateur, pour désigner soit directement, soit par la mention d'une de ses caractéristiques essentielles, un produit ou un service tel que celui pour lequel l'enregistrement est demandé (CJCE, 20 septembre 2001, en cause Procter & Gamble, C-383/99, point 39). Ce dernier arrêt (‘baby-dry’) fait bien état de ‘caractéristiques essentielles’, mais l’article 3, paragraphe 1, de la directive 89/104/CEE ne fait pas de distinction selon les caractéristiques (TPI CE, 17 juin 2009, en cause Korsch AG, T-464/07, point 48).

L’évolution future prévisible de l’usage normal est également pertinente à ce niveau (CJCE 4 mai 1999 en cause Windsurfing Chiemsee, points 31 et 37), si ce n’est que l’évolution prévisible sur ce point ne saurait être purement hypothétique mais doit se référer à une expérience de marché concrète et actuelle ou, à tout le moins, très probable et suffisamment rapprochée dans le temps (TPI CE, 12 mars 2008, affaire Compagnie SAS, T-341/06, point 43).


24. Les signes ou indications peuvent toutefois dépasser le caractère descriptif ainsi compris s’ils sont présentés ou agencés de manière telle que l’ensemble s’écarte de manière perceptible des modes habituels de désignation des produits ou services concernés ou de leurs caractéristiques
essentielles ou lorsque leur présentation apporte un élément additionnel à l’ensemble au regard des éléments constitutifs.

Si la présentation d’un signe composé s’écarte de manière perceptible du mode courant de désignation des produits ou services et que l’écart concerne un aspect significatif du signe déposé, cet écart apporte un élément additionnel qui permet à l’ensemble de se distinguer de ce qui est courant. Il en va de même lorsque la combinaison a acquis une signification propre qui est indépendante de ses éléments constitutifs (CJCE 19 septembre 2002 en cause Companyline, C-104/00 P, points 21 et 23 ; CJCE 12 février 2004 en cause Campina Melkunie, C-265/00, point 41).


26. Lorsqu’une marque est constituée d’une combinaison d’éléments, il ne suffit pas que chacun des éléments soit descriptif, mais il faut constater ce caractère pour l’ensemble avant de pouvoir la qualifier comme telle.

Si chacun des éléments est en soi descriptif, la combinaison de ceux-ci l’est aussi en règle générale, mais il n’est pas à exclure que l’impression produite par la combinaison s’écarte de l’impression qui se dégage de la simple réunion des éléments qui la composent. Dans ce cas, la combinaison n’est pas descriptive au sens de l’article 3.1 c) de la directive. Si la marque est composée de différents mots ou d’un mot recomposé, l’examen du caractère descriptif ne peut pas rester limité à celui des éléments constitutifs, mais l’ensemble doit être pris en considération (CJCE 19 avril 2007 en cause Celltech, C-273/05, points 77, 78 et 79 ; TPI CE 17 juin 2009 en cause Korsch AG, T-464/07, point 35).


B. L’examen de la marque ‘serverscheck’

26. La demanderesse a déposé la marque reproduite au paragraphe 05 pour des services dans la classe administrative 42.

Le signe est formé par la réunion des deux mots ‘server’ et ‘check’ qui ont tous deux une origine anglaise, mais font partie aussi de la langue néerlandaise. Ils sont reliés par la lettre ‘s’. La réunion de ces deux mots produit un nouveau mot composé qui, comme tel, n’appartient pas au vocabulaire d’une langue.

Il s’agit donc d’un signe composé dont le caractère distinctif doit être apprécié sur base de l’impression d’ensemble qu’il laisse pour les services indiqués.


27. Les produits et services pour lesquels la protection de la marque est demandée apparaissent destinés au consommateur ordinaire.

Le public pertinent que la cour doit prendre en considération pour évaluer la perception de la marque doit donc être pris au sens le plus large et se compose de toutes les personnes qui peuvent entrer en contact avec les services offerts.
Selon une jurisprudence constante, on doit retenir par hypothèse que le public moyen concerné est normalement informé et se comporte de manière raisonnablement attentive et avisée.


28. Il faut considérer d’abord que l’impression d’ensemble que produit la marque ne peut différer de la perception du nouveau mot composé, sans plus. Un mode particulier de présentation n’y est en effet pas mêlé.

La réunion de deux mots par la lettre ‘s’ - qui, du reste, peut tout aussi bien représenter la forme plurielle du mot ‘server’ – n’offre rien d’inhabituel qui conférerait au néologisme un aspect qui peut être considéré comme un élément additionnel remarquable lors de la simple réunion des deux éléments constitutifs du signe.

Le consommateur ordinaire identifiera donc dans le signe les mots ‘server’ et ‘check’ qui le composent dans leur signification courante dans le Benelux et comprendra leur réunion comme l’inspection des serveurs. L’impression d’ensemble du signe ne diffère en rien de celle de ses éléments constitutifs.


29. Dès lors que le signe ‘serverscheck’ a été déposé entre autres pour des ‘services technologiques’ et se compose exclusivement de mots qui peuvent servir, dans le langage ordinaire en matière commerciale, à indiquer les caractéristiques des services cités, il est descriptif au sens de l’article 2.11.2 c de la CBPI.

Le motif de refus absolu en question s’oppose dès lors en principe à ce que le signe soit enregistré comme marque.


30. La demanderesse soutient que l’usage du signe préalable au dépôt porte préjudice au motif d’exclusion de la marque, dont elle déduit qu’il doit néanmoins être admis à l’enregistrement.

Selon elle, la consécration du signe par l’usage ressort des éléments qui, selon l’inventaire de ses pièces justificatives, portent sur la période de mars 2006 à mars 2009.


31. Dans la mesure où la demanderesse allègue à l’appui de sa thèse concernant la consécration par l’usage des faits qui datent d’après le dépôt le 04 septembre 2007, il convient de les écarter comme dénués de pertinence.

En effet, ils ne peuvent pas fournir la preuve que le signe était déjà utilisé comme marque à la date à laquelle il a été présenté aux fins d’enregistrement, ce qui doit pourtant être démontré.


32. En revanche, les pièces probantes qui n’ont pas été introduites pendant la procédure d’enregistrement devant l’OBPI, mais qui portent sur la période antérieure au dépôt, doivent être prises en considération.


33. Pour prouver l’usage, la demanderesse allègue aussi un certain nombre de faits antérieurs au 04 septembre 2007. Il s’agit de résultats de recherches avec Google et de quelques articles dans la presse spécialisée.

On peut bien déduire de tous ces faits que ‘serverscheck’ bénéficiait d’une certaine notoriété, mais il n’apparaît pas que cette notoriété puisse être attribuée à l’usage de ce signe comme marque.
La demanderesse emploie en effet ce même signe distinctif également comme raison sociale et il est donc très possible que le signe ait eu une fonction distinctive pour l’entreprise de la demanderesse à l’égard d’autres entreprises, ce qui n’implique pourtant pas qu’elle a un effet distinctif pour les services qu’elle offrait à l’égard de services concurrents.
Il ressort du reste des résultats de recherche qu’il est question aussi de ‘monitoringsoftware van Serverscheck, de Leuvense leverancier van …’, ce qui indique incontestablement l’identification de l’entreprise par le signe. Pour un autre résultat, cette identification est aussi présente pour ses services (‘ServersCheck Professional Edition’).

Dans les articles de presse, par contre, ‘serversCheck’ est manifestement cité uniquement comme signe d’identification de l’entreprise : il ne s’agit donc pas de l’usage du signe centré sur la marque.


34. Il faut encore considérer que ces données internet ne permettent pas de déduire qu’à la date du dépôt, la consécration par l’usage était acquise sur le territoire Benelux où le motif légal d’exclusion de l’enregistrement est applicable.

Les noms de domaine qui ont été attribués largement à l’échelle nationale ne sont pas pertinents sous ce rapport.


35. Par ailleurs, aucune pièce probante n’est produite au sujet des prétendus efforts qui auraient été consentis pour favoriser la notoriété de la marque ou au sujet de la part de marché.

Il manque aussi toute donnée quantitative fournie par les milieux commerciaux concernés qui pourrait permettre d’estimer la notoriété de la marque dans le secteur concerné.


36. L’OBPI a estimé à bon droit, dans ces circonstances, que les données fournies pour démontrer la consécration par l’usage de la marque sont insuffisantes pour neutraliser le motif d’exclusion fondé sur le caractère descriptif du signe.

L’usage prolongé et intensif du signe comme marque sur le territoire Benelux n’est pas démontré à suffisance.


37. A défaut de preuve suffisante de la consécration par l’usage, la défenderesse ne pouvait dès lors pas enregistrer la marque déposée et se devait de radier l’enregistrement provisoire.

Il convient, par conséquent, de rejeter la demande de la demanderesse.


44. L’indemnité de procédure qui revient à la défenderesse doit être fixée à 1.200 euros, dès lors que l’action n’est pas évaluable en argent.


PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Eu égard à la loi du 15 juin 1935 sur l’emploi des langues en matière judiciaire,

Statuant contradictoirement,

Reçoit la demande mais la rejette,

Condamne la demanderesse au paiement des frais de procédure qui sont fixés à 186 euros pour elle-même et à 1.200 euros pour la défenderesse.

Le présent arrêt a été rendu par la 18e chambre de la cour d’appel de Bruxelles, composée de P. Blondeel, président de chambre, M. de Hemptinne, conseiller et E. Bodson, conseiller, qui ont assisté à toutes les audiences et ont délibéré de la cause.

Il a été prononcé à l’audience publique par P. Blondeel, président de chambre, assisté par D. Van Impe, le 22 septembre 2009

VAN IMPE

BODSON

de HEMPTINNE

BLONDEEL

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