Prononcé : 4 septembre 1997
No de la requête.: 97/274
LA COUR D’APPEL DE LA HAYE, chambre IVA,
a rendu l'ordonnance suivante à la requête de :
Unilever N.V.,
dont le siège est à Rotterdam,
requérante,
avoué : Me H.J.A. Knijff
avocat : Me J.A. van Arkel
contre
Le BUREAU BENELUX DES MARQUES,
dont le siège est à La Haye,
avoué : Me D.M. Wille
avocat : Me J.H. Spoor
La procédure
Par requête (avec annexes) parvenue au greffe de la cour le 24 mars 1997, la requérante, dénommée ci-après Unilever, a demandé à la cour d’ordonner l’enregistrement du dépôt 866.369 (CHICKEN TONIGHT KERRIE) et le dépôt 868.723 (CHICKEN TONIGHT HAWAIÏ) également pour les produits refusés et de condamner le défendeur, dénommé ci-après le Bureau, aux dépens.
Par mémoire en défense parvenu au greffe de la cour le 20 mai 1997, le Bureau a demandé de rejeter la requête d’Unilever et d’ordonner que l’enregistrement du dépôt 866.369 doit être limité au produit « sauce à l’étuvée pour poulet au goût de curry »,.et de condamner Unilever aux dépens.
La procédure orale a eu lieu le 26 août 1997; après production de documents, les parties ont fait exposer chacune leur point de vue à l’aide de notes de plaidoirie, Unilever par Me J.A. van Arkel, avocat à Rotterdam, et le Bureau par Me J.H. Spoor, avocat à Amsterdam. A cette occasion, Unilever n’a pas maintenu sa requête en ce qui concerne les produits viande, poisson, gibier et extraits de viande dans la classe 30.
Examen de la requête
1. La requête a été introduite dans le délai.
2. La requête et les documents qui lui sont joints font apparaître ce qui suit :
a. Le 1er mars 1996, Unilever a déposé, sous le numéro 867.369 une marque figurative, constituée de la reproduction d’un bocal, rempli d’une substance jaune et revêtu d’une étiquette portant les mots « UNOX », « CHICKEN TONIGHT » et « KERRIE », ainsi que les mots « sauce à l’étuvée pour poulet », pour
la classe 29 : viande, poisson, volaille et gibier; extraits de viande; fruits et légumes conservés, séchés et cuits; oeufs, lait et produits laitiers, à savoir beurre, fromage, crème, yaourt, lait en poudre à des fins alimentaires; huiles et graisses comestibles, et
la classe 30 : sucre, riz, tapioca, sagou; farine et préparations faites de céréales, pain, pâtisserie et confiserie, glaces comestibles; miel, sirop de mélasse; levure, poudre pour faire lever; sel, moutarde; vinaigre, sauces (sauf vinaigrette); épices; pâtes.
b. Par lettre du 4 juin 1996, le Bureau a fait savoir à Unilever qu’il refusait provisoirement (en partie) l’enregistrement du dépôt 866.369. Le Bureau a indiqué chaque fois le(s) motif(s) suivant(s) :
« Etant donné que la reproduction du signe UNOX CHICKEN TONIGHT (fig.) porte manifestement sur une sauce à l’étuvée pour poulet, le signe est de nature à tromper le public pour tous les produits autres que la sauce à l’étuvée mentionnés dans les classes 29 et 30 (article 6bis, alinéa premier sous b de la loi uniforme Benelux sur les marques (...)); veuillez adapter la liste des produits. »
c. Unilever a déposé réclamation contre ce refus provisoire (partiel). Le Bureau n’y a pas vu motif à revoir sa décision de refus provisoire. Par lettre du 27 janvier 1997, le Bureau a informé Unilever de sa décision portant refus définitif de l’enregistrement du dépôt pour les produits des classes 29 et 30 tels que mentionnés dans sa décision, tout en communiquant que la marque serait enregistrée pour la classe 30 : sauce à l’étuvée pour poulet.
d. Le 4 avril 1996, Unilever a déposé, sous le numéro 868.723 une marque figurative, constituée de la reproduction d’un bocal, rempli d’une substance rougeâtre et revêtu d’une étiquette portant les mots « UNOX », « CHICKEN TONIGHT » et « HAWAIÏ », ainsi que les mots « sauce à l’étuvée pour poulet », pour
la classe 29 : viande, poisson, volaille et gibier; extraits de viande; fruits et légumes conservés, séchés et cuits; gelées, confitures, compotes; oeufs, lait et produits laitiers, huiles et graisses comestibles, et
la classe 30 : café, thé, cacao, sucre, riz, tapioca, sagou, succédanés du café; farine et préparations faites de céréales, pain, pâtisserie et confiserie, glaces comestibles; miel, sirop de mélasse; levure, poudre pour faire lever; sel, moutarde; vinaigre, sauces (condiments); épices; glace à rafraîchir.
e. Par lettre du 11 septembre 1996, le Bureau a fait savoir à Unilever qu’il refusait provisoirement (en partie) l’enregistrement du dépôt 868.723. Le Bureau a indiqué chaque fois le(s) motif(s) suivant(s) :
« Etant donné que la reproduction du signe UNOX CHICKEN TONIGHT (fig.) porte manifestement sur une sauce à l’étuvée pour poulet, le signe est de nature à tromper le public pour tous les produits autres que la sauce à l’étuvée mentionnés dans les classes 29 et 30 (article 6bis, alinéa premier sous b de la loi uniforme Benelux sur les marques (...)); veuillez adapter la liste des produits. »
f. Unilever a déposé réclamation contre ce refus provisoire (partiel). Le Bureau n’y a pas vu motif à revoir sa décision de refus provisoire. Par lettre du 18 mars 1997, le Bureau a informé Unilever de sa décision de même date portant refus définitif de l’enregistrement du dépôt pour tous les produits dans les classes 29 et 30, excepté la sauce à l’étuvée pour poulet.
3. Unilever a demandé d’ordonner l’enregistrement des dépôts 866.369 et 868.723 pour les produits refusés, étant entendu qu’elle ne maintient plus sa demande en ce qui concerne les produits viande, poisson, gibier et extraits de viande dans la classe 29.
Unilever soutient que l’indication « sauce à l’étuvée pour poulet » figurant sur les étiquettes n’est pas un élément distinctif des marques; que cette indication est imprimée en caractères si petits qu’elle n’est pas ou guère visible de sorte que le public n’aperçoit pas cet élément et ne peut donc être trompé. Unilever soutient par ailleurs, en invoquant l’article 5C, alinéa 2, de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, qu’elle peut apporter des modifications à cette indication étant que cette indication constitue un élément qui ne modifie pas le caractère distinctif des marques. En cas d’usage des marques pour d’autres produits que la sauce à l’étuvée pour poulet, la mention « sauce à l’étuvée pour poulet » figurant sur les étiquettes sera, selon Unilever, remplacée par une autre indication convenant au produit.
4. Le Bureau a basé ses décisions de refus sur l’article 6bis, sous b, de la loi uniforme Benelux sur les marques (LBM) (en substance : tromperie) et a allégué à cet égard que dans la mesure où les dépôts sont effectués pour d’autres produits que les « sauces à l’étuvée pour poulet» dans les classes 29 et 30, ils se rapportent chaque fois à une marque telle que visée à l’article 4, sous 2, de la LBM.
5. La cour examinera s’il y a bien un motif de refus au sens de l’article 6bis, sous b, de la LBM. L’appréciation se fondera sur la marque telle qu’elle a été déposée. Il convient dès lors d’écarter les modifications qui ont été ou seront apportées ultérieurement à l’usage.
6. L’article 5C, alinéa 2, de la Convention de Paris est libellé comme suit : L’emploi d’une marque de fabrique ou de commerce, par le propriétaire, sous une forme qui diffère, par des éléments n'altérant pas le caractère distinctif de la marque dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée dans l'un des pays de l’Union, n’entraînera pas l’invalidation de l’enregistrement et ne diminuera pas la protection accordée à la marque.
De l’avis de la cour, l’article concerne exclusivement les effets de l’usage d’une marque sous une forme légèrement différente de la marque enregistrée. Cette disposition ne se prête pas à une application analogique pour se prononcer sur l’existence du motif de refus de la tromperie.
La cour fait remarquer dans ce contexte que ni l’article 6quinquies B, sous 3, de la Convention de Paris, qui reprend la tromperie comme motif de refus, ni les articles 4 sous 2 et 6bis de la LBM et l’article 3 paragraphe 1 point g) de la Première Directive du Conseil rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, 89/104/CEE, ne font une différence entre les éléments distinctifs et non distinctifs d’une marque.
7. Le cour a pu constater par elle-même que l’indication « sauce à l’étuvée pour poulet » sur la reproduction réduite de la marque déposée n’est nullement illisible de sorte qu’il faut considérer que le (la partie concernée du) public pourra percevoir cette indication si la marque est utilisée sous une forme agrandie.
Il est sans intérêt que l’indication « sauce à l’étuvée pour poulet » soit moins voyante que les mots « CHICKEN TONIGHT » imprimés en caractères plus grands.
Du fait que la mention des mots (formant aussi la marque verbale) « CHICKEN TONIGHT » est combinée aux mots « sauce à l’étuvée pour poulet », le public s’attendra à ce que les marques se rapportent à une sauce à l’étuvée pour poulet. Ces mentions figurant sur les étiquettes, l’usage des marques pourra toutefois être de nature à tromper le public si les marques devaient se rapporter à d’autres produits que la sauce à l’étuvée pour poulet. Dès lors que les dépôts ont été effectués notamment pour de tels autres produits, il y a dans cette mesure tromperie éventuelle au sens de l’article 4 sous 2 de la LBM. Unilever affirmant dans sa requête que « en cas d’usage pour d’autres produits que la sauce à l’étuvée pour poulet, la mention sur l’étiquette « sauce à l’étuvée pour poulet » sera remplacée par une autre indication convenant au produit », la cour en déduit que Unilever reconnaît elle-même la possibilité d’une tromperie.
Dans ces conditions, il convient de rejeter la requête d’Unilever, en tant qu’elle est maintenue.
8. Le Bureau a demandé à la cour - manifestement à titre de demande reconventionnelle - d’ordonner que l’enregistrement du dépôt 866.369 soit limité au produit « sauce à l’étuvée pour poulet au goût de curry ».
9. La cour déclarera non recevable ladite demande du Bureau et ce pour le motif suivant.
L’article 6ter de la LBM est la clef de voûte de la procédure prévue à l’article 6bis LBM qui accorde au Bureau le pouvoir de soumettre les marques ou signes déposés à un examen quant au fond et de refuser leur enregistrement. L’article 6ter LBM ne prévoit pas la faculté pour le Bureau de déposer une requête auprès d’une des cours mentionnées dans cette disposition. Il ne serait pas non plus compatible avec le texte et la portée de ces dispositions, telle que cette dernière se dégage du Commentaire commun des Gouvernements, que le Bureau forme dans une procédure sur pied de l’article 6ter une demande reconventionnelle tendant à modifier un dépôt déjà enregistré (dans cette mesure) et tente ainsi de réparer des omissions.
10. La LBM ne contient pas de prescriptions quant à la manière de procéder. Il paraît indiqué à la cour d’appliquer par analogie les dispositions de la procédure par requête. La LBM ne s’y opposant pas, la cour prononcera une condamnation aux dépens par application de l’article 429k du Code de procédure civile.
Décision
Rejette la requête d’Unilever, en tant qu’elle est maintenue;
Déclare non recevable la demande du Bureau;
Condamne Unilever aux dépens de la présente procédure et fixe ceux-ci à f 4.640,- pour le Bureau jusqu’à ce prononcé.
La présente ordonnance a été rendue par messieurs Brinkhof, Fasseur-van Santen et Van den Ende-Wiefkers et prononcée à l’audience publique du 4 septembre 1997 en présence du greffier.